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Didier Deschamps, la leçon de silence
Didier Deschamps est passé ce jeudi devant la commission d’enquête parlementaire sur les défaillances des fédérations sportives. Pour rien ou si peu. C’était pourtant bien plus important qu’une conférence de presse avant un France-Gilbratar.
La commission d’enquête parlementaire « relative à l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du mouvement sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif en tant qu’elles ont délégation de service public » constitue une des principales angoisses du sport français. Les fédérations françaises ou même le CNOSF ne cessent de se plaindre de son travail « à charge ». En retour, la rapporteuse écologiste Sabrina Sebaihi n’a pas caché les « doutes sur l’exactitude de plusieurs déclarations » de certaines personnes passées devant les élus du peuple (et notamment le président de la FFT, l’ancienne maison de l’actuelle ministre des Sports). Or, s’étant exprimé sous serment, ils ou elles ne sont pas à l’abri d’un « signalement au parquet ».
Deschamps sait placer son mur
Aucun risque avec l’audition jeudi de Didier Deschamps, sélectionneur national de l’équipe de France masculine de football, qui est venu s’exprimer après notamment Laurent Blanc, Karim Benzema ou bien sûr les dirigeants fédéraux. Impossible de se parjurer quand on ouvre à ce point le robinet d’eau tiède. Car cette fois, les députés se sont heurtés à un mur. Un mur de silence, érigé par le maçon Didier Deschamps, certes passé parfaitement maître dans l’art si politique de la langue de bois. Un mur devant lequel les parlementaires n’ont jamais sorti les pioches comme pour d’autres auditionnés. Avec pour conclusion une demande surréaliste de la présidente (Renaissance) de la commission, Béatrice Bellamy : « N’hésitez pas à inviter toutes les personnes présentes [dans la salle] au prochain match de l’équipe de France. Ce sera un grand plaisir de vous accompagner. » Une boutade lunaire qui voulait peut-être détendre l’atmosphère entre la représentation nationale et les sportifs, mais qui laisse un goût amer – ne serait-ce que parce que les députés ont largement les moyens de se payer leur place pour France-Gibraltar.
Pour en revenir à notre DD national, l’homme a toujours cherché à se tenir à l’écart de tout ce qui pouvait sentir le soufre : polémique sur le Qatar, racisme dans le foot, voire les droits à l’image des joueurs, etc. Ses conférences de presse en sont l’exemple le plus abouti. Dès qu’un sujet de société déboule de manière indécente, l’ancien international se transforme en acrobate ou magicien (ses fautes d’expression, comme lors de son passage devant les députés, s’apparentent à d’astucieuses diversions). Tous les sujets ont cependant été abordés jeudi, de la lutte contre les violences sexuelles et sexistes jusqu’à la crise à la FFF qui a conduit au retrait de son président et proche Noël Le Graët.
Parle à témoin
À propos de ce qui se passe dans l’arrière-boutique de la 3F, sa réponse principale s’est résumée à se présenter en simple « salarié de la FFF » qui n’est « pas quotidiennement ni régulièrement au siège ». « Je ne suis pas concerné par tout ce qui peut se passer, non pas que je veuille me différencier, mais ce n’est pas de mon ressort ni ma compétence de donner un avis ou participer à ces décisions », clarifie le Basque. Bref, Didier Deschamps a réduit son rôle et sa place dans le foot français à un technicien rendant des comptes sur la seule dimension de son travail, c’est-à-dire la performance des Bleus. Ce discours semble difficile à entendre « avec les yeux », pour reprendre une de ses expressions. Prenons le cas de ses relations avec Noël Le Graët, sous le coup d’une enquête préliminaire du parquet de Paris pour « harcèlement sexuel et moral », et qui doit lui succéder sur la même chaise le 7 novembre. Leur sort semblait terriblement lié au point que l’ancien boss de l’EAG l’avait renouvelé sans même consulter le comité exécutif fédéral, tout comme d’ailleurs ils dissertaient ensemble du futur successeur du roi breton. Preuve que lorsque son intérêt s’y trouvait, Didier Deschamps savait parfaitement se positionner dans l’organigramme de la FFF.
Le plus triste dans cette audition demeure que tout le monde, députés compris, semble partager le point de vue de Didier Deschamps sur le rôle et la fonction du sélectionneur national. Le personnage a façonné cette posture d’un technicien qui ignorait superbement les enjeux sociétaux et politiques du football, comme si Clairefontaine pouvait être un monastère à l’abri des tentations et des péchés du monde profane, et donc des vicissitudes de la FFF. Le foot et les Bleus occupent une place bien trop importante désormais dans notre pays pour que cette illusion persiste.
Par Nicolas Kssis-Martov