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Diego le Blanc

Par Alexandre Doskov
Diego le Blanc

À part le ballon, l'autre grand amour de Diego Maradona était blanc et en poudre. Son addiction à la cocaïne l'a accompagné durant presque toute sa carrière et même après, entre tests antidopage truqués, amis infréquentables et rechutes permanentes.

Assis sur une chaise de bureau au milieu d’un garage sordide en short, vêtu d’un jean, d’un T-shirt noir sans forme et coiffé de cheveux bouclés un peu sales en bataille, Diego Maradona s’anime, parle vite et fort en agitant les mains dans tous les sens. Avec ses boucles d’oreille en diamant et sa croix en argent au bout de sa chaîne, on pourrait croire la scène tout droit sortie du film Snatch. Mais El Pibe de Oro est en interview avec Emir Kusturica pour présenter le documentaire que lui a consacré le réalisateur serbe. « Emir ! », interpelle Maradona avant de poser en espagnol le genre de question qui ne sert à rien si ce n’est à alimenter la machine à fantasmes et à regrets : « Sais-tu quel joueur j’aurais pu devenir si je n’avais pas pris de cocaïne ? » Marado marque une pause, opine du chef, puis met ses mains en prière pour conclure sur un terrible : « Quel joueur nous avons perdu ! J’ai un goût amer en bouche, parce que j’aurais pu être bien plus grand. Je vous assure ! » Mais une question en appelle une autre : sans cet éternel compagnon qu’a été la cocaïne, Maradona aurait-il été Maradona ? Son arrestation en mars 1991 menotté en chemise à motifs, écrasé par la meute des journalistes, puis sa tête de dément un peu suspecte après son but face à la Grèce au Mondial 1994, ses contrôles positifs, l’arrêt cardiaque qui a failli le tuer en 2004… La légende de Diego s’écrit aussi ici. Dans des traînées de poudre et dans des soirées auxquelles ne devrait pas participer un sportif de haut niveau. Une folie permanente qui fait que Maradona n’est pas qu’un simple génie du football, mais une icône populaire qui a explosé les cadres du sport.

Chacun sa mafia

Quel joueur aurait été Maradona sans la cocaïne ? Même avec, le garçon s’en est plutôt bien tiré. Et si c’est lors de son passage un peu chaotique à Barcelone que Maradona a croisé la route de la blanche pour la première fois, c’est à Naples que l’histoire d’amour battra son plein. Ville folle, explosive comme le Vésuve qui la borde, Naples était faite pour accueillir le génie fantasque de Maradona. L’Argentin y est tout simplement devenu un dieu, y compris pour les gros bonnets de la mafia locale. Les connexions entre Maradona et les parrains napolitains sont toujours restées floues. Niées par le joueur, fantasmées par le public et les journalistes, elles ont fini par être en partie confirmées en 2011 lors du procès de Salvatore Lo Russo, ancien boss du quartier de Miano, une des places fortes de la Camorra. « Je suis devenu un ami proche de Maradona, qui a souvent fréquenté ma maison et affirmait apprécier ma compagnie. À quelques reprises, il m’a demandé si je pouvais lui trouver de la cocaïne pour sa consommation personnelle », balance le chef de clan dans sa déposition avant de dévoiler cette anecdote hallucinante : le trophée de meilleur joueur du Mondial 1986 de Maradona, planqué dans le coffre-fort d’une banque, a été volé par un clan rival en 1989, puis fondu en lingots d’or. Mafia ou pas, la vie napolitaine de Maradona est débridée et surtout poudrée. Corrado Ferlaino, le président du club, se démène pour le couvrir en lui filant des pipettes d’urine propre, ou en utilisant ses connexions pour que des médecins qu’il connaît et soudoie s’occupent des contrôles de l’Argentin. Mais après sept saisons, le séjour de Maradona prend fin dans les larmes avec le contrôle positif à la cocaïne en mars 1991 qui lui vaut quinze mois de suspension.

Le café qui fait courir vite

Là encore, la machine à spéculations tourne à plein régime et certains jurent que c’est la mafia elle-même, agacée d’entendre Maradona parler de ses velléités de départ, qui a organisé sa chute. Et dire que trois ans plus tôt, en mai 1988, Maradona avait participé avec Zico, Matthäus, Francescoli et plein d’autres au jubilé de Michel Platini à Marcel-Picot. Un match censé soutenir la lutte contre les drogues au cours duquel Maradona jouait avec un maillot floqué « No drug ». Après le drame de 1991, le footballeur-noceur retourne se faire une santé en Argentine chez les Newell’s Old Boys, et retrouve la sélection avec laquelle il se prépare à disputer le Mondial 94. Les qualifications se passent mal, l’Albiceleste termine en barrage contre l’Australie. Un match aller terminé à un partout et l’Argentine est bonne pour un match retour de la mort. Surprise, aucun contrôle antidopage n’est prévu, ce dont les Australiens se plaignent en vain. Les Argentins l’emportent et attrapent leur ticket pour le Mondial En revenant sur l’incident en 2011, Maradona s’amusait : « Avant l’Australie, on nous a donné un café qui rend plus rapide. Ils ont mis quelque chose dans notre café, et on a couru plus longtemps. » De la provoc, qui ne fera pas oublier que le Mondial américain de Maradona avait été un chant du cygne à l’image de l’homme. Entre génie à l’état pur avec ce but incroyable contre les Grecs, et gâchis avec son contrôle positif en pleine compétition. Si la substance retenue n’est pas la coke, mais de l’éphédrine, les médecins de la FIFA indiquent qu’on a retrouvé un cocktail de cinq produits différents dans ses flacons.

La chute finale

Et alors qu’en 1989, Maradona avait opté pour une ligne de défense offensive avec un tonitruant « Je ne me suis jamais drogué pour gagner un match, ni joué sous les effets de stimulants, le reste appartient à ma vie privée », cette fois, il se montre abattu : « Je ne veux plus me venger. Ils ont brisé mon âme, ils m’ont coupé les jambes. » Ce coup-ci, ça sent le sapin à plein nez et personne n’imagine le revoir un jour sur un terrain. Il tente bien le coup du complot en accusant la FIFA de ne pas avoir fait un contrôle au hasard comme elle était censée le faire, mais de l’avoir visé lui directement. Mais pas question d’abandonner. Maradona remet le pied à l’étrier, s’entoure de culturistes pour sa préparation physique, demande même au sprinteur déchu pour stéroïdes Ben Johnson de l’aider. En Argentine, où il reste une idole absolue, on lui donne une nouvelle chance, et Boca Juniors l’engage. Après une saison 1995-1996 correcte, il participe au match d’ouverture de la saison 1997 et marque même un penalty contre Argentinos Junior. Le dernier but de sa carrière. Un contrôle inopiné après la rencontre le grille à nouveau : il est positif à la cocaïne. À trente-six ans, il est définitivement fini après avoir fait parler la poudre une fois de trop.

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