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Di Natale, parce que les buts comptent
Le 6 janvier dernier, à la suite d'une pénible défaite contre le Hellas Vérone, Antonio Di Natale annonce qu'il raccrochera les crampons à la fin de la saison. Si son président insiste pour croire qu'il continuera, le diagnostic reste terrifiant : le monde du football n'a plus que trois mois d'Antonio Di Natale devant lui.
« En juin, j’arrête. J’en ai déjà parlé avec ma famille et mon agent. Et j’en parlerai plus tard avec le club. (…) J’ai 36 ans, et j’entends trop de critiques autour de moi. Cela n’est pas bon pour l’Udinese. J’ai marqué beaucoup de buts en dix ans, mais comme cela peut arriver à tous les attaquants, parfois le but ne vient pas. » Après avoir refusé la Juve, après avoir répété que « même si le Real Madrid vient me chercher, je ne bouge pas d’Udine » , la pression a fini par rattraper Di Natale. Même lui, même à 36 ans, même à Udine, tout là-haut dans le Frioul. Parce que Di Natale vit une saison tiède. L’Udinese est quatorzième avec huit points d’avance sur la zone rouge et quinze longueurs de retard sur les places européennes. En Coupe d’Italie, les Zebrette ont surpris, éliminant l’Inter et le Milan avant de tomber in extremis face à une excellente Fiorentina en demi-finale. Verdict : l’Udinese ne volera pas cette saison. Encore une saison sans titre, et un printemps sans joie.
Trois mois à jouer pour rien ?
Quelques grosses affiches à l’Olimpico contre la Roma ce soir, à San Siro contre l’Inter dans deux semaines, puis les réceptions de la Juve et du Napoli en avril, pour finir le 18 mai 2014 contre la Sampdoria, devant son peuple. Des gros matchs, aucune finale. Di Natale n’ira pas au Brésil, a priori, Prandelli lui préférant probablement un Cassano, un Toni ou un Gilardino, bien plus sensibles à l’appel de la gloire. Di Natale finira tranquillement sa carrière à Udine et on a envie de croire qu’il n’avait jamais imaginé une fin différente. « Il préfère être le Saint-Père à l’Udinese qu’un bon joueur à la Juve » , disait Silvio Baldini, son coach à Empoli.
Mais trois mois, cela fait tout de même une dizaine de matchs. Et donc quelques buts. Or, il se trouve qu’après des années à « jouer pour rien » , dans un club qui est en Serie A pour y rester plutôt que pour y gagner quoi que ce soit, Di Natale pourrait se fixer un objectif. Actuellement dixième du classement des meilleurs buteurs de l’histoire de Serie A avec 185 buts, Toto a l’occasion d’aller chercher Del Piero et Signori, tous deux arrêtés à 188, ainsi que Hamrin à 190. Alors, qu’en dit-il ? « Si je marque, tant mieux. Mais l’important, c’est l’Udinese. » C’est tout ? Bah oui. Tout est là : « Udine, c’est petit, mais c’est beau. Ici, les gens sont tranquilles, éduqués, tu peux te promener tranquillement avec ta famille. Et le football ne représente que quatre-vingt-dix minutes par semaine. C’est exactement ce que je recherche. »
« Dommage qu’on ait découvert qu’il devait jouer avant-centre à 31 ans »
Après avoir grandi à Pomigliano d’Arco, commune de 39 000 âmes qu’il partage avec Vincenzo Montella, Di Natale arrive à 13 ans en Toscane, à Empoli. Centre de formation, mal-être, fugue de sept mois. Montella raconte : « Il m’a dit qu’il ne voulait pas devenir pro, juste jouer pour le plaisir. » Puis fin de la formation, finalement. À 26 ans, Di Natale arrive dans la pluie du Frioul avec un statut de bon ailier de Serie A. Rien de plus, rien de moins. Appelé par le Trap pour quelques matchs amicaux avec la Nazionale entre 2002 et 2004, Di Natale est finalement exclu de la liste de l’Euro 2004. Arrivé à Udine, Toto fait la carrière que l’on attendait de lui. Une bonne carrière, sans plus. En fait, c’est en 2009 que tout change, suite au départ de Quagliarella à Naples. Di Natale, 1m70 pour 70 kilos, devient avant-centre à 32 ans.
Pour se rendre compte du phénomène, à 32 ans, Thierry Henry signe au New York Red Bulls. Au même âge, Luca Toni enchaîne déjà les contrats temporaires à la Roma, puis au Genoa. Et enfin, à 32 ans, Samuel Eto’o en a déjà 35 (d’après son coach). Cette saison-là, en 2009/10, Di Natale met plus de la moitié des buts de son équipe (29 sur 54). Une fois dépassé l’âge de Jésus, le messie du Frioul continue. De 2009 à 2013, il marque 103 buts en 140 matchs de Serie A. Sur la même période, Francesco Totti, modèle de longévité, compile 49 buts en 116 matchs. À titre de comparaison, Van Persie n’aura pas atteint la centaine de buts en championnat avec Arsenal, en huit saisons… Di Natale devient héros, capitaine, numéro 10, meilleur buteur de l’histoire de son club. Francesco Guidolin n’a qu’un regret : « Dommage qu’on ait découvert qu’il devait jouer avant-centre à 31 ans. »
Seuls les titres comptent ?
Ainsi, après une carrière longue de 18 saisons, le constat est terrible : Antonio Di Natale n’a rien gagné. Pas un seul titre. Avec la Nazionale, il était présent lors du fiasco de 2010, absent lors de l’exploit de 2006. « Zeru tituli » , répèterait sans cesse et avec sadisme José Mourinho. Alors, pourquoi se souvenir d’Antonio Di Natale ? « Seuls les titres comptent » , nous dit Cristiano Ronaldo. N’est-ce pas ? Tout seul à Udine, Di Natale n’a fini par gagner que des titres individuels. Meilleur buteur de Serie A en 2010 et 2011. Meilleur joueur italien du championnat en 2010. Dans l’équipe type de Serie A en 2010, 2011 et 2013. Et puis, aussi, le prix Gaetano Scirea, le prix du fair-play ou encore le Ballon d’argent. Des prix bons à servir le narcissisme de ceux qui en veulent bien, mais pas Di Natale. Alors, Di Natale ne compterait pas ?
Le titre est accomplissement, satisfaction, réussite. Gagner un titre, c’est le gagner pour toujours. Un bonheur prolongé sur toute une soirée, puis des semaines, des mois et, finalement, toute une vie. Un bien-être doux, serein, confortable. Un monde de coussins, où tout est joué. Un bonheur que Di Natale aurait aimé offrir à Udine. À la place, Di Natale aura marqué beaucoup de buts. Le but, lui, n’a rien de serein, il est électrique. Il est changement, coup de scène, joie intense d’un côté et drame accablant de l’autre. Une montée d’adrénaline pour le buteur, les supporters dans le stade, les bars, les foyers. Le but est aussi célébration, fête et message. Voilà, le but est émotion. Et 246 buts toutes compétitions confondues, cela fait énormément d’émotions. En vieillissant, le but finit par devenir souvenir, puis histoire. Voilà ce qu’a fait Di Natale tout ce temps : écrire l’histoire à coups de buts. Parce que les buts comptent aussi.
Par Markus Kaufmann
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