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Didier Deschamps déconfine Karim Benzema
Dans 27 jours, Karim Benzema retrouvera à 33 ans le goût d'une compétition internationale, sept ans après sa dernière au Brésil. Une deuxième vague en Bleu qu'il doit à une discussion avec Didier Deschamps, après cinq ans et demi à jouer au chat et à la souris. Comme quoi, cela sert de se parler autrement que par écrans interposés.
On a beau souligner le côté indivisible d’une nation, il y avait bien deux types de Français ce mardi soir devant leur poste. Ceux pour qui le pardon est une vaste fumisterie et ceux qui ont accueilli le retour de Karim Benzema en équipe de France comme la possibilité d’une rédemption. Didier Deschamps fait lui partie de la seconde catégorie et l’a prouvé en prononçant deux mots, « Karim Benzema », en vingtième position dans sa liste. « Je n’ai pas la capacité de revenir en arrière et changer quoi que ce soit. Le plus important, c’est aujourd’hui et demain », déblayait le sélectionneur sur TF1 et M6, juste après avoir fait tomber cette barrière. Au regard de l’ampleur qu’a prise ce qui n’était encore qu’une rumeur au cours d’une journée folle, au rythme des infos égrainées par L’Équipe et Le Parisien, vu le bruit que cela a provoqué autour des machines à café ou dans les groupes de discussion, cela montre bien les attentes qui pesaient sur les épaules de Didier Deschamps et bientôt sur celles du Madrilène.
Nous étions deux
Ces derniers mois sur les plateaux des JT, c’est plutôt une bête à trois têtes — le président Macron, le Premier ministre Castex et le ministre de la Santé Véran pour ne pas les nommer — qui avait pris l’habitude de jouer avec les nerfs de ses compatriotes au gré des annonces de durcissement ou d’allègement des mesures sanitaires. Cette fois, ce fut le sourire bright et le costume bleu de Didier Deschamps que les téléspectateurs ont pu voir dans une allocution solennelle depuis un hôtel parisien, avant de venir la débriefer au siège de la FFF. Un peu de fraîcheur dans le téléviseur, même si une liste n’a peut-être jamais été aussi politique que celle-ci. Puisqu’après un feuilleton de cinq ans et demi qui a dépassé le simple cadre sportif, Didier Deschamps a fini par dénouer le sacré sac de nœuds qu’était devenue sa relation avec Karim Benzema.
Comment résumer celle-ci en quelques mots ? Retour au 8 octobre 2015, pour un doublé et une passe décisive du numéro 10 des Bleus contre l’Arménie (4-0). Karim Benzema ne le sait pas encore, mais ce seront ses derniers moments de joie en date avec la sélection nationale. Car quatre jours plus tard explose l’affaire de la sextape, dans laquelle il aurait fait pression sur son coéquipier Mathieu Valbuena. Le 5 novembre, le joueur est mis en examen pour « complicité de tentative de chantage et participation à une association de malfaiteurs ». Jusqu’ici attentiste face aux événements, le staff tricolore attend le 10 décembre 2015 pour annoncer la suspension provisoire du Brondillan par l’intermédiaire de Noël Le Graët, puis le 13 avril 2016 pour officialiser sa mise à l’écart avant l’Euro. S’enchaîneront une accusation de la Benz’ envers Deschamps d’avoir « cédé à la pression d’une partie raciste de la France » (Marca), un tag sur la maison de vacances des Deschamps et « une ligne blanche avait été franchie » (Europe 1). À ce moment, on croit avoir atteint « le point de non-retour ». Ainsi, auréolé d’une finale d’Euro et d’un titre de champion du monde comme d’un bouclier, jusqu’au Kazakhstan, Didier Deschamps a dû répondre à la même question : « Pourquoi pas Benzema ? » Tous les subterfuges ont été trouvés par des journalistes, attendant de voir le moment où plierait le boss des Bleus, mais à chaque fois, celui-ci a su botter en touche avec plus ou moins de finesse.
Couper la tête du serpent de mer
Et ce 18 mai 2021, Didier Deschamps a plié. Dans l’auditorium de la FFF, l’audience n’a que très peu frémi au moment où DD a posé ses cartes sur la table. Pourtant, 90% des questions ont tourné autour de la surprise de la soirée. « Ma fonction n’est pas de faire des surprises, a d’abord claironné le double champion du monde. Qu’il y en ait plus que les autres fois, pourquoi pas. Par rapport à Karim, il y a une étape importante : qu’on puisse se voir et qu’on discute ensemble. Je ne parlerai pas du contenu de notre discussion qui a eu lieu il y a un petit moment. Mais j’en suis arrivé à la décision de le sélectionner. Je n’ai jamais dit à aucun moment que Karim n’était pas sélectionnable. Pourquoi maintenant ? C’est comme ça. » Est-ce le temps qui a fait son œuvre ? L’évolution du joueur qui a permis à Deschamps de lui tendre la main ? Le fait que l’affaire de la sextape ne soit aujourd’hui qu’un vague souvenir, alors que cette histoire n’a pas encore été tranchée par la justice (KB9 devra comparaître devant le tribunal correctionnel de Versailles du 20 au 22 octobre prochain) ? La pression populaire et médiatique ?
Pour Deschamps, les raisons lui appartiennent, et il ne les donnera pas aussi facilement. « Je n’ai jamais été obligé par quoi que ce soit ou par qui que ce soit dans mes décisions, si ce n’est par le bien de l’équipe de France, a-t-il juré. Tout le monde a le droit à l’erreur. Il est vrai que j’ai eu des situations compliquées et difficiles avec certains joueurs, mais j’ai fait en sorte de mettre mon cas personnel de côté, parce que ce maillot est au-dessus de tout. Je suis un être normal, avec des qualités, des défauts, des sensibilités, mais aussi des responsabilités. » Sa responsabilité était donc de convoquer Benzema au moment où on ne l’attendait plus. Surtout que, comme il l’a affirmé, « l’équipe de France ne(lui) appartient pas ». Alors pourquoi s’embarrasser avec des broutilles vieilles de cinq ans. Karim Benzema n’est pas éternel, alors autant lui offrir la possibilité de se repentir. « Une carrière ne dure pas 20 ans, elle est réduite, concédait-il. Qu’il ait gagné en maturité, en sérénité, oui sans doute… » Par cette phrase, le sélectionneur montre aussi qu’aujourd’hui, il n’a plus rien à perdre. Il a fait preuve d’humanité et d’humilité. Mais en creux se pose une nouvelle question : Karim Benzema saura-t-il en faire autant pour assurer que toutes ces années de débat ne débouchent pas sur un flop ? Après tout, on ne sait pas de quelle couleur sont les serpents de mer.
Par Mathieu Rollinger, au siège de la FFF