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Didier Agathe : « Le Old Firm m’a contraint à déménager neuf fois en un an »

Propos recueillis par Antoine Donnarieix
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Flèche dans le couloir droit du Celtic pendant six saisons, Didier Agathe (42 ans) est maintenant rentré sur son île natale de la Réunion. Avant le derby de Glasgow, l’un des piliers de la dernière grande épopée européenne des Bhoys évoque l'impact du Old Firm en Écosse.

L’année 2017 termine fort à Glasgow avec le fameux Old Firm entre le Celtic et les Rangers. Est-ce que tu as déjà connu une ambiance aussi dingue pour un match de football ?
J’ai déjà pu jouer dans des matchs de préparation contre Dortmund par exemple, mais l’ambiance de ce derby est quelque chose d’indescriptible. En Écosse, le Old Firm fait toujours un record d’audience sur les chaînes télé. Il est aussi retransmis dans les pays arabes, aux États-Unis car les supporters des deux équipes sont nombreux sur tout le globe. Le Old Firm, c’est tout sauf du foot.

Quand je vois un mec comme Messi qui explique que le Celtic Park est la meilleure ambiance qu’il connaisse, je ne suis pas étonné.

Quand je vois un mec comme Messi qui explique que le Celtic Park est la meilleure ambiance qu’il connaisse, je ne suis pas étonné. On voit des grands-parents venir avec leurs petits-fils dans une opposition entre catholiques et protestants. On entend en continu des chants contre le pape ou la vierge Marie, c’est malsain et cela respire la haine. À l’époque, on jouait contre les frères de Boer, Arteta… Des joueurs qu’ils payaient assez grassement d’ailleurs, ça leur a coûté la relégation. Et face à cette équipe-là, nous avions réussi un triplé et nous les avions battus sept fois d’affilée. Nous avons marqué l’histoire du club.

Didier Agathe

Né le 16 août 1975 à Saint-Pierre (La Réunion) Attaquant
Clubs : Montpellier HSC (1995-1996), Olympique Alès (1996-1997), Montpellier HSC (1997-1999), Raith Rovers (1999-2000), Hibernian FC (2000), Celtic FC (2000-2006), Aston Villa (2006-2007)Palmarès : Championnat Écossais (2001, 2002, 2004)Coupe d’Écosse (2001, 2004, 2005)Et sur le terrain, comment ça se passe ?Les joueurs se laissent complètement prendre par l’enjeu et toute la semaine qui précède la rencontre, c’est du brainstorming. Les supporters vont toujours te dire qu’ils préfèrent perdre contre la Juventus, le Barça ou peu importe l’équipe. Le seul match qu’il faut gagner, c’est celui face aux Rangers. Et dans les deux équipes, tu vas avoir des joueurs assez fragiles dans leur tête qui, lorsque le match ne tourne pas en leur faveur, se mettent à partir dans des dérives avec des tacles d’une extrême violence. Quand tu mises tout sur un match et que tu le perds, certains peuvent péter les plombs.

Tous les joueurs qui ont participé à ce derby disent à peu près la même chose que toi. Quels sont tes souvenirs très personnels de ce match ? J’en ai tellement… Le Old Firm m’a contraint à déménager neuf fois en une seule saison. Un jour, des mecs des Rangers ont cassé ma voiture parce que nous avions remporté tous les titres possibles au niveau national. Une autre fois, on m’a envoyé des menaces de mort à mon domicile, donc j’utilisais un fourgon blindé pour aller m’entraîner. J’en ai une autre : je suis de religion catholique donc signer dans ce club, je le voyais comme un vrai signe. Nous étions dans la période de Carême, vers février-mars. Un Old Firm était prévu en fin de semaine.

Pendant tout le match, Ibrox Park chantait « Agathe loves curry ! Agathe loves curry ! » à chaque fois que je touchais le ballon. C’était fou…

J’étais passé dans un restaurant indien très connu à Glasgow, où je mange de façon normale en respectant les règles de ma religion. Deux jours après, j’arrive à l’entraînement en voiture. 300 personnes nous attendent pour qu’on leur signe des autographes. Là, un mec me parle et me dit qu’il est journaliste. On avait pour consigne de ne parler à aucun média, donc je lui dis que j’ai entraînement. Après avoir pris ma douche, je vois qu’il est toujours là. Je termine ma journée et je sors faire des courses. Il est devant chez moi… Au bout d’un moment, je lui dis de demander l’autorisation au club pour me parler. Et là, il me dit : « C’est en rapport avec le restaurant indien. Pourquoi est-ce que vous êtes allé là-bas ? » Je ne lui réponds pas. Le jour du derby en première page, le quotidien avait titré « Agathe profite ! » en exhibant une fausse note qui montrait que j’avais commandé des dizaines de plats… C’était n’importe quoi ! Et pendant tout le match, Ibrox Park chantait « Agathe loves curry ! Agathe loves curry ! » à chaque fois que je touchais le ballon. C’était fou…

Deco sans Valérie Damidot

Avec tes bonnes performances au Celtic, Berti Vogts songeait à t’appeler en sélection écossaise, mais le public s’y opposait. Comment as-tu vécu cet épisode ? Sur le coup, bien sûr que j’aurais aimé jouer pour l’Écosse. Cela n’avait rien à voir avec le racisme, mais je me suis dit que le fait d’être le seul black de l’équipe nationale et d’être un naturalisé, cela pouvait dégénérer si ça tournait mal. Je pouvais passer à la casserole. Disons que j’ai anticipé les choses de manière négative, car je savais qu’une partie du public, notamment celui des Rangers, n’était pas favorable à me voir jouer sous ce maillot. Et puis m’alourdir le calendrier avec des matchs internationaux, en sachant que j’ai fait toute ma carrière sans cartilage aux genoux, c’était aussi risqué.
Au Celtic, tu as joué avec la légende Henrik Larsson…Pfff… Honnêtement, c’est exceptionnel. Les gamins, tu peux les faire travailler sur les courses, les appels, les contre-appels. Mais sentir le but, c’est inné. Henrik, il terminait ses saisons à 48 buts. Alors certes, on va dire que c’est l’Écosse, un championnat facile, blablabla…

Je me souviens d’avoir délivré la passe décisive à Henrik Larsson pour son denier but au Celtic Park. Quand il marque, il vient dans mes bras et se met à pleurer. C’était beau.

Dans tous les championnats, tu as deux ou trois prétendants réels pour le titre. La seule différence dans ce championnat, c’est que le gouffre entre le duo Celtic-Rangers et les autres clubs est énorme. Mais malgré tout, quand tu voyais la façon dont Henrik empilait ses buts et qu’à l’entraînement, la première chose qu’il demandait au coach c’était de travailler face au but, je me disais que ce mec était fou. En match, quand je centrais, que ce soit au premier ou au second poteau, il était là. En tant que coéquipier, Henrik nous surprenait au moment de marquer dans un angle impossible, de sentir la bonne passe, le bon appel. C’était un buteur, mais aussi un formidable presseur de défense. Et quand il s’est décidé à partir du Celtic, il a su s’imposer au FC Barcelone et à Manchester United. C’est la preuve de son immense talent. Je me souviens de lui avoir délivré la passe décisive pour son denier but au Celtic Park. Quand il marque, il vient dans mes bras et se met à pleurer. C’était beau.

En 2005-2006, ton coach devient Gordon Strachan, un personnage avec un très fort caractère. Quel type d’entraîneur était-il avec toi ? J’ai beaucoup appris avec Martin O’Neill sur le plan humain.

Strachan avait fait venir un arrière droit qui s’appelait Paul Telfer, un type marié à sa fille. Voilà…

C’était du vrai management, à parler avec les joueurs, créer un esprit de camaraderie, il te faisait sentir ça. Strachan, c’était tout le contraire. Déjà, il avait fait venir un arrière droit qui s’appelait Paul Telfer, un type marié à sa fille. Voilà… Dès le premier entraînement, je suis allé au clash avec lui parce que je m’étais blessé alors qu’il m’avait dit de m’entraîner contre l’avis des kinés… Il était complexé par rapport à son prédécesseur. Très franchement, je n’ai rien appris avec lui, et je ne dis pas ça parce que je n’ai pas joué. Gordon, c’est vraiment tout ce que le football ne doit pas produire. Tu sens qu’il est là par égoïsme et non pour transmettre quelque chose.

Vidéo


Tu as terminé ta carrière professionnelle à Aston Villa. Est-ce que tu aurais aimé jouer dans des championnats plus latins ? Quand j’étais à Aston Villa, c’était la fin de ma carrière. J’avais tellement mal aux genoux que je ne pouvais plus me lever pour aller aux entraînements. Évidemment, connaître l’Italie ou l’Espagne aurait été magnifique, mais quand j’ai joué des matchs de Ligue des champions avec le Celtic, j’ai pu échanger mes maillots avec ceux de Del Piero, Kaká… Je dis mille fois merci à la vie d’avoir pu m’offrir de tels moments au cours de ma carrière. Vivre ça, c’était le top.

Que penses-tu du niveau du Celtic avec Brendan Rodgers comme entraîneur ?Brendan, c’est vraiment un mec que j’aime. Déjà dans sa façon de jouer, parce qu’il va vers l’avant. Même si contre le PSG, il fallait rester derrière et attendre l’adversaire, ce n’était pas son style. Il aime produire, jouer.

Je crois que le Celtic va révéler au monde une des futures grandes stars du football : Karamoko Dembélé. Les gens ne le connaissent pas encore très bien, car il n’a que 14 ans.

Humainement, j’ai eu l’occasion de le rencontrer lors d’un match de charité. Il est venu me voir et m’a attrapé par le bras pour me dire qu’il était fan du Celtic depuis tout petit. Là, je me suis dit que ce genre de gars devait finir par coacher le Celtic. Quand tu aimes le club, tu vas faire du bon boulot. Aussi, je crois que le Celtic va révéler au monde une des futures grandes stars du football : Karamoko Dembélé. Les gens ne le connaissent pas encore très bien, car il n’a que 14 ans, mais attention, c’est un phénomène.

Avant ton passage au Celtic, tu incarnes, dans le film Un but pour la gloire de Michael Corrente, un joueur des Rangers. Est-ce une chose que tu regrettes aujourd’hui ?
Non, cela reste très positif. Tu sais, je suis du genre à me dire que même dans les pires moments de ma vie, j’apprends. Nous sommes là pour cela. Nous sommes de passage. Quand des épreuves nous font chuter, il faut se relever pour continuer d’avancer. Quand j’étais footballeur, je réalisais que les gens travaillaient toute la semaine pour se payer leur abonnement au stade et venaient te voir jouer. De ton côté, tu dois donner le maximum pour qu’ils soient heureux quand ils ressortent du stade. Au Celtic Park, je voyais parfois des aveugles ou des malentendants nous acclamer. Ce qu’il faut garder en toute circonstance, c’est l’amour. Le Celtic ne m’a jamais reproché d’avoir tourné ce film, et je ne peux que remercier l’équipe du tournage pour m’avoir fait connaître le cinéma. D’ailleurs, je crois avoir mangé mon premier fish & chips avec eux, c’était un super souvenir ! (Rires.)

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Propos recueillis par Antoine Donnarieix

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