- Culture Foot
Djebril Zonga : « Aujourd’hui, l’équipe de France représente purement ce qu’est la France »
Pour raconter la jeunesse française face à la BAC dans une cité de banlieue, le réalisateur Ladj Ly s’est fixé un credo : ne pas mettre de rap, ni montrer de drogues ou d’armes. Alors ? Les Misérables est un film social puissant, récompensé par le prix du jury à Cannes. Djebril Zonga joue l’un des trois policiers. Avant de devenir mannequin et acteur, il a vécu un temps du football, au Portugal. Interview avec un fan de foot qui a regardé la finale du dernier Mondial à la salle de sport.
Dans Les Misérables, tu joues Gwada, l’un des trois policiers de la BAC qui patrouillent à la cité des Bosquets de Montfermeil. Toi, tu as grandi à la cité du Chêne Pointu, à Clichy-sous-Bois, là où le film a été tourné. C’était particulier pour toi de revenir ici ? C’est surtout de voir comment ça a évolué dans le mauvais sens. J’ai 38 ans. À l’époque, c’était une copropriété assez entretenue contrairement à maintenant. C’était mélangé : des blancs, des maghrébins, des noirs… une majorité de blancs. Il y avait des gardiens, des gens qui nettoyaient tous les jours. Maintenant, ça tombe en ruines.
Où est-ce que tu as commencé à jouer au foot ?On passait nos étés à jouer au ballon en bas de l’immeuble. Notre terrain, ça s’appelait le parking rouge. Il y avait quatre gros lampadaires, on s’en servait pour faire des buts. On avait aussi un terrain en herbe qui n’était pas droit, avec des trous. On se débrouillait, ça allait très bien.
Il paraît que tu as joué au foot au niveau professionnel. Quel est ton parcours ?
Petit, j’étais passionné par le sport, en particulier le tennis. Mais on se rend vite compte que c’est un sport qui demande des investissements financiers et du temps. Mon père était chauffeur de taxi et ma mère au foyer. Le foot en club, je commence à l’AS Bondy, attaquant. Je commence tard, à l’âge de 15 ans. Puis, je vais à Ivry, où je joue en CFA 2. Un mec me trouve bon et me connecte avec un agent. Je pars en Angleterre faire un essai à Colchester, en Championship. J’arrive dans une famille d’accueil avec un autre Français. On passe une semaine, comme des étudiants. Le club ne nous garde pas. En une semaine, c’est dur de montrer ce que tu vaux. Il faut avoir du temps. Techniquement, pour moi, c’était pas dur. Mais physiquement, c’est un rythme soutenu, ça court dans tous les sens.
À 21 ans, tu tentes ta chance au Portugal. Comment ça se passe ?C’était à Pedras Rubras, un club de troisième division, à 20 minutes de Porto, dans le nord du pays. Dès que je suis arrivé, je me suis fait une déchirure musculaire derrière la cuisse. Je n’ai pas pu faire la prépa avec les autres joueurs, et finalement l’entraîneur n’a pas voulu me garder. Mon agent me dit : « J’ai négocié avec le club, tu peux rester dans l’appartement, je vais te trouver un autre club » – parce qu’ils payaient la nourriture. Je suis parti m’entraîner avec un autre club, mais il n’y avait pas de direction, les joueurs n’étaient pas payés. Après, j’ai fait un essai dans un club de D2, je pensais que j’allais signer, mais ils ont fait signer un attaquant espagnol au dernier moment.
T’étais dans quel état d’esprit vu que ça ne se concrétisait pas ?Bien. Parce que je jouais au foot. La vie n’était pas chère, donc j’arrivais à me débrouiller. Il faisait bon. Finalement, l’année est passée vite. Au bout de presque neuf mois, je me dis : « Là, je commence à faire le tour. » Alors je suis rentré en France.
Qu’est-ce que tu retiens de cette expérience ?
Au Portugal, j’ai vraiment senti la culture foot. Même si tu joues en troisième division, les matchs passent à la télé, les gens t’arrêtent dans la rue. T’entends parler du club dans les journaux. Les gens viennent voir les matchs. Alors qu’à Paris, t’as des gens qui ne reconnaîtraient même pas des grands joueurs du PSG dans la rue.
Tu es rentré en France pour faire quoi ?Je n’ai pas tiré tout de suite une croix sur le foot. J’ai failli signer à Champigny (Val-de-Marne), en DHR. Finalement, j’ai signé à Bonneuil (Val-de-Marne), en PH. Ils m’ont trouvé du boulot à côté. J’étais livreur. Je m’entraînais le soir et je livrais des colis pharmaceutiques la nuit. L’entraîneur, Antonio Tavares, un ancien joueur de Créteil Lusitanos en Ligue 2, m’a dit : « T’inquiète pas, tu fais une bonne année et après tu peux taper une National. » Dans le même temps, je faisais du mannequinat, ça commençait à prendre de ce côté-là (il deviendra notamment l’égérie du parfum Diesel, N.D.L.R.) et je me suis rendu compte que je jouais au foot pour les mauvaises raisons.
C’est quoi les mauvaises raisons ?Je me dis : « Peut-être que je vais gratter un peu d’argent là, peut-être qu’ils vont me trouver tel boulot. » Je jouais pour essayer de m’en sortir et non plus par passion comme quand j’étais gamin. Cette passion, je l’ai perdue au fur et à mesure et définitivement quand je me suis retrouvé à Bonneuil.
C’est quoi ton rapport au foot désormais ?Aujourd’hui, c’est la console. Je vis mon rêve par procuration sur PES. Je ne vais pas au stade, j’aime tellement bien regarder les matchs que je reste devant ma télé. Je suis passionné de Barcelone depuis l’époque Ronaldinho. Qu’est-ce qu’il avait de si spécial ? Il faisait le show. T’avais l’impression qu’il jouait pour se faire plaisir.
Tu as commencé à Bondy comme Kylian Mbappé. En parlant de plaisir, on a l’impression en le voyant jouer aujourd’hui qu’il n’y a plus dans son jeu le plaisir qui l’animait à ses débuts. Il compte ses buts, c’est presque un robot… Qu’est-ce que tu en penses ?Quand les joueurs font des conneries, on leur en veut. Et quand ils sont posés comme lui, parce que t’as l’impression qu’il a déjà quinze ans de carrière, on se demande si ce n’est pas trop… Il a la tête sur les épaules et c’est dur à cet âge-là. T’es gâté. Quand tu as tout, tu t’embourgeoises, et c’est difficile d’être performant. Et, quand tu te maintiens au plus haut niveau, je respecte. Il est extraordinaire.
Sur le tournage du film Les Misérables, vous parliez de foot ? Un peu avec Steve Tientcheu qui joue le maire, mais je n’ai pas eu beaucoup de scènes avec lui. Les autres ne sont pas du tout foot. Ladj (Ladj Ly, le réalisateur, N.D.L.R.), il n’est pas foot. Alexis (Alexis Manenti, l’un des trois acteurs principaux, N.D.L.R.) non plus.
Mais l’affiche du film montre la liesse sur les Champs-Élysées après le sacre mondial des Bleus en 2018. Ça dépasse le foot…Oui, parce que ça représente quelque chose de fort pour notre pays, pour la France. C’est un moment où tout le monde se sent français. Tout le monde se met à supporter le France, même ceux qui ne connaissent pas les règles. Moi, c’est le contraire. J’aime le foot. Mais je n’ai pas aimé comment ils ont joué. Pendant la finale, j’étais à la salle de sport. Je préparais le film. Je regardais le match à la salle en faisant des exercices. Pour moi, c’était une journée normale. Elle m’a un peu déçu, cette Coupe du monde.
Tu n’avais pas envie de partager ce moment avec des proches ?Non parce que l’affaire Benzema, les répercussions de Knysna… ça m’a un peu dégoûté de l’équipe de France. Aujourd’hui, l’équipe de France représente purement ce qu’est la France. Donc je suis content pour ça, mais j’ai un problème avec le sélectionneur et j’ai du mal à les supporter. Ce que je reproche à Deschamps, c’est de ne pas avoir de raison valable de ne pas prendre Karim Benzema, l’un des meilleurs neuf au monde. On connaît tous quelqu’un qui connaît quelqu’un qui sait que c’est personnel, mais, lui, Deschamps, il ne l’a jamais dit clairement.
Et en 1998 ?J’étais fan du Brésil, de Ronaldo, Rivaldo, donc j’étais dégoûté… Pourquoi le Brésil ? J’sais pas. J’ai un peu de sang brésilien du côté de ma mère, mais je ne suis allé qu’une fois au Brésil. Peut-être que c’est la représentation… Il y avait des renois dans l’équipe. Bon, chez les Bleus, tu commençais à avoir Thierry Henry. Ce soir-là, tu vis quand même le truc. On s’est baladé sur les Champs avec des potes. Les gens sont redescendus dans la rue deux ans après pour l’Euro, mais le plus fort, c’était en 1998, parce que c’était la première fois.
Le foot et le rap sont les principaux exemples de réussite médiatisés chez les jeunes qui grandissent en cité. Pourquoi pas d’autres domaines ?Tu ne pars pas avec les mêmes bases. Pour t’intéresser à la peinture, il faut qu’on t’y initie. Ça passe par l’éducation. Il y a un acteur qui joue Macha dans le film (Omar Soumare, le personnage avec les cheveux teints en rouge, N.D.L.R.). Il vient de Corbeil-Essonnes. Il nous expliquait qu’il fait de l’équitation. Il adore ça. Ça vient du fait qu’il est allé dans un foyer. Il y avait des activités. Un jour, ils les ont emmenés en sortie faire du cheval en forêt. Il est devenu passionné. Et c’est un vrai banlieusard.
Toi, comment tu t’es ouvert sur la culture, le cinéma ?J’ai eu de la chance. Dans le mannequinat, j’ai rencontré des Parisiens d’un autre milieu social. Parce que j’ai voyagé – à New York, à Londres. Mais je suis allé au cinéma très jeune. Tu t’identifies à des mecs comme Eddie Murphy : Le flic de Beverly Hills, Un fauteuil pour deux… En grandissant, tu regardes Le Parrain, Scarface. Tu découvres des acteurs. En prenant des cours de comédie, je me suis intéressé à Marlon Brando, Elia Kazan, Stanislavski, Stella Adler… Et tu commences à apprendre. Mais c’est arrivé à presque 30 ans.
Les Misérables, réalisé par Ladj Ly, actuellement en salles.
Propos recueillis par Florian Lefèvre