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Disiz : «Je suis un peu comme Maldini !»

Propos recueillis par Swann Borsellino
8 minutes
Disiz : «Je suis un peu comme Maldini !»

Début d’année chargé pour Disiz. Auteur de son deuxième roman, "René", Sérigne Mbaye Gueye fait également son retour dans le rap game avec son EP "Lucide" plus de trois ans après son dernier opus, "Disiz the end". Une bonne occasion de parler musique et ballon rond.

Tu vas évidemment devoir répondre à la question que tout le monde te pose : pourquoi tu as décidé de revenir dans le monde du rap ?
Pour comprendre pourquoi je suis revenu, il faut comprendre pourquoi je suis parti. Du coup, il faut saisir le contexte de ce que l’on appelle le « rap game » . En 2007, quand je commence à enregistrer l’album « Disiz The End », qui est sorti un an plus tard, le climat était délétère et violent, on était encore sous l’influence de 50 Cent. Comme disait Booba, « ici, c’est comme les States, moins dix ans » . Cette influence de 50 Cent, c’était ce fameux « Get rich or die tryin’ » , genre « tous les moyens sont bons pour faire de l’argent et subsister, même écraser son semblable et ses potes » . On était vachement dans le clash, l’ultraviolence. C’était ça le courant majeur.

Et ça, ça ne t’allait pas ?

Si ça ne me va pas, je n’ai qu’à faire autre chose. D’ailleurs, c’est ce que j’ai tenté de faire. Mais dans le même temps, j’ai eu des problèmes dans ma vie, comme si cette violence que je trouvais dans le rap avait découlé sur ma vie personnelle. J’avais des mecs qui voulaient me racketter, il y a eu les émeutes de banlieues et cette émission, la seule qui s’est mal passée (avec Naulleau et Zemmour, ndlr) alors que ça partait d’un bon sentiment… Tout ça, ajouté à des problèmes d’argents, ça m’a amené à me dire : « merde, le rap, ça m’apporte ça ? La musique que j’aime depuis tout petit, ça m’apporte tous ces problèmes ? Je me casse » . Et voilà, je tourne la page.

Au moment où tu as claqué la porte, tu pensais sincèrement ne jamais revenir ?

Aujourd’hui je reviens plus fort, grâce à ce qui m’est arrivé avant. Même si Peter Punk a été un échec en termes de ventes, le fait d’être allé au bout de ce truc-là, ça m’a donné confiance en moi. Il a fallu que j’arrête le rap, pour que certaines personnes qui ne le disaient pas avant disent : « t’étais bien dans le rap, tu déchirais » . Il a fallu que j’arrête pour que je me rende compte, en lisant des trucs à droite à gauche, que les gens m’aimaient bien et ne me considéraient pas seulement comme un rappeur marrant. C’est comme quand tu quittes une meuf, et qu’après, elle te dit qu’en fait, c’était bien. Fort de tout ça, avec tout ce recul, je reviens. Et je reviens pas tout à fait comme avant. Je pense qu’au niveau des textes, mais aussi et surtout de la musique, j’ai progressé.

Pourtant, c’est un Disiz ému que l’on a quitté un soir de 2009, lors d’un concert à la Maroquinerie…

Mais pourquoi j’ai pleuré sur scène ce jour-là ? J’ai pleuré après le morceau « Papa Lova », qui était juste après le titre « 27 octobre ». C’était évidemment personnel. « 27 octobre », je raconte l’histoire du racket, et « Papa Lova », j’aborde la situation financière d’un artiste père de famille, qui n’a plus d’oseille. Quand tu racontes ça face à un tel public, tu es submergé. Le lendemain, je savais que je partais enregistrer l’album de Peter Punk à l’étranger, j’avais vraiment envie de me barrer. Tu me demandais si, sincèrement, je pensais ne jamais revenir, je te dis oui. Je n’avais vraiment plus envie de faire de disque de rap. Sûr et certain.

Tu penses que comme dans le football, l’argent dans la musique aseptise le rap ?
Bah oui, bien sûr. Parce que quand les contingences sont majoritairement financières, tu essayes de correspondre à l’image que tu veux que l’on ait de toi. Tu peux être amené à lisser tes textes, par exemple. Du coup, forcément, les personnalités à la Cantona, tu ne les vois plus trop. Au moment où un mec comme ça jouait, il s’en foutait pas mal de l’oseille, sinon, il ne casserait pas la gueule d’un supporter. Mais quelque part, en étant lui-même, je pense qu’il a gagné encore plus d’oseille que s’il avait fait attention. Les gens intelligents restent eux-mêmes.

D’ailleurs, tu parles de l’argent et des besoins que tu as sans tabou dans l’EP Lucide…
Je m’en bats les reins. Pour moi, le rap, c’est une musique réelle et sincère. Mais être sincère, ce n’est pas faire genre, parler que des mêmes choses tout le temps. Le rap, c’est aussi évoquer ses forces et ses faiblesses, et c’est ça que je fais quand je parle d’argent. Comme la boulangère va gagner de l’argent avec sa baguette, moi je vais vendre mes disques. Seulement, je ne suis pas prêt à mentir. Le boulanger ne te dit pas que sa baguette est en or, moi c’est pareil. Un frigo, du cœur et des couilles, ça veut dire que je reviens aussi pour ça, mais pas que pour ça. Sinon, cet album il n’existerait pas. Si je voulais que de la thune, j’aurais fait un featuring avec Matt Pokora, ou j’aurais fait une crête.

Aujourd’hui, tu collabores avec les jeunes loups du rap, comme les gars de 1995. Tu ne te sens pas trop vieux à côté de mecs qui avaient une dizaine d’années lors de la sortie du « Poisson rouge » ?
Je vais passer pour prétentieux et arrogant, mais tant pis. Je pense que si aujourd’hui, je peux poser mon flow avec la nouvelle génération, sans passer pour un ancien, c’est que je sais rapper. Tout simplement. C’est comme un mec comme Maldini, à Milan, qui vient sur le terrain, qui joue bien, et qui est là, on ne lui demande pas son âge. Tu sais, au fond, j’ai à peu près le même âge que d’autres rappeurs qui marchent toujours, notamment aux USA. Et puis j’ai encore cet aspect juvénile, alors tout va bien !

Quel rapport entretiens-tu avec le football ?
Je dirais simplement que j’aime le foot. Je ne supportes pas d’équipe en particulier, je m’en fous des clans, ce que j’aime, ce sont les individualités dans le football, et dans un sport collectif. Et que je te parle d’individualités, je ne pense pas à un numéro 9 ou à Messi. J’aime ce qu’il se passe sur le terrain et en-dehors du terrain. Parfois j’aimerais bien être une petite souris pour écouter les causeries. Pour comprendre pourquoi aujourd’hui, ce mec il est naze, pourquoi il a mal joué aujourd’hui, qu’est-ce qu’il s’est passé dans sa vie pour que ça se voit sur le terrain. Ce que j’aime, c’est ce côté shakespearien du football. Soit tu mets le but, soit tu ne le mets pas, soit tu tacles au bon moment, soit tu ne le fais pas. Et j’aimerais savoir pourquoi, à cet instant T, ça se passe de telle ou telle manière. J’aime par-dessus tout le coté dramaturgique du foot. Prends la finale de la Coupe du Monde 2006. Y a qu’un auteur de bouquin qui peut te sortir ce scénario. Imagine si Zidane ne fait pas ça… C’est le plus grand après.

Tu as aussi un ami footballeur en prison en la personne de Soufiane Koné. Tu penses à lui souvent ?

Ouais, sauf que moi, je ne rappe pas des textes. Je le défends dans les interviews et surtout, je lui envoie des lettres. Je ne suis pas là à dire « ouais, je rappe pour mes gars derrière les barreaux » . Est-ce que ces gens qui disent ça envoient des mandats ? C’est ça qui est important, moi j’ai de la pudeur. Soufiane c’est un petit de mon quartier, dont le profil correspond parfaitement d’ailleurs, au coté oseille du foot. Laisse tomber, c’était l’enfant prodigue du football chez nous, d’ailleurs si je ne me trompe pas, il a le meilleur temps en vitesse à l’INF Clairefontaine, devant Henry. Et là, depuis que l’on a préféré le déclarer inapte au foot, on préfère lui cracher dessus plutôt que de croire qu’il peut revenir. Moi je connais Soufiane Koné, et ce mec-là il peut revenir. Moi je sais qu’il va revenir.

Tu sembles optimiste alors que dans ton livre René, la France de 2017 est assez sombre…

Ouais, c’est vrai. Mais d’un autre côté, si tu regardes avec lucidité, la société dans laquelle on est, y a quoi comme véritable optimisme à avoir, à part un optimisme forcé ? Moi je suis de nature optimiste, tu sais. Si j’étais pas de nature optimiste, j’aurais pas fait tant de gosses ! Etre de nature optimiste n’est pas en contradiction avec être lucide. Regarde, rien que ce fait divers là, et la récupération politique qu’on en fait autour, c’est inquiétant. Regarde, aujourd’hui, moi j’habite encore dans une cité, et les jeunes là-bas, leur situation, elle n’a pas changé. Ils sont obnubilés par l’argent, et leurs perspectives ne sont pas très réjouissantes. L’envie de s’en sortir ou de réfléchir autrement, c’est fini, ils n’y croient plus. Les politiques n’ont pas compris ce qu’il se passait. Aujourd’hui, limite, soit ils sont des racailles, soit ils sont des fondamentalistes… Je ne suis pas visionnaire, juste lucide. Rappelle toi « Quand le peuple va se lever », dans « Disiz The End ». Après, il y a eu le printemps arabe. C’est juste une question de conjoncture.

Beaucoup de footeux aiment le rap, tu crois que c’est dû au fait que nombre de footballeurs de l’Hexagone viennent des quartiers ?

Il y a un peu de ça. Mais après, il faut aussi voir quel rap ils aiment. S’ils aiment le rap qui parle d’oseille, « parce qu’ils sont blindés, ou s’ils aiment le rap plus réfléchi.

On entend brièvement ta fille dans « Lucide », tu crois que tes enfants vont faire comme les fils de footballeurs, essayer de faire comme papa ?

(Rires) Ecoute, pourquoi pas ? En tout cas, ils rapperont pas des conneries !

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Propos recueillis par Swann Borsellino

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