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Didier Deschamps : réparer les présents
Parmi les 23 joueurs convoqués ce jeudi par Didier Deschamps pour le déplacement en Islande (vendredi 11) et la réception de la Turquie (lundi 14), un certain nombre d'entre eux doivent se remettre de pépins physiques, surmonter des déceptions de faire banquette ou d'une cinglante défaite. Tant de cicatrices héritées de leur vie en club avec lesquelles le sélectionneur doit aujourd'hui composer.
C’est toute la complexité d’être décideur dans l’univers parallèle qu’est le football de sélection. Au moment d’annoncer sa liste pour le rassemblement du mois d’octobre, Didier Deschamps a laissé deviner toute la complexité de gérer l’état de forme des uns et le blues des autres. Blessures, convalescences, temps de jeu, grosses défaites, situations contractuelles… tant de paramètres obligeant le sélectionneur à une certaine gymnastique intellectuelle. Ce jeudi, Didier Deschamps n’a même pas eu le temps d’évoquer les principaux absents (Umtiti, Laporte, Fekir), si ce n’est Paul Pogba, touché à la cheville lundi face à Arsenal. « Il est immobilisé pour trois semaines, c’est toujours embêtant » , soufflait-il. Cette fois, le Basque a dû éclaircir un à un les cas des joueurs présents malgré leur corps cabossé ou avec leur tête tourmentée. Tant de choses, dont il n’est finalement pas responsable, puisqu’il ne fait que récupérer des hommes usés ou réparés après un petit mois en club depuis le rassemblement de septembre.
Viens voir le docteur, non n’aie pas peur
La boîte de pansements à disposition, Didier Deschamps s’apprête à accueillir lundi à Clairefontaine des cadres ayant vécu une semaine compliquée. À commencer par Hugo Lloris qui s’est mangé la bagatelle de sept buts mardi contre le Bayern, et reste également sur une belle cagade le week-end précédent. « En regardant de près, j’ai du mal à lui accorder une responsabilité sur les 7. Le Bayern a eu de la réussite, Hugo ne peut pas faire grand-chose sur ces situations, relative DD avant de disséquer la bourde de Southampton. Comme à chaque fois qu’un gardien commet une erreur grossière, les images passent en boucle. Ce sont des prises de risques, parfois ça peut tomber du mauvais côté. Mais il a cette force de caractère pour se relever. En plus, il a eu le bonheur d’avoir un petit garçon : il sera là et bien là. » Le capitaine aura même le loisir de retrouver Steve Mandanda comme doublure. Preuve que rien n’est rédhibitoire avec Deschamps, qui privilégie toujours autant « le vécu et l’expérience » . Mais le cas du gardien n’est finalement pas le plus préoccupant.
Il y a bien le retour de Kylian Mbappé, qui n’a plus joué un match complet depuis la mi-août, à gérer. Pas un problème pour le boss des Bleus : « Il a eu la première blessure musculaire importante de sa carrière. Le plus dur est derrière lui. Même s’il y a toujours l’appréhension d’une rechute. » Avec l’attaquant, Deschamps sait qu’il devra le ménager à un moment, dans l’un ou l’autre match. Kingsley Coman a prouvé en septembre qu’il avait la carrure pour assurer en son absence, de même que Jonathan Ikoné, malgré son choc au genou contre Chelsea. « Il a fait des bonnes choses sur le dernier rassemblement, il a un profil intéressant, en percussion, brosse Deschamps. Et ce n’est pas pour me déplaire quand quelqu’un rentre avec dynamisme et énergie. » À tout problème sa solution, malgré les bobos des uns et des autres.
Un dialogue à gérer avec les clubs
Dossier suivant, un brin plus épineux : Lucas Hernandez. Touché face à Paderborn, le défenseur du Bayern a été ménagé en cette semaine. Son entraîneur Nico Kovač aurait souhaité que le sélectionneur français en fasse autant. De quoi provoquer l’exaspération de Deschamps. « En septembre, Niko Kovač voulait que je le convoque pour qu’il soit bien dans le rythme pour les matchs du Bayern, cafte-t-il. Je n’avais pas pris de risques, et il n’avait joué qu’un match sur deux. Là, j’ai évidemment échangé avec Lucas. Bon, lui, même sur une jambe, il est prêt à jouer. Mais j’ai une totale confiance en mon staff médical et je ne prendrai pas de risques s’il n’est pas apte à jouer. Si je le prends, ce n’est pas pour embêter Kovač ou le Bayern. »
Une sortie qui prouve combien le dialogue avec les entraîneurs de club peut être conflictuel. Situation rencontrée également avec N’Golo Kanté. « Lampard m’a appelé pour que je ne convoque pas N’Golo Kanté au dernier rassemblement, que c’était mieux pour lui et pour son club, embraye-t-il. J’ai été aussi entraîneur de club, je sais ce que c’est : un entraîneur de club a ses intérêts. Mais moi, j’ai aussi les miens. J’ai deux matchs très importants et j’ai besoin de tous mes joueurs. Mais si c’est toujours dans ce sens, c’est embêtant. À un moment donné, je vais peut-être l’appeler tout à l’heure pour lui dire que ce serait bien de faire jouer Olivier Giroud un petit peu… » Le sourire crispé dégainé à ce moment ne peut plus dissimuler que le véritable caillou dans sa chaussure est justement la présence d’Olivier Giroud.
Olivier Giroud, visite de routine
Avec l’attaquant des Blues, c’est un dilemme éternel : comment se passer d’un joueur incontournable en sélection, alors qu’en club, il ne dispose que de très peu de crédit ? Depuis le dernier rassemblement, l’ex-Montpelliérain n’est apparu que 17 petites minutes avec Chelsea. C’était contre Valence en Ligue des champions. La faute à un petit virus, mais surtout la concurrence d’un Tammy Abraham en feu. Mais voilà, Olivier est aussi le troisième meilleur buteur de l’équipe de France et a inscrit quatre buts lors des sept derniers matchs des Bleus. « J’ai bien conscience que sa présence tient beaucoup à ce qu’il a réalisé jusqu’à maintenant en Bleu, concède Deschamps. L’an dernier, avec les coupes nationales et la Ligue Europa, il a eu un temps de jeu suffisant. Là, c’est insuffisant sur le plan athlétique parce qu’il ne pourra pas être à son meilleur niveau s’il n’a pas suffisamment de temps de jeu. » Giroud, lui-même, en a conscience.
Un avertissement en vue de l’Euro 2020, demande-t-on à Deschamps ? Pas nécessairement, juste une déception de voir un de ses hommes de confiance être bloqué à Chelsea pour des raisons contractuelles ( « Il y avait une clause unilatérale dans son contrat, et à partir du moment où le club lève l’option, il n’a plus le droit à la parole » ). L’agacement se lit alors sur son visage face à une question qui revient en boucle, et qu’il retrouvera certainement au mois de novembre. « Mais j’espère que je n’aurais pas à y répondre. Aujourd’hui, j’ai pris Olivier, je ne sais pas ce qui se passera d’ici là. Et en toute sincérité, je ne sais pas qui sera disponible ou pas. » Toute la complexité du boulot d’un sélectionneur, hors rassemblement, résumée ici en quelques phrases.
Par Mathieu Rollinger, au siège de la FFF
Propos de DD recueillis en conférence de presse par MR.