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  • Disparition de Diego Maradona

Diego, les communistes indiens et Mère Teresa

Par Guillaume Vénétitay
5 minutes
Diego, les communistes indiens et Mère Teresa

En décembre 2008, Maradona débarquait pour la première fois en Inde. C’était à Calcutta, rare ville de foot du pays. Retour sur une visite lunaire organisée par ses camarades communistes et qui a achevé d’ancrer Diego comme un dieu local.

À quoi pensait Diego Maradona lorsqu’il a grimpé sur cette vieille bagnole plantée sur la piste d’athlétisme du Salt Lake Stadium de Calcutta ? Autour de lui, un cortège de flics en kaki, des photographes, et vingt-deux figurants sur la pelouse pour un match d’exhibition en son honneur. L’Argentin, chemise grise et jean trop large, harangue des dizaines de milliers de personnes parquées dans les tribunes. « C’est le deuxième plus bel accueil de ma vie après Naples », racontera à une télé locale un Maradona flagorneur. L’homme en a vu d’autres, mais il ne s’attendait pas à un tel accueil en Inde, pays fou de cricket : « J’ai eu l’impression d’être le président des États-Unis, ce pays que je hais de toutes mes forces. »

Cette invraisemblable virée de deux jours dans la capitale de l’État du Bengale-Occidental a pourtant presque capoté au dernier moment. En décembre 2008, l’Inde sort éprouvée des attentats de Bombay (188 morts). Maradona, tout juste nommé sélectionneur de l’Albiceleste, n’est pas loin d’annuler sa venue. Il s’est ravisé et a constaté son aura universelle.

50 000 personnes à l’aéroport

Lorsqu’il débarque dans la nuit du 5 décembre, près de 50 000 personnes l’attendent à l’aéroport. Comme beaucoup, Calcutta avait adopté Maradona lors de la Coupe du monde 1986. À distance, sans imaginer qu’un jour, l’Argentin déboulerait dans ses rues. Il n’y avait pas grand-monde sur place pour envisager la venue du meilleur joueur de foot de l’histoire. Et ce n’est pas la Fédération indienne qui a invité El Diez. Ce sont les communistes marxistes, alors à la tête du Bengale-Occidental, qui ont activé leurs réseaux et réussi l’inimaginable. « On a réussi à avoir un rendez-vous en octobre en Argentine grâce à son ex-femme Claudia. On était tendus. Il nous a enlacés, et on avait l’impression de parler à quelqu’un de normal », rejoue Samik Lahiri, député rouge de la banlieue de Calcutta. La visite de Maradona deux mois plus tard est presque entièrement cornaquée par les communistes. Diego reçoit un portrait du Che avant d’aller saluer un vétéran du parti, Jyoti Basu, qui avait reçu Fidel Castro en 1973. « Fidel est mon ami. Tout ami de Castro est mon ami. Donc, vous êtes mon ami », glisse l’Argentin. L’autre moment fort du voyage express, c’est la rencontre de Maradona avec les religieuses de la congrégation fondée par Mère Teresa à Calcutta. « C’était irréel. On a vu le plus grand joueur de tous les temps pleurer, inconsolable dans ce lieu. On avait l’impression que quelque chose n’allait pas, mais les sœurs nous ont dit que tout allait bien », se souvient Bhaswar Goswami, un autre organisateur.

Calcutta, double visage comme Diego

Et le foot dans tout ça ? Pas grand-chose. Un match d’exhibition auquel il ne participe pas, quelques ballons envoyés aux fans le lendemain lors de l’entraînement d’un club du coin. Il y a eu aussi cette première pierre posée pour la construction de la Maradona Indian Football School dans la circonscription de Samik Lahiri. Douze ans plus tard, l’académie n’a jamais vu le jour. Le numéro 10 avait pourtant mené une levée de fonds et mis aux enchères ses crampons. Il avait fait le show, enlevé sa cravate, et les chaussures étaient parties à 500 000 roupies. Il ne restait peut-être que ça à Maradona, personnage qui ne s’appartenait plus vraiment, et qui, même en Inde, laissait à chacun le soin de prendre sa part de Dieu. Camarade, religieuse, et parfois à un fan fortuné.

On aurait tort de ne voir dans cette visite qu’un cirque et une énième étape d’une icône survivant à coups de voyages galetteux. On peut aussi se dire que Maradona et Calcutta se ressemblaient trop pour s’éviter éternellement. C’est à Calcutta que la lutte pour l’indépendance du pays a pris corps. Il y avait ces réunions de révolutionnaires dans la grande salle ouatée de l’Indian Coffee House. Et il y a eu ce match de foot en 1911, cette victoire du club de Mohun Bagan, de ses onze briscards pieds nus qui ont été les premiers locaux à faire la nique à un régiment anglais lors de l’IFA Shield. C’est aussi à Calcutta que l’on trouve une des rares poches de foot du pays et l’un des derbys les plus fous d’Asie entre East Bengal et Mohun Bagan, avec des supporters prêts à mourir pour leur club (au sens premier du terme, un fan s’est suicidé après une défaite en 1975). Calcutta est une belle pouilleuse, une toquée qui se débat contre une injuste image de misère et se flatte, à raison, d’être la cité intello du pays, celle de Rabindranath Tagore et de Satyajit Ray. Elle charrie trop de contraires, comme Diego. Dans la mégapole, on se réchauffe souvent avec cette maxime : « Ce que dit Calcutta aujourd’hui, l’Inde le pensera demain. »

Alors, Diego revient neuf ans plus tard. Les rouges ne sont plus là, chassés par un parti ouvertement anticommuniste, et l’Inde s’embourbe dans le nationalisme hindou. En 2017, Maradona a alors repris ses kilos de trop et sa silhouette de peine. Il s’offre quelques jongles avec des gamins, « promet d’amener le football en Inde », étreint une autre icône de la ville, le cricketeur Sourav Ganguly. Il y a moins de frénésie, mais Calcutta l’accueille toujours comme l’un des siens. Au point de dévoiler une statue de quatre mètres de haut à l’effigie du Pibe de Oro. La sculpture est rapidement brocardée sur les réseaux sociaux pour sa ressemblance lointaine avec Maradona. Pas très grave pour les fans. À l’annonce de sa mort mercredi, des milliers ont défilé à ses pieds et déposé guirlandes ou bougies pour leur idole. Qu’importe les visites express, la farce de l’école de foot ou ce monument infidèle : Calcutta a fait de Maradona l’un de ses dieux.

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Propos de Lahiri et Goswami tirés d’une dépêche de PTI

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