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Dimitri Payet, Marseillais à vie
Arrivé à l'OM en 2013, Dimitri Payet ne s'est jamais senti aussi marseillais et le crie sur tous les toits. Pourtant à 33 ans, il semble encore chercher sa place dans le Hall of Fame olympien.
En mars 2024, Dimitri Payet aura 37 ans et si les choses se passent comme elles doivent se passer, le milieu offensif sera encore sous contrat avec l’OM pour trois mois. « J’avais l’idée de terminer ma carrière ici et d’apporter quelque chose après, de faire grandir l’institution OM, jure celui qui a prolongé fin juin son contrat jusqu’à juin 2024. Je donnerai jusqu’à ce que mon corps ne puisse plus et, ensuite, je m’adapterai. » Jacques-Henri Eyraud était évidemment là le jour où Payet a renouvelé ses vœux à l’OM. « Dimitri est venu à ma rencontre et il m’a expliqué qu’il souhaitait être marseillais à vie, ébruitait alors le président. Il souhaite terminer sa carrière de joueur ici et poursuivre un projet de reconversion au sein du club qu’il aime tant. » Le garçon a débarqué la première fois sur les bords de la Méditerranée en 2013 et, malgré son crochet du côté de West Ham (2015-2017), il entame aujourd’hui sa septième saison dans le club phocéen. De quoi être considéré comme un taulier aux côtés de Steve Mandanda et Florian Thauvin, qui eux aussi ont eu recours à une parenthèse anglaise (Crystal Palace pour l’un, Newcastle pour l’autre). Et à l’heure de retrouver les sirènes de la Ligue des champions, ces trois-là sont les rescapés de la dernière campagne en C1, qui s’était achevée il y a un peu moins de sept ans contre Dortmund (défaite 1-2). Avec de tels états de service, Dimitri Payet devrait naturellement endosser un statut de patron incontesté dans son club et d’idole dans le cœur des supporters. Mais les choses ne sont pas aussi simples que cela.
Dimitri Payet prolonge à vie à l’#OM pic.twitter.com/MfB7VE3hBt
— OManiaque (@OManiaque) June 27, 2020
Les bons comptes feraient les bons amis. Et c’est d’ailleurs sur le terrain financier qu’on peut traduire le rapport ambivalent entre le joueur et son club. Ainsi, à la fin du mois de juin, Payet avait été érigé en modèle de vertu par le président Eyraud, puisque le joueur a divisé son salaire par deux pour cette saison, et sera encore raboté lors des suivantes. « Il a aussi renoncé à ses primes de qualification européenne, jubilait JHE. Une grande partie de sa rémunération lors de ses deux dernières saisons ne sera garantie que s’il joue. C’est un effort considérable, peut-être même inédit en Europe. » Pourtant, pendant le confinement, c’est son côté pingre qui était pointé du doigt. « Le joueur que je suis est aussi père de famille, répondait-il dans Le Journal de La Réunion à ceux qui l’accusaient de ne pas vouloir participer à l’effort de guerre face au virus. Comme toute personne, j’ai des crédits importants à honorer, des engagements à tenir. Mon rôle est de défendre mes intérêts et ceux de ma famille, sans pour autant mettre en péril le club pour qui tout le monde connaît mon attachement. » Et dans un club où l’on accorde beaucoup d’importance au symbolique, cette attitude a pesé dans la balance, même si la bisbille semble aujourd’hui oubliée. « Dans le foot, comme dans la vie, il y a de l’amour et des preuves d’amour, concluait Eyraud. J’entends parfois des joueurs dire« L’OM c’est mon club », c’est bien, mais donner des preuves d’amour, c’est encore mieux. »
À Marseille, on parle avec les pieds
Des preuves d’amour, voilà bien une chose dont Dimitri Payet n’est pas avare. Il y a d’abord ses prestations solides lors des soirs de gala, comme sa masterclass face à l’OL dirigé par Rudi Garcia. « Il est apprécié pour son talent balle au pied et sa belle vision du jeu, qui compense son problème de poids, résume Rachid Zeroual, vice-président des South Winners. Et puis, il a cette capacité à élever avec lui l’équipe. On aime les mecs qui ont ce caractère. » Pourtant, à l’écouter, cette faculté à répondre présent lors des grands rendez-vous est récente : « Avec lui, on a eu toutes les phases du footballeur avec les hauts et les bas, c’est toujours une surprise. Et s’il était inexistant face aux gros, aujourd’hui il est là. » Le déclic ? « Cette saison de Ligue Europa (finale perdue contre l’Atlético en 2018, N.D.L.R.) où il a marqué les esprits. » Pour catégoriser l’amour qui lie le numéro 10 aux supporters de l’OM, impossible d’éviter les poncifs de grinta, de maillot mouillé et de respect des couleurs. Ce qu’exprime dans les grandes lignes le rappeur Alonzo, figure locale et ami du footballeur. « Ce qui fait de quelqu’un un Marseillais, c’est la détermination, assure l’ancien des Psy 4 de la rime. Il y a des joueurs qui n’ont pas inscrit énormément de buts, qui n’ont pas marqué beaucoup le club, mais on les a aimés parce qu’on a senti en eux de la détermination. Dimitri Payet, il l’a. » Ce n’est ni sa passe décisive pour Thauvin, ni son engagement lorsque les débats se sont échauffés sur la pelouse du Parc des Princes dans le dernier Classique, qui effaceront cette image.
D’autant que cette rencontre à haute tension a été animée en amont par une passe d’armes via réseaux sociaux et bâches interposés. « C’est un tweet (celui dégainé après la défaite du PSG en finale de C1, N.D.L.R.) qui m’a fait beaucoup rigoler, se justifiait Payet. Avant, on se plaignait parce que les joueurs faisaient de la langue de bois. Quand on charrie, maintenant, on dit que c’est le buzz. Ça m’a bien fait rire. » L’exemple typique qui montre que Payet, lui qui était pourtant tout proche de passer de Sainté au PSG en janvier 2011 contre huit millions d’euros, s’est également fait une place dans le sérail phocéen sur le terrain numérique. Après s’être attaqué par voie de presse ou de messages à – entre autres – Jean-Michel Aulas ou Rudi Garcia, le garçon s’est taillé une réputation d’adepte du trashtalking. Et ce sens de la punchline fait des émules du côté de la Canebière. « Il n’a pas peur de porter le flambeau, de vanner. Même si ça fait grincer des dents à 800 kilomètres, commente Alonzo. Ce n’est pas tant la culture de Marseille, que celle des réseaux sociaux, tout simplement. Il faut vivre avec son temps, et moi, je trouve que ça fait partie du jeu tant que ce n’est pas méchant ou irrespectueux. » Ainsi, Dimitri Payet a su faire de sa communication un argument de séduction. « Il est devenu un symbole parce qu’à Marseille, les gens aiment les joueurs authentiques, avec du caractère, les grandes gueules, les fortes personnalités, ajoute Fabrice Abriel, champion de France avec Marseille en 2010. Barton n’a pas été très bon à Marseille, mais comme il a une grande bouche, les gens l’ont bien aimé. Dimitri, avec toutes ses déclarations pré-match, puis le fait qu’il assume sur le terrain après, les gens aiment. » Un plébiscite ? Pas si vite.
Dimitri payot
Bien que l’ancien Canari se sente aujourd’hui comme chez lui à Marseille et ne compte pas en partir tout de suite, sa place parmi les icônes locales n’est pas complètement assurée. Et les efforts fournis pour se fondre dans le moule olympien se sont aussi parfois retournés contre l’international français. « Chez les supporters autour de moi, le chambrage avant le match à Paris n’est pas bien passé. Ce n’est pas ma génération, ce n’est pas la manière dont on a appréhendé le foot et la rivalité avec Paris, lâche Éric Di Meco, qui en connaît un rayon en matière d’empreinte laissée à l’OM. Nous, notre attachement au club, on le montrait sur le terrain. » Niveau symbolique, Payet souffre de la comparaison avec Steve Mandanda. En cause ? Son irrégularité et sa tendance à choisir ses moments. Mais pas seulement : « Payet n’est pas accessible, regrette Rachid Zeroual des South Winners. Quand il croise des gens, il ne les calcule pas, il ne signe pas les autographes aux minots. On en a eu Waddle, Mozer, Francescoli, Papin, qui avaient la grande classe, qui étaient accessibles. Lui est plus dans la provoc’. Mais ce n’est pas parce qu’il est dans la provoc’ qu’il est marseillais. De l’intérieur, il n’est pas marseillais. Il a été adopté, bien sûr, il est respecté. Mais symboliser Marseille, c’est un peu fort. » Pourtant, on peut très bien avoir passé son adolescence au Havre et être considéré par les Marseillais comme un des leurs : Steve Mandanda peut en témoigner. Mamadou Niang aussi. « Je m’étais rapproché de personnes issues de Marseille, et ils m’ont emmené avec Franck Ribéry boire le thé ou manger des couscous chez les gens des quartiers, raconte l’ancien buteur de l’OM. C’est ce qui fait que j’ai été apprécié ici à Marseille, pareil pour Franck. On passait des bouts de soirée à jouer aux cartes avec eux. Ça paraît anodin, mais les gens apprécient. »
Pour Alonzo, cette proximité n’est cependant pas une obligation pour gagner la sympathie du peuple marseillais : « Mamad’, Souley (Diawara), ils étaient proches du public, Benjamin Mendy allait faire sa prière dans une mosquée des quartiers. C’est selon chacun, ils ont des mentalités différentes. Même si on ne te voit pas dans les soirées mondaines, même si on ne te voit pas dans la rue, à partir du moment où tu respectes le maillot, les 100 ans du club, l’étoile et les légendes qui sont passées, c’est terminé, on t’aime. » Franck Conte n’est pas rappeur, mais n’en reste pas moins un artiste marseillais. Il est l’auteur de plusieurs œuvres qui recouvrent les murs des rues de la ville, dont l’une dépeignant le Réunionnais en instituteur donnant la leçon. Et lui aussi a un avis nuancé sur la place de Payet dans l’histoire de l’OM. « Il y a plusieurs recettes pour être adopté ici, explique-t-il. Payet, ça va passer par ses gestes de classe, ses buts en Ligue Europa, son leadership. Est-ce qu’il représente vraiment Marseille ? Il en a envie, c’est certain, mais c’est difficile de le situer. » Di Meco, lui, reste sur sa faim : « Quand on est un leader, il faut être régulier. Son palmarès est vierge, et pour entrer dans le cœur des Marseillais, il faudrait qu’il fasse gagner l’OM. Un grand joueur symbole d’un club, c’est un garçon qui passe rarement au travers… »
« Dimitri a besoin de chaleur humaine »
Une armoire à trophée vide, c’est peut-être aussi ce qui a péché au moment où Dimitri Payet avait la possibilité de conquérir un pays tout entier. En 2016, c’est lui qui prend le costume d’homme providentiel chez les Bleus, en étant décisif contre la Roumanie lors du match d’ouverture et face à l’Albanie au Vélodrome. Si bien que le 19 juin, une étude de l’institut de sondage Odoxa fait de lui le joueur préféré de 25% des Français, plus qu’aucun autre de ses coéquipiers. Une belle revanche pour un gamin de la génération 1987 qui était en situation d’échec à La Réunion lorsque Ben Arfa, Benzema, Nasri et consorts étaient sacrés champions d’Europe U17 en 2004. Mais avant d’arriver à devenir un des pions essentiels de Deschamps dans le retour de la sélection vers les sommets, Dimitri a eu le temps de manger son pain noir. Lui, déraciné à 11 ans de son île de La Réunion pour rejoindre le centre de formation du HAC, a traversé une adolescence turbulente, ponctuée par une formation peu convaincante au Havre qui s’est terminée par un retour à La Réunion. « Des études l’ont montré : plus on déracine un gamin tôt, plus le taux d’échec est important. Avant 15 ans, c’est presque 100%. À cet âge, il faut que le gamin rentre chez ses parents tous les soirs », expliquait Samuel Fenillat, un éducateur du FC Nantes, à Society en 2016. C’est d’ailleurs grâce aux Canaris, par l’intermédiaire de Laurent Guyot, qu’il se verra offrir une seconde chance en métropole.
Mais que ce soit à Nantes, Saint-Étienne ou Lille, Payet est resté considéré comme « quelqu’un de suffisant », comme s’il était toujours en manque de repères. « Il a besoin d’une relation forte avec les gens et de chaleur humaine », confiait Christophe Galtier, son coach chez les Verts. Et s’il se sent aujourd’hui à 100% marseillais, c’est parce que cette ville ressemble un peu à son île, si l’on en croit Fabrice Abriel, lui aussi réunionnais : « Il y a le climat, la chaleur humaine, le côté famille. Dimitri marche beaucoup à l’affect, c’est quelqu’un d’hypersensible, qui a besoin d’un environnement dans lequel il se sent bien, en confiance, pour pouvoir s’exprimer mentalement. » Il y a aussi une question de timing pour expliquer le mariage heureux. « À l’époque, Marseille s’intéressait à son profil et je lui ai conseillé d’aller à Lille, pour jouer la Ligue des champions dans un endroit où il allait pouvoir se tromper, pour ensuite aller à Marseille en ayant déjà vécu ces choses et en étant plus à même d’endosser ce rôle de leader technique, continue Abriel. À Marseille, il faut garder la tête froide et pour cela, il vaut mieux avoir vécu des expériences fortes auparavant. » Et c’est à Marseille, notamment lors du mandat de Marcelo Bielsa, que le déclic a eu lieu. Le Maestro argentin l’a forcé à se mettre au travail avant de lui donner les clés du camion après le départ de Valbuena, un coéquipier avec qui les relations étaient loin d’être idylliques. Comme le résume Christophe Galtier, Marseille a fait du « moustique » Payet « un homme responsable ». Et c’est ça la force de cette ville, qui à défaut de faire du milieu de terrain l’un des siens à jamais, lui donne la possibilité de prendre de l’épaisseur. « Dimitri, si tu arrives à lui dire que tu l’aimes, il est capable de te rendre cet amour au centuple en faisant des merveilles, assure le réalisateur Vincent Manniez, qui avait filmé Dimitri dans le documentaire L’Académie du Foot diffusé sur Arte en 2006. Mais si tu lui rentres dedans ou le trahis, il se braque et c’est terminé. À jamais. C’est quelqu’un de volcanique, comme tous les timides. Et dire d’un Réunionnais qu’il est volcanique, c’est presque un pléonasme, non ? » Puisque Vincent Manniez a l’air d’autant apprécier Dimitri Payet que les figures de style, il doit certainement savoir que la légende Dimitri Payet n’est rien d’autre qu’un oxymore.
Par Jérémie Baron et Mathieu Rollinger
Tous propos recueillis par JB et MR, sauf ceux de Payet et Eyraud (conférence de presse), ainsi que Fenillat, Galtier, Manniez, issus du n°34 de Society.