- Rétro – Ce jour-là – 22 janvier 1907
Dixie Dean, le Cristiano Ronaldo d’avant-guerre
60 buts en une seule saison, 425 au total en 489 matchs pros disputés au cours de sa carrière : ce sont les statistiques complètement folles de l'Anglais Dixie Dean, légende d'Everton, souvent considéré comme le plus grand joueur de l'entre-deux-guerres. Un sacré personnage, qui a appris le football en shootant dans des rats et qui est mort au coup d'envoi d'un derby contre Liverpool…
« Il appartient à la caste des plus grands, à côté de Beethoven, Shakespeare et Rembrandt. » Le compliment est signé Bill Shankly et s’adresse à son compatriote William Ralph Dean, plus connu sous le nom de « Dixie » Dean. Une légende du football que de moins en moins de gens connaissent aujourd’hui. Le temps fait son œuvre, irrémédiablement… Il faut dire qu’il y a un manque de repères, car à l’époque où Dean était joueur, il n’était pas question d’attributions individuelles telles que le Ballon d’or, pas plus qu’il n’y avait de compétitions internationales, ni de nations, ni de clubs. Mais clairement, ce n’est pas prendre beaucoup de risques que de considérer qu’il fut l’un des plus grands, si ce n’est le plus grand footballeur de l’entre-deux-guerres. Tout du moins le meilleur finisseur. Ses statistiques donnent le tournis : il lui est attribué 425 buts en 489 matchs chez les pros, dont 377 en 431 apparitions sous les couleurs d’Everton, le club de son âge d’or, celui qui lui a dressé une statue hommage en 2001. Le club de son cœur aussi, celui qu’il supportait avant d’en devenir la légende.
Concours de tirs de rats
William Ralph Dean naît il y a très exactement 108 ans, le 22 janvier 1907 à Birkenhead, sur l’estuaire de la Mersey, juste en face de Liverpool. Lors de la saison 1914/1915, son père prend l’habitude de l’emmener à Goodison Park, où il assiste au deuxième titre national de l’histoire de « l’autre » club de Liverpool, dont il devient fan en même temps qu’il devient fan de foot. Alors dès qu’il le peut, il joue, que ce soit avec un ballon ou autre chose. Dans une biographie datant de 1978, il est ainsi rapporté que Dean, qui avait quitté l’école dès 14 ans pour travailler comme poseur de rails dans la compagnie des trains de banlieue de Birkenhead, s’amusait la nuit avec ses collègues à shooter dans les nombreux rats qui infestaient les hangars de la compagnie pour les tuer en les projetant contre les murs. C’est là, d’après la légende, qu’il aurait appris à tirer fort et juste des deux pieds… Mais c’est son jeu de tête surtout qui impressionne dès ses débuts sur un terrain de football. À 16 ans, en 1923, il intègre le petit club de quartier, Tranmere Rovers, qui évolue en D3. Dès la saison suivante, il commence à aligner les buts : 27 en 27 matchs de championnat. C’est là qu’il se voit attribuer par les supporters le sobriquet « Dixie » , du nom des états sudistes d’Amérique, en référence à ses cheveux très bruns et à sa peau mate. Un surnom qu’il traînera toute sa vie bien qu’il ne l’aimait pas, préférant se faire appeler « Bill » .
Un salaire de 8 livres la semaine
Dès le printemps 1925, Everton récupère le prodige, contre une grosse indemnité de transfert à l’époque : 3000 livres. Lui ne gagnera en revanche jamais de fortunes. Du temps de sa splendeur, son salaire atteignait les 8 livres la semaine en hiver, 6 en été, plus quelques dizaines de temps à autre en primes et quelques « extras » en publicité, notamment pour une marque de cigarettes. Oui, ça ne choquait pas à l’époque qu’un footballeur puisse recommander de fumer… Toujours est-il que Dixie Dean devient vite l’atout offensif numéro un des Toffees. Lors de sa première saison avec le maillot bleu sur les épaules, en 1925/1926, il plante 32 fois, rien qu’en championnat. Mais ce n’est rien à côté du record qu’il va établir en 1927/1928 et qui tient d’ailleurs toujours : 60 buts marqués en championnat, 67 sur l’ensemble de la saison. Everton devient champion d’Angleterre et Dean, une vingtaine d’années seulement, est le titulaire en équipe nationale. Il en passe 4 à la France en deux matchs disputés à Colombes en 1927 et 1928. Physique rugueux, torse bombé, large d’épaules, sourire carnassier : Dixie est un extraterrestre à qui rien ne résiste.
Accident de moto, 36 heures de coma
En 1926, pourtant, il a bien cru que sa carrière allait être brisée prématurément après un grave accident de moto. Tout cabossé sur son lit d’hôpital après 36 heures de coma, les médecins lui annoncent qu’il ne pourra plus jamais jouer au football, mais essaient quand même de raccommoder ce qui peut l’être. Ils lui posent notamment une plaque de métal pour fixer la mâchoire brisée, ce qui lui vaudra un nouveau surnom : l’homme de fer. Quatre mois après l’accident, il est de retour sur les pelouses. Ses coups de tête sont tellement puissants que des adversaires soupçonnent que les médecins n’aient pas mis des plaques de métal qu’au niveau de la mâchoire… En 1932, Everton conquiert un nouveau titre (avec 45 buts pour Dean), puis l’année suivante le palmarès s’enrichit encore avec une victoire en finale de FA Cup à Wembley contre Manchester City. Dixie Dean a 26 ans et c’est le sommet de sa carrière, laquelle décline ensuite progressivement, la faute à une fragilité physique qui commence à se faire ressentir. On n’échappe pas à la mort par accident de moto sans quelques conséquences sur le long terme… Classe, il accepte de prendre sous son aile le jeune Tommy Lawton, de 12 ans son cadet, qu’il formera patiemment et qui lui succèdera comme meilleur buteur du championnat anglais par deux fois en 1938 et 1939, Everton enlevant cette dernière saison un nouveau titre de champion.
Au gardien de Liverpool, de l’aspirine…
Dean termine quant à lui sa carrière juste avant-guerre, après quelques rapides piges dans des clubs de seconde zone. Il s’installe dans la petite ville de Chester et ouvre un pub, The Dublin Packet, qui existe toujours aujourd’hui. Il mène alors une existence paisible de citoyen reprenant une vie normale, suivant toujours de près le football et les courses de chevaux, son autre passion (pour la petite histoire, lorsqu’il se maria en 1931, il emmena son épouse en lune de miel pour un… tour d’Angleterre des hippodromes !). En 1976, une sévère thrombose emporte une de ses jambes. Diminué, en fauteuil roulant, il s’apprête à assister le 1er mars 1980 au derby entre Everton et Liverpool quand il est victime d’une attaque cardiaque qui l’emporte à l’âge de 73 ans. Depuis, il a donc eu droit à sa statue et à son entrée au Hall of fame du football anglais. Dans un article qui lui était consacré, paru dans le Guardian en 1977, voici une dernière anecdote qui achèvera le portrait de ce joueur de légende. Il est expliqué qu’à l’époque de sa splendeur, les confrontations contre Liverpool étaient l’occasion de voir s’affronter Dean, le meilleur buteur du moment, et Elisha Scott, le redoutable portier irlandais des Reds. Ce dernier recevait à son domicile, chaque veille de derby, un petit colis contenant une boîte d’aspirine accompagné d’un petit mot disant ceci : « Va te coucher ce soir, car demain je m’occuperai de toi. » Signé : Bill Dean.
Par Régis Delanoë