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Disparition de Bernard Tapie : adieu, le Boss
Bernard Tapie a perdu à 78 ans un dernier combat qu’il avait livré avec courage. Le petit Parisien devenu grand Marseillais laisse le souvenir de l’impétueux président de l’OM qui a accroché une unique étoile au tableau d’honneur du foot français. Hommage en « ombre et lumière » à Nanard...
L’arrivée de Chris Waddle à l’OM lors de la saison 1989-1990 ? Bernard Tapie avait flashé sur l’ailier anglais de Tottenham, alors qu’il était venu superviser Paul Walsh. La qualif de l’OM contre l’AC Milan en quarts de C1 1991 ? Bernard Tapie avait pris la tête à Goethals pour lui indiquer que Carlo Ancelotti était le maillon fort des Rossoneri au milieu et qu’il fallait le neutraliser au même titre que les attaquants Gullit et Massaro ! Bien vu. Vous en voulez encore ?
Golden boy
La victoire en finale de 1993 à Munich ? Bernard Tapie avait semé le cool dans le camp olympien, en tapant notamment des tennis-ballons, se souvient Basile Boli : « En 1991, contre l’Étoile rouge, on a perdu la finale nous-mêmes, et Tapie également. Parce qu’il en a trop fait. Il nous a mis trois jours dans ce bunker. Il voulait prendre une revanche personnelle sur le Benfica Lisbonne et la main de Vata. Il avait dramatisé ce match. De la suspicion partout : les serveurs, la nourriture… Un truc trop étouffant. À Munich, c’était différent. On est parti la veille. C’était plus léger, et on a abordé cette finale de façon décontractée. » Et le but victorieux de « Baze » ? Bernard Tapie raconte : « C’est moi qui empêche Goethals de sortir Boli. Il est blessé, il reste huit minutes avant la mi-temps et il veut sortir. Moi, je suis en tribune avec le talkie-walkie et je l’en empêche en faisant passer le message au Belge ! » Le Belge, « Raymond-la-science », c’est également « Nanard » qui était allé le chercher pour succéder à Franz Beckenbauer en plein milieu de la saison 1990-1991. La légende raconte que c’est Tapie qui faisait les compos de l’OM, ce que le coach belge a toujours démenti…
Peu importe ! Le Boss, ce surnom indéfectible que lui a donné le peuple marseillais, touchait vraiment sa bille en foot, mû par une passion sportive phénoménale qui l’avait vu tâter de la Formule 3 dans sa jeunesse, puis manager la grande équipe cycliste La Vie claire, vainqueur dans les années 1980 de plusieurs Tours de France avec Bernard Hinault, puis Greg LeMond. Ces premiers succès cyclistes ont d’ailleurs contribué à établir Bernard Tapie comme l’une des personnalités phares des eighties. La décennie de la frime, du fric, de la pub et de la com’ a produit dans le sport, la culture, le business ou la politique des winners, des raiders et des killers. Et Tapie était un peu tout ça, projetant toute sa flamboyance médiatique à coups de slogans chocs, dopé par un ultralibéralisme décomplexé qui triomphait dans la France qui venait d’abandonner ses rêves de socialisme.
En 1986, Bernard Tapie se met carrément en scène dans une publicité qui exalte sa volonté de fer et son énergie – réellement – inépuisable : « Je marche à la Wonder ! » se vante-t-il, assurant lui-même sa promo et celle de sa marque de piles. Tapie est partout ! Ambitions (son émission TV), Gagner (son livre best-seller), Réussir sa vie (son demi-tube Top 50) célèbrent un individualisme échevelé et impitoyable.
Nanard, droit aux buts !
Sa grande aventure avec l’OM, qu’il reprend en 1986 en piteuse situation, va ainsi débuter par la mise à mort sportive, d’abord, judicaire ensuite, des Girondins de Bordeaux de Claude Bez. C’est en lui piquant Giresse, puis Tigana en 1989, que Tapie met la D1 en coupe réglée en asséchant le marché des transferts qui font converger vers Massilia la plupart des grands talents français du championnat (Amoros, Sauzée, Cantona, Vercruysse, Deschamps, Boli, Desailly). Même notre JPP national, arrivé à l’OM en 1986, avait été subtilisé à Monaco grâce à une surenchère salariale de Tapie lui-même ! Les moyens financiers conséquents bientôt décuplés par sa proximité avec le Crédit lyonnais et le pouvoir socialiste (François Mitterrand est dingue de Bernard) renforceront un leadership jamais vu depuis la grande ASSE du président Rocher. Mais c’est grâce aussi à une politique sportive agressive et un palmarès vite conséquent (quatre titres de champion de France consécutifs de 1989 à 1992, quatre finales de Coupe de France dont une gagnée en 1989, deux demi-finales de Coupe d’Europe, C2 1988, C1 1990, et une finale de Ligue des champions 1991) que l’OM attirera des cracks étrangers (Francescoli, Mozer, Pelé, Stojković, Waddle, Förster, Völler, Sonny Anderson, et même Franz Beckenbauer sur le banc). C’est cette stratégie payante en mode blitzkrieg qui aboutira au triomphe de Munich en 1993.
Avant de rendre son OM et sa ville « à jamais les premiers », il s’est débarrassé du rival bordelais dans les années 1980, puis il a trucidé lentement, mais sûrement au début des années 1990 l’AS Monaco de Jean-Louis Campora et d’Arsène Wenger. Ce dernier dénoncera à mots couverts les manœuvres « pas très claires » du Boss marseillais. On se rappelle ses mots sibyllins après l’élimination en demies de C1 1990 face au Benfica, après la main de Vata : « Manager l’environnement d’une Coupe d’Europe, je n’avais pas compris. Je vous promets que j’ai compris. Ça ne se reproduira plus jamais ! » La fameuse « combine à Nanard » ? C’était la chanson qui lui collait à la peau dans Les Guignols de Canal+ qui l’avaient caricaturé à merveille. Avec un mélange de fascination ( « sévèrement burné » ) et de dédain, en l’affublant d’un front de taureau, d’un menton volontaire et de sourcils à couper la chique, l’émission phare dépeignait la roublardise d’un patron de club à succès devenu politicien couvé par le président Mitterrand. Tout réussit à celui qui, après avoir été élu député marseillais en 1989, puis ministre de la Ville en 1992, avait aussi repris la marque Adidas à l’époque larguée par Nike et Reebok. Nanard, qui ne prend que les meilleurs, avait chouravé ( « débauché » ) le styliste de Nike, Rob Strasser, qui remplaça le logo en fleur de lotus par le fameux triangle à trois bandes, première étape de la reconquête d’Adidas.
L’Olympe et l’hubris
Comprenant qu’un OM sans rival en France ramollit ses gars et tue le suspense en D1, son génie marketing lui inspire vers 1992 une rivalité au départ factice avec le PSG, club de la capitale et nouveau riche arrosé par Canal+. Le Clásico à la Française est né ! Nanard, estampillé TF1-populo-provincial a su faire entrer dans la combine Canal+, au profil parisien-branché-CSP+. Mais, incarnant l’Icare des temps moderne, Bernard Tapie va se brûler les ailes à la manière des demi-dieux volant trop près de l’Olympe. En sacrifiant à sa passion sport, encore et toujours : il est né par le football et il « mourra » par le football. Un an après le drame de Furiani qui avait déjà affecté l’OM (ainsi que Monaco et Bastia), la triste affaire VA qui succèdera immédiatement au triomphe de Munich l’enverra en prison et l’OM en D2. Cette erreur d’avoir acheté un match de championnat secondaire afin d’assurer un titre de champion pourtant bien en vue et d’arriver en finale de C1 à Munich sans blessés révèlera l’impétuosité trop conquérante et trop obsessionnelle d’un homme ne connaissant plus de limites à force de voler de succès en succès. Ses larmes de joie sur la pelouse de l’Olympiastadion laisseront l’image d’un homme momentanément apaisé, s’effaçant presque derrière ses gars, soulagé d’avoir tenu la promesse faite au peuple marseillais à son arrivée ( « Je veux gagner la Ligue des champions » ).
Le culte de la victoire, il l’avait défini en tranchant net la question des fans marseillais sur la supériorité ou non de l’OM 1991 sur l’OM 1993 : « Vous voulez connaître la différence de niveau entre les deux ? C’est celle qui gagne, tout simplement. Pas la peine de chercher le pourquoi du comment. » Dont acte… La gnaque, la « win » qu’il a insufflées à son OM portera les Bleus de Jacquet lors de France 1998, via le « gang des Marseillais », passés ou non à Massilia (Desailly, Deschamps, Barthez, Zidane, Blanc).« On a ouvert la voie au football français : c’était la première fois qu’un club français gagnait la Coupe d’Europe, insiste Jean-Philippe Durand entré à la 62e contre Milan.En France, ça a décomplexé les joueurs, les clubs et plus tard, sans doute, l’équipe de France. En 1998, des gars comme Barthez, Desailly, Deschamps, des héros de Munich 1993, ont apporté à leur façon cette certitude qu’on était capables de gagner. » Bernard Tapie fut à jamais le premier. En 1993, beaucoup. Et en 1998, un peu…
Par Chérif Ghemmour