- Disparition de Diego Maradona
Diego au Mexique : une histoire d’amour de l’Azteca au Sinaloa
Depuis le Mondial mexicain qu’il a fait sien en 1986 à son passage sur le banc des Dorados de Sinaloa où il s’est transformé en entraîneur à succès, Diego Maradona avait noué un lien affectif particulier avec le Mexique.
En temps normal, le stade Coruco Diaz de Zacatepec, petite bourgade à deux heures de Mexico, n’accueille que 3000 personnes. Mais en cet après-midi de novembre 2018 encore chaud, près de 15 000 spectateurs s’amassent pour ce match de deuxième division face aux Dorados de Sinaloa. Des maillots de Boca Juniors ou de l’Argentine époque 1986 fleurissent. Le ton monte entre un stadier et un fan : « Je m’en fous de votre équipe de merde ! Moi, je suis venu voir Maradona ! » El Pibe sort alors du tunnel, traînant difficilement ses 58 ans de carcasse, que ses genoux ne parviennent plus à mouvoir. En poste depuis un mois à la tête de Sinaloa, il est venu au Mexique débouchonner le flacon d’un parfum vieux de 32 ans.
Diego a tissé un lien impérissable avec cette nation de foot, qui manquait cruellement d’idoles. En 1986, il débarque dans un pays meurtri : le séisme de 1985 et ses milliers de morts dues aux malfaçons immobilières avaient révélé toute la corruption du pouvoir mexicain, ce qui avait enragé El Diez à son arrivée. D’ailleurs, l’Albiceleste était la seule sélection à ne pas dormir à l’hôtel. Elle occupait les installations de l’America. Après l’élimination d’El Tri en quarts de finale, les Mexicains s’amourachent pour ce vaurien qu’ils considèrent comme l’un des leurs, ce cerf-volant cosmique et sa chevauchée fantastique face aux Anglais. Dans les gradins, l’écrivain Juan Villoro, 30 ans à l’époque, est l’un des 120 000 témoins du chef-d’œuvre de Dieu. « Diego a montré la fibre particulière que possèdent les héros. Le dramatisme était son apéritif. Avant chaque match et avec toute la pression du monde, le gaucher faisait pourtant la sieste profonde qui est celle des innocents. »
Le Prince des voleurs
Car le but de la main face à l’Européen est à l’image du quotidien des Mexicains : colonisés par les Espagnols, rendus invisibles par l’aristocratie puis gangrenés par la corruption qui les pousse à vivre comme ils le peuvent, quitte à voler ou enfreindre les lois. En ce 22 juin 1986, le stade Azteca va naturellement chavirer et scander « Ma-ra-do-na ! Ma-ra-do-na ! » Quelques jours plus tard, au même endroit, le numéro 10 à son zénith soulèvera la Coupe du monde dans une arène au bord de l’implosion. Restera ensuite l’image de bouclettes noires et d’un blanc sourire sous un large sombrero. Le sélectionneur Maradona aura beau éliminer El Tri avec l’Argentine en Coupe du monde 2010, Pelusa sera toujours bien accueilli par un pays qui, aujourd’hui, s’enorgueillit d’avoir été le théâtre des exploits de Dieu.
En septembre 2018, il signe un pari fou à Culiacan, dans le Sinaloa, où les coups de feu sont du paysage sonore, et où la tête du leader du cartel local est mise à prix pour 5 millions de dollars. Le lien d’El Pibe avec la cocaïne est vite arrivé. « L’info la plus importante sortie du Sinaloa, c’était la fuite du trafiquant El Chapo Guzmán », rappelle Antonio Nuñez, président des Dorados, dans la série Netflix Maradona au Mexique. D’autant que le propriétaire du club, Jorge Hank Rhon, possède un long CV : corruption, possession d’un bébé tigre, implication dans le meurtre d’un journaliste, incarcération pour port d’arme… Un cocktail explosif que ne pouvait refuser Diego.
« J’aime le Mexique et j’aime ce club »
En Liga de Ascenso, le nom de Maradona résonne dans les stades, et des clubs obscurs explosent leur record d’affluence. Contre toute attente, les Dorados renaissent. En décembre 2018, Diego confie à So Foot (n°162) : « Depuis mon arrivée, je ne suis toujours pas retourné en Argentine, même pas pour embrasser Benjamin, mon petit-fils. Après trois semaines ici, je n’avais plus envie de rentrer. J’aime le Mexique et j’aime ce club. » Les Dorados atteignent la finale des deux tournois d’accession sans l’emporter. Mais avec les polémiques, une exclusion sous ovation du stade, les vidéos de Dieu dansant la cumbia dans le vestiaire ou descendant des shots de tequila, l’opération Maradona au Sinaloa est une réussite : lessivé par les excès, seul le ballon le maintient en vie. « Sentir le parfum de l’herbe n’a pas de prix. C’est pour continuer à vivre ce genre d’émotions que je fais ce métier. »
Mercredi, à l’annonce de son décès, des fans mexicains de Pelusa se sont succédé sur le parvis du stade Azteca. Un Argentin, Francisco, maillot de Boca Juniors floqué d’El Diez sur les épaules, est là : « C’est ici. C’était l’endroit où venir. » Venir pour ne rien faire, simplement regarder la cathédrale du foot, pensif. À l’intérieur, une couronne de fleurs blanches a été déposée devant les cages qu’El Pibe a fait trembler 34 ans plus tôt. Sur la structure du stade, une plaque où l’Azteca personnifié « rend hommage à Diego Armando Maradona pour son but extraordinaire marqué lors du match Argentine-Angleterre. » Cela fait bien longtemps que Diego est chez lui à Mexico.
Par Diego Calmard, à Mexico
Merci à Raúl Ochoa, journaliste au magazine Proceso