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Diego, libre dans sa tête
Il y a quelques mois, Diego Costa était prêt à monter dans un avion pour se barrer de Londres. Puis Antonio Conte est arrivé et lui a redonné ce pourquoi l’international espagnol est arrivé en Angleterre il y a maintenant un peu plus de deux ans : être aimé pour tout ce qu’il représente. Le voilà tout en haut, toujours salopard mais intouchable. L’art de la guerre calculée.
Se taire et écouter. « Diego, Diego, Diegooo. » Regarder, admirer ou, pour beaucoup, détester. Mais pourquoi ne tombe-t-il jamais ? Pourquoi se relève-t-il toujours, même lorsqu’il ne tombe pas ? Pourquoi ce visage, pourquoi cette haine, pourquoi cette rage ? Il n’y a qu’à le regarder pour le comprendre : Diego Costa serait un sale type avec tout l’anti-glamour qu’il dégage. Il ne sourit jamais, ne s’arrête jamais et s’en branle pas mal d’avoir de la crasse sur le visage. Il ne vit que pour le succès, il s’en nourrit et peu importe la manière d’y arriver. On parle de lui comme d’un salopard. Vraiment ? Lui l’explique ainsi : « Sur un terrain, j’ai toujours été comme ça. C’est mon personnage et je veux toujours me battre. Je suis une personne différente en dehors du terrain – comme vous pouvez parfois le voir –, mais sur le terrain, je ne changerai jamais. Et je veux dire encore une chose : vous pouvez regarder une nouvelle fois la vidéo et l’interpréter comme vous voulez, mais je peux dormir tranquille parce que je sais que je ne voulais pas faire ça. » Ce jour-là, posé avec le journaliste Fran Guillén, auteur de l’excellente biographie Diego Costa : The Art of War, Costa revient sur les crampons qu’il a enfoncés dans la malléole d’Emre Can un soir de janvier 2015. Tout le monde se rappelle cette soirée comme du début de la haine frontale, lorsque Martin Škrtel avait voulu faire du natif de Lagarto son jouet six mois après son arrivée en Angleterre. Définitivement, Diego se sent incompris, presque victime parfois. Ce qu’Antonio Conte, son nouvel entraîneur à Chelsea depuis quelques mois, a décidé de dénoncer publiquement il y a quelques semaines. Conte est la dernière pièce de l’équation Costa. L’homme qui lui a redonné confiance et l’a retenu en mai dernier avec l’aide du directeur sportif des Blues, Michael Emenalo, alors que l’international espagnol se serait bien vu retourner en Espagne où Diego Simeone n’attendait que ça. Mais il est surtout devenu une crapule magnifique. Quitte à provoquer autant de haine, autant le faire avec des lauriers.
« Je vais à la guerre. Vous venez avec moi. »
Pour comprendre ce qu’il s’est passé pour lui en plus de deux ans en Angleterre, il faut revenir au premier jour. L’été 2014, celui d’après. Diego Costa a passé les semaines précédentes à se faire cracher dessus par un public brésilien amer de le voir disputer une Coupe du monde avec l’Espagne, ce pays qui l’a « sorti de la misère » et à qui il avait « envie de rendre tout ce qu’il[lui] avait donné » . Alors, après une finale de Ligue des champions perdue contre le Real, il quitte l’Atlético et Simeone pour Chelsea et Mourinho. La première journée à Cobham, le centre d’entraînement des Blues, a conditionné la suite. Costa est face à Gary Cahill, John Terry, Branislav Ivanović et Nemanja Matić, des types qu’il a fait souffrir trois mois plus tôt lors d’une demi-finale de C1 où le Brésilien avait porté un Atlético vainqueur à Stamford Bridge (3-1) et écouté son futur public lui hurler à la gueule ceci : « Diego Costa, we’ll see you next year. » À ses côtés, son pote Oscar veut l’intégrer et le laisse parler. Diego regarde alors ses nouveaux coéquipiers : « Je vais à la guerre. Vous venez avec moi. » Au fond, l’attaquant était fait pour construire une partie du Chelsea détesté de Mourinho. Alors, le Portugais a souhaité en parler comme ça : « Ma priorité était de prendre un buteur. Si on regarde notre saison dernière [la 2013-14, ndlr], le premier but de l’un de mes attaquants lors d’un match à l’extérieur a eu lieu à Southampton pour le jour de l’an. Finalement, Torres en a marqué trois, Demba Ba deux et Eto’o n’en a pas marqué un seul. Je connais Diego depuis qu’il est arrivé du Brésil à l’âge de dix-sept ans. C’est un mec pour qui la vie n’a pas été simple, personne ne lui a jamais rien donné gratuitement et il a toujours dû se battre. Il n’a peur de rien, il est prêt à tout. »
La suite ? L’affinage, celui du personnage Costa dans la lignée de celui qu’il était – peut-être encore plus détestable ? – en Espagne où il était devenu la cible préférée de la paire Ramos-Pepe. En Angleterre, le Brésilien a tamponné Koscielny, a calé son crâne dans la tête de David Luiz et n’a jamais cessé de provoquer. Mais pourquoi ? Pour gagner, rien de plus. C’est aussi une question de survie pour lui, et Mourinho l’avait compris avant de le détruire dans une guerre psychologique qui a failli coûter son départ. « Diego a ce besoin d’être aimé, d’être entouré par un groupe qui a envie d’aller au feu, analyse Christophe Lollichon, toujours à Chelsea, mais aujourd’hui plus éloigné de l’équipe première. Il ne lâche jamais, sauf quand la relation humaine est détériorée. Il faut simplement comprendre que c’est un compétiteur. Il n’est pas fou, il utilise tous les moyens pour faire sauter son défenseur. Et à l’entraînement, il a cette même rage que pouvaient avoir Lampard ou Drogba. Il est pareil en séance que sur un terrain le week-end, même dans un petit jeu réduit. » Il faut juste comprendre le personnage, et Conte l’a fait à un moment où Costa s’était refermé sur lui-même. Mais il est revenu, comme toujours, dans un monde qu’il s’est construit, dans un temps qu’il dicte à son rythme pour aujourd’hui être le meilleur buteur de Premier League avec Agüero dans un Chelsea qui sourit de nouveau.
Diego Costard
La victoire du week-end dernier contre Tottenham (2-1) n’a fait que confirmer le retour du Costa que l’Angleterre aime détester. Oui, il peut utiliser toutes les saloperies pour arriver à ses fins. C’est aussi une réponse à la haine qui l’entoure et l’accomplissement du rêve de son père, José Jesus Costa, qui voulait un footeux dans la famille. Et si Diego Costa n’était qu’un incompris en guerre contre le destin ? Depuis son arrivée en Angleterre, le Brésilien n’a jamais reçu un rouge et a provoqué un paquet de jaunes. Et l’histoire raconte surtout celle d’un mec réputé « adorable et attachant » en dehors. S’il affirme ne « pas être un ange » sur le terrain et l’assumer, Costa avance souvent sa joie de vivre dès le pied posé hors de la pelouse. L’Angleterre du foot aime les sales gueules, elle les déteste et les adule. Diego Costa est ce genre de type : celui que l’on rêve de voir dans notre équipe et sur qui l’on crache quand il est contre nous. L’attaquer est en réalité un aveu de faiblesse, comme Dembélé a pu le faire l’an dernier avec une fourchette calée dans les yeux. Lui répondre aussi, donc. Car il aime ça, n’est jamais plus fort que lorsqu’il se sait détesté, et sa saison actuelle ne fait que le prouver. Diego Costa est là, plus que jamais en haut. Intouchable et indétrônable. Les yeux plongés dans le regard adverse. Se taire et respecter.
Par Maxime Brigand
Propos de Christophe Lollichon recueillis par MB.