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Devant le Parc des Princes, la colère monte contre Visit Rwanda
Sur le parvis du Parc des Princes, une manifestation a été organisée pour dénoncer le lien entre le PSG et l’office de tourisme rwandais. À la tête de ce mouvement, Jordan Madiande, supporter parisien et enfant de la diaspora congolaise.

Alors que Paris est traversé par les fans de Marine Le Pen — fraîchement condamnée dans l’affaire des assistants parlementaires des députés européens — pendant que la gauche s’offre sa manif dominicale, le Parc des Princes, lui, déroule une tout autre scène. Le PSG y a célébré la veille le 13e titre de champion de France de son histoire et, ce dimanche, un grand soleil d’avril brille comme une promesse d’été. Mais Jordan Madiande, 32 ans, ne sourit pas. Planté face aux loges, il manifeste, pancarte à la main, drapeau de la République démocratique du Congo sur les épaules. En ligne de mire : le partenariat entre son club de cœur, le PSG, et Visit Rwanda, l’office de tourisme du régime de Paul Kagame. Sur les maillots d’entraînement du PSG, sur les manches d’Arsenal ou les panneaux d’affichage du Bayern, le logo s’affiche avec le même storytelling lissé : gorilles majestueux, collines luxuriantes et évasion garantie.
Une pétition à 75 000
Mais pour Jordan, salarié dans l’humanitaire et engagé dans le tissu associatif, la campagne Visit Rwanda maquille une réalité glaçante : « Aujourd’hui, c’est documenté par l’ONU : le Rwanda soutient activement la milice du M23. » Une milice qui ravage l’est de la République démocratique du Congo et traîne derrière elle un passif sanglant : massacres, villages brûlés, viols systématiques. « Ils utilisent le viol comme arme de guerre », insiste Jordan. En 2024, plus de 6,3 millions de personnes ont déjà été déplacées, et cela avant même la chute de Goma, troisième ville du pays, peuplée de plus de deux millions d’habitants.
Face aux images qui arrivent de l’est du Congo, Jordan et son cousin Lionel, originaire de Choisy-le-Roi, se mobilisent : « Le week-end du 25-26 janvier, on voyait Goma tomber. On ne pouvait pas rester les bras croisés. » Alors ils passent à l’action. Une pétition est mise en ligne sur Change.org. L’objectif : pousser le PSG à rompre son partenariat avec l’office de tourisme rwandais avant la fin du juteux contrat de 15 millions d’euros versés annuellement, prévu jusqu’en décembre 2025. Mais aussi à prendre position publiquement contre les violences commises en RDC, et à s’engager concrètement dans des actions humanitaires en faveur des victimes du conflit. Aujourd’hui, la pétition a déjà dépassé les 75 000 signatures.
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Que la famille
Jordan n’a pas le CV d’un militant aguerri. Pas d’association derrière, pas de plan de com. « On a lancé ça entre cousins, en famille. Et très vite, des membres de la communauté ont commencé à nous rejoindre. C’est devenu quelque chose de collectif », explique-t-il. Pour ancrer la mobilisation dans le réel, il décide d’organiser un rassemblement devant le Parc des Princes. Un premier acte, modeste mais symbolique. Mauvais timing ? Il y a déjà pléthore de manifs. « Et puis bon, le dimanche, y a aussi l’église… », souffle Jordan avec un sourire en coin.
On ne peut pas demander aux joueurs de risquer leur carrière. C’est à nous, groupes de pression, de les soutenir. C’est pour ça qu’on existe.
L’affluence ne dépasse pas la cinquantaine, mais elle suffit à faire lever quelques têtes. Un œil curieux par ici, un message discret dans l’oreille d’un talkie de la sécu, quelques touristes qui filment sans trop comprendre. Et au milieu du bitume, un détail saute aux yeux : la diversité des générations. Des Congolais arrivés en France depuis Kinshasa ou Bukavu, et des enfants de la diaspora, nés en Île-de-France. Un brassage familier, mais ici chargé d’une colère contenue. Deux élues locales, issues de la communauté congolaise, venues de Villeneuve-Saint-Georges et de Grigny, observent la scène en silence. « Ce sont clairement les jeunes qui portent le mouvement. Le conflit dure depuis 30 ans. Mais là, il y a un déclic. »
Ce déclic, c’est Goma. La ville assiégée. Les colonnes de déplacés. Une violence qui, tragiquement, réunit deux générations : celle qui l’a vécue en RDC il y a 30 ans, et celle qui la redécouvre aujourd’hui. « Beaucoup y sont allés récemment. Ils ont vu. Ils ont compris », souffle une élue née à Léopoldville, aujourd’hui Kinshasa. Et désormais, cette jeunesse prend la parole. Mais du côté des joueurs ? La bienveillance des anciens prend le dessus. « On ne peut pas leur demander de risquer leur carrière. C’est à nous, groupes de pression, de les soutenir. C’est pour ça qu’on existe. »
Mas que un club
Pour Jordan, le PSG n’est pas un simple club. C’est un bout d’histoire. « Nos parents sont nés à Léopoldville, sous colonisation belge. » Lui a grandi ici sous le maillot du PSG. « Avec Pauleta, Chantôme, Canal + et Colony Capital », dit-il. Une époque, une identité. Celle d’un club à l’ADN populaire, largement irrigué par les diasporas africaines, et notamment congolaises. « Claude Makélélé, Peggy Luyindula, Youssouf Mulumbu, et aujourd’hui encore Presnel Kimpembe, Senny Mayulu, Randal Kolo Muani », tous nés ou d’origine congolaise. Et si on tend l’oreille avant un PSG-OM, qui lance le show ? SDM, rappeur de Clamart, d’origine congolaise, comme tant d’autres visages de la scène musicale parisienne. Maître Gims, Niska, Naza, Damso, Youssoupha : le son d’Île-de-France, c’est le Congo. Cette identité-là, les Qataris ne semblent pas la considérer.
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Le PSG n’est pas connu pour faire machine arrière. Mais il en est capable quand la pression est forte. En début d’année, une collaboration avec Pernod Ricard avait été envisagée. Devant la polémique, le projet est rapidement suspendu. « Pour Visit Rwanda, en revanche, silence radio », résume Jordan.
Quelques têtes d’affiche
Pendant ce temps-là, les soutiens arrivent au compte-gouttes. Parmi eux, deux représentantes de Change.org. « On est venues soutenir l’initiative. C’est la pétition la plus signée de l’histoire de l’Île-de-France ! Alors on accompagne Jordan dans cette mobilisation », expliquent-elles, visiblement impressionnées par l’écho suscité en si peu de temps.
Un club comme le PSG ne peut pas devenir la vitrine d’un régime qui utilise le soft power pour blanchir son image.
Puis viennent les premiers renforts politiques. Deux députés de La France insoumise font le déplacement : Aurélien Taché et Carlos Martens Bilongo. Présence, mais pas omniprésence. Pas de caméra braquée, pas de récupération. C’est Jordan qui tient le micro, qui improvise un discours, au milieu des pancartes, des drapeaux, des regards tendus. Les élus restent en retrait, écoutent. En aparté, Aurélien Taché s’adresse sans détour aux dirigeants du club. « Beaucoup de fans de foot sont choqués par ce partenariat. Écoutez vos supporters. Mettez-y fin. Le football ne peut pas servir d’alibi à la guerre, ni à des crimes de guerre. »
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Carlos Martens Bilongo, dans le même registre, dénonce une instrumentalisation du sport au service d’une diplomatie de façade. « Il y a un agresseur, une violation claire de l’intégrité territoriale. Un club comme le PSG ne peut pas devenir la vitrine d’un régime qui utilise le soft power pour blanchir son image. Le Rwanda doit être mis au ban, comme la Russie l’a été », résume le député du Val d’Oise. Les deux élus savent que la mobilisation est encore discrète, mais ne s’en inquiètent pas. « Ça va venir. Et quand ça prendra, ça ira vite. » Et pour Jordan, puisque ce conflit en RDC est malheureusement parti pour durer, ce n’est que le début : « On en fera d’autres et on continuera à mettre la pression. »
João Neves, le sourire du PSGPar Mathias Jobert, à Paris
Propos recueillis par MJ.