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Didier Notheaux, mort d’un bagarreur

Par Matthieu Pécot
Didier Notheaux, mort d’un bagarreur

Didier Notheaux s’est éteint ce mercredi, à 73 ans, des suites d’un cancer contre lequel il se bagarrait depuis sept ans. La bagarre ? Un mot qui résume parfaitement la carrière de joueur et d’entraîneur du natif de Déville-lès-Rouen, où il a toujours été question de persévérance, de camaraderie et de main dans la gueule.

Rennes, été 1991. Bon dernier de Division 1 mais maintenu dans l’élite grâce aux relégations administratives de Bordeaux, Brest et Nice, le Stade rennais a décidé d’aborder la saison 91/92 avec un nouvel entraîneur : le légendaire Raymond Keruzoré a été invité à laisser sa place à Didier Notheaux. Après trois journées et autant de défaites, le club breton prépare la réception du champion en titre marseillais dans un contexte tendu et cocasse : comme pour chacune des séances d’entraînement depuis le début de la saison, Keruzoré, encore salarié du club, se pose derrière la main courante, et passe son temps à pourrir le travail de Notheaux, lui envoyer des vannes, lui faire comprendre qu’il est un bon à rien, en somme. Ce grand gaillard de Notheaux s’approche alors de Keruzoré et lui envoie une grande claque dans la figure. Les présentations avec le peuple rennais sont faites : Didier Notheaux est un homme à qui il ne faut pas chercher des noises.

Keruzoré savait forcément à quoi il s’exposait, Notheaux ayant déjà pas mal de bastons mémorables à son palmarès. Jamais par amour de la violence, toujours dans le but de faire régner la justice.

Coup de boule, SNCF et épopées

Ainsi, le 8 octobre 1983, quand son capitaine au Havre Abdel Djaadaoui ressort avec un double fracture tibia-péroné et un os qui sort de la chaussette après un duel avec Gaspard N’Gouette, le justicier à moustache avance d’un pas décidé sur la pelouse de Jules-Deschaseaux et envoie un coup de boule à l’avant-centre du Stade français. Ces règlements de compte à l’ancienne, dignes des personnages de Frank Margerin, façonnent autant la légende de Didier Notheaux qu’ils ne l’enferment dans la catégorie des bourrins, ou du moins des gens qui ne sont pas sensibles à la poésie.

« Contrairement à ce qu’on raconte, Didier était quelqu’un de fin. Il était très bon techniquement. Il avait un super jeu de tête, un tacle naturel incroyable, c’était aussi un super tireur de coup franc » , recadre Claude Le Roy, qui sait de quoi il parle. Les deux lascars se connaissent depuis toujours. Ils sont nés à deux jours d’intervalle, en février 1948, en Haute-Normandie. De mémoire de Le Roy, c’est à 13 ans qu’ils font véritablement connaissance, lors de l’étape régionale du Concours du plus jeune footballeur 1961. Le début d’une amitié éternelle. Les personnalités de Notheaux le consciencieux et de Le Roy le bordélique s’emboîtent à la perfection. Grâce à son papa qui y travaille toute l’année, le jeune Didier bosse chaque été à la SNCF avec enthousiasme. «  »Grâce à ça, j’ai des points de retraite », qu’il me disait alors qu’on était encore des gamins » , rigole encore Le Roy.

Toutefois, le vrai train-train de Notheaux, c’est le football. « Notre rêve à tous les deux, c’était de jouer en D1 et on l’a fait » , poursuit The King. Du foot et de la rigolade, voilà de quoi était faite la jeunesse des deux camarades. Le Roy joue déjà en équipe première du FC Rouen en D1 (1968-1970) et vit en colocation avec trois coéquipiers. « Mais en vrai, on était plutôt cinq. Didier vivait encore chez ses parents à Déville, mais il passait son temps chez nous, à jouer au barbu et au tarot » . Au milieu de ça, quelques conneries de jeunesse, qui lui valent d’être exclu du FCR. Cela ne dure pas très longtemps. « C’était une incartade de gamin, je ne me souviens même plus de quoi il s’agissait. Avec deux-trois autres, on est allés plaider sa cause auprès de la direction et ils l’ont finalement repris. Mais c’était comme ça avec Didier, il devait toujours surmonter plus d’épreuves que les autres, rien n’était facile. Mais il est toujours resté debout » .

Pourquoi il a été surnommé Attila ? C’est simple : quand il passait dans les 16 mètres 50, l’herbe ne repoussait plus.

À l’intersaison 1970, le FCR est rétrogradé administrativement en deuxième division. Le talentueux Le Roy file à Ajaccio et Notheaux vit sa première expérience en équipe première du FCR (avant d’y revenir de 1977 à 1980). Ses quatre belles saisons passées au stade Robert-Diochon, la plupart du temps comme défenseur central et occasionnellement en milieu défensif, lui permettent d’accomplir son rêve : direction la D1. Recruté comme… avant-centre par le RC Lens d’Arnold Sowinski en 1974, Didier ne s’appelle plus Didier. Chez les Sang et Or, on l’a baptisé « Attila » , en référence à sa majestueuse moustache et son côté guerrier. « C’est simple : quand il passait dans les 16 mètres 50, l’herbe ne repoussait plus » , poétise Le Roy. Notheaux restera deux ans à Lens et repartira avec dans ses valises une finale de Coupe de France 1975 perdue au Parc des Princes contre le grand Saint-Étienne (2-0, buts de Piazza et Larqué).

Après un pige à Rennes et un deuxième passage à Rouen, Notheaux, 32 ans, pense déjà à l’après-carrière de joueur. Le Roy explique : « Depuis tout jeune, il dormait chaque nuit avec une gouttière au genou pour ne pas qu’il se bloque. Je vous dis que rien n’a été facile pour lui ! Mais il ne se plaignait jamais » .

Une icône du foot normand

Un mal pour un bien, tant le métier d’entraîneur lui semble immédiatement taillé sur mesure. Le voilà parti écrire l’histoire à Lisieux. Sa première saison comme entraîneur-joueur, ponctuée par une montée en D3, le convainc de se lancer pour de bon dans sa nouvelle vie de coach. Trente-neuf ans après les faits, le club du Calvados n’a toujours pas connu de plus grand moment que cette fabuleuse aventure en Coupe de France 1982, achevée en 16e de finale contre le Bordeaux des Giresse, Trésor, Tigana et Lacombe (0-0 à l’aller, 5-0 au retour). Interrogé au cœur de cette épopée par France Football, Notheaux illustre la motivation à toute épreuve de ses joueurs amateurs avec l’exemple de Jacques Auber, son stoppeur qui, parce que sa voiture était en panne, était venu aux entraînements de la semaine au volant de son tracteur. L’agriculteur avait fait partie des héros au tour précédent, contre Lille (D1), au terme d’un match épique. Auber avait prouvé ce soir-là que son pied droit pouvait servir à appuyer sur la pédale d’accélérateur de son bolide, mais aussi à transformer le septième tir au but lexovien d’une série folle (0-0, 9-8 tab).

Si le monde est petit, la Normandie a une taille suffisamment raisonnable pour que Jean-Pierre Hureau, l’emblématique président du HAC, s’empresse de mettre la main sur la nouvelle coqueluche du foot local. « C’était un type remarquable. Un peu brutal parfois, pas vraiment sentimental, mais si attachant. C’était un vrai leader, un excellent entraîneur. Il laisse au club une empreinte indélébile » , s’est ému cette semaine Jean-Pierre Hureau dans les colonnes de Paris-Normandie. Tout Rouennais qu’il est, Notheaux mérite une statue au Havre. Il est l’homme qui a permis au club doyen, après vingt-trois ans de D2, de retrouver l’élite, à la faveur d’une victoire contre Mulhouse et son coach Raymond Domenech (1-0, Pascal Pain). Le reportage télé de l’époque atteste de l’incroyable ferveur de ce 11 mai 1985.

La suite de l’œuvre de Didier Notheaux, qui a ensuite navigué entre la D1 et la D2 (Mulhouse, Reims, Rennes, Valence, Sochaux, Saint-Denis Saint-Leu), racontait la même histoire : celle d’un passionné qui mettait l’homme au cœur de tous ses projets. « Le terme est galvaudé aujourd’hui, mais Didier était profondément humaniste » , pose Claude Le Roy. Ce qui ressemble à une qualité va pourtant parfois se retourner contre lui. Notheaux était un type « à l’ancienne » , proche de ses joueurs, avec qui il allait naturellement boire un verre pour fêter les victoires, accepter les matchs nuls et digérer les défaites. Une aubaine pour un football français et une presse qui possédaient déjà leur part de malveillance. « Il buvait de temps en temps un verre avec ses gars et on l’a fait passer pour quelqu’un qui transformait ses joueurs en ivrognes, déplore Le Roy. Tout le monde pensait que ça ne l’affectait pas, mais derrière ses airs de dur à cuire, c’était un hypersensible. Il a souffert de ce mauvais procès. » Tous ceux qui ont croisé la route du Normand savent qu’il n’avait rien d’un alcoolique notoire. Un épicurien, voilà qui était Didier Notheaux. Et aussi un homme qui savait enlever son étiquette de type rustre pour s’ouvrir sur le monde.

La Casamance avec Françoise

Sûrement influencé par son copain pionnier Claude Le Roy, Notheaux a fini par partir à l’aventure, à chaque fois avec Françoise, son épouse. Il y a eu la Chine, où il s’est retrouvé directeur technique du Guangzhou FC. Le gamin de Déville, 57 ans, se retrouvait alors propulsé à Canton, ville de 15 millions d’habitants. Ces quelques mois n’ont pas été les plus marquants de sa carrière. La fin, en Afrique, semblait correspondre davantage à son profil. Mais les expériences comme sélectionneur du Burkina Faso (deux fois) et du Bénin ( « il avait adoré le Burkina Faso » ) ont finalement été assez furtives et Didier Notheaux a arrêté d’entraîner en 2007 et est rentré dans la Drôme, sa deuxième maison.

Il n’y avait plus le foot, mais il y avait tout le reste : la clope, les vacances en Casamance au Club Med avec Françoise, le golf et les copains. Claude Le Roy ne pourrait pas écrire un livre sur son pote, mais des dizaines. Il se rappelle de tout, y compris des vacances d’été sacrifiées à cause du diplôme d’entraîneur, que Notheaux a laborieusement obtenu du cinquième coup. « Ça avait lieu à Vichy, ça durait trois semaines, tous les jours, de 6h30 à 23h, on était 5 à l’avoir sur 150 candidats. Didier était hyper organisé, il apportait son réchaud à gaz et son thermos, et c’était un lève-tôt, alors il m’apportait le café au lit à 6h. Il était si gentil… » Et puis, forcément, il y avait des conversations nocturnes interminables autour du foot, y compris pour défendre des points de vue pas à la mode. « Moi, j’aimais que mes équipes ressortent le ballon avec des passes courtes. Lui me disait : « Attends, t’as été attaquant, tu sais très bien que tous les défenseurs n’aiment pas les longs ballons. Il suffit que tu aies un attaquant qui soit bon de la tête pour que la relance longue soit une vraie arme ». »

Enfin, il y avait les anniversaires. Didier Notheaux, né le 4 février, était du genre à se souvenir des dates. Souvent, le 5 février, il appelait Claude Le Roy : « Je t’appelle pour te dire que demain, je t’appellerai pour te souhaiter ton anniversaire, même si tu as oublié le mien hier » . Puis il raccrochait. Il y a trois ans, il n’avait pas eu besoin de prendre son téléphone, il s’était rendu en personne à Saint-Malo pour célébrer les 70 ans de son ami d’enfance. La fête était belle, le repas et le vin étaient bons. Surtout, les invités s’étaient tenus à carreau, ce qui n’était pas gagné d’avance, puisque Raymond Keruzoré, le vieil ennemi de Notheaux, à qui il n’avait pas reparlé depuis leur embrouille rennaise, était également de la partie. Vient alors le génie tactique de Claude Le Roy : « J’avais fait gaffe au plan de table » . Et Keruzoré a sans doute dû faire gaffe à ne pas faire trop de vannes.

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Par Matthieu Pécot

Propos de Claude Le Roy recueillis par MP
Archives : Matthieu Lecharpentier (@mattcharp) et Jean-Marc Pécot

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