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Deux potes pour un derby corse
Quinze morts. Voici le sale bilan de dix mois de règlements de compte au sein du grand banditisme corse. Mardi, Me Antoine Sollacaro, avocat nationaliste respecté, était abattu à Ajaccio, route des sanguinaires. À quelques kilomètres de là, ce dimanche à 14 heures, un combat d’une toute autre nature opposera l’ACA, 14e, et le Sporting Club de Bastia, 13e. La renaissance du derby corse en Ligue 1, après sept ans d’absence, pile au moment où le football insulaire se présente comme le meilleur moyen de redorer l’image d’une île meurtrie. Au centre de la rencontre, un scénario à l’américaine mettra en scène deux amis d’enfance, devenus capitaines des deux clubs phares du pays de Pascal Paoli. Et malgré leurs natures fougueuses, Jean-Baptiste Pierazzi et Yannick Cahuzac promettent une grande fête, le tout à l’heure de la sieste.
Il faudrait pouvoir vérifier si, dans l’histoire du football, deux gamins, qui évoluaient ensemble chez les débutants, se sont déjà retrouvés capitaines de deux formations aussi rivales. D’autant plus qu’il ne s’agit pas là d’une histoire à faire du clic tant les ex-coéquipiers du GFCA assurent être « des amis proches. Chez qui l’on va dormir quand on est petit. On se connaît depuis qu’on a quatre ans. » Et qui continuent malgré les divergences entre leurs employeurs à « s’appeler souvent, s’envoyer des messages » .
L’affaire de la billeterie
Seulement, si, en bons communicants, les deux potos veulent se la jouer Walt Disney, à grand renfort de « On s’est surtout concentrés sur l’entraînement » et de « On avait beaucoup de choses à travailler » , on peut toujours compter sur les organismes et supporters insulaires pour se chauffer avant le choc. Ainsi, à deux semaines du rendez-vous, la direction acéiste surprend son monde. Alors que, de mémoire d’homme, le stade François Coty avait toujours réservé une tribune aux fans turchini, seule une estrade douteuse de 850 places serait cette fois disponible. Pas vraiment du goût des Nordistes, qui décident de se rendre sur place pour acquérir nombre de sièges dans l’ensemble de l’enceinte. Pas enchantée à l’idée de subir les « On est chez nous » des Bastiais, l’ACA désactive sa billetterie en ligne et n’autorise l’achat que de deux tickets par tête, avant de réitérer le fameux coup de la panne de courant. À ce sujet, les deux capitaines se veulent laconiques. Yannick Cahuzac déclare ainsi ne pas être inscrit sur les réseaux sociaux, « donc pas hyper au courant. Ensuite, si ça s’est passé comme vous me le dîtes, c’est dommage, mais il y aura quand même pas mal de Bastiais. » 3 000 selon le président Geronimi. Un peu plus agacé, Jean-Baptiste Pierazzi tempère : « Je ne travaille pas encore à la billetterie. Je n’en sais pas plus que les journaux et qu’internet. […] Mais je ne vois pas comment ça se passerait mal, ça reste un match de foot, on n’est pas des gladiateurs dans une arène, il ne faut pas un mort absolument à la fin. Il faut du spectacle, qu’on montre qu’il y a des qualités, que les deux équipes jouent bien au ballon. »
De quoi décevoir une certaine France du football, qui, à peine réveillée de sa cuite du samedi soir, espèrerait un pugilat. « Sur le continent, ils n’attendent que ça. Que ça dérape » , assure le milieu de terrain rouge et blanc. Une soif de sang qui ne se trouverait donc pas où les clichés l’attendent, tant les fans de l’Ours expriment dans la rue, hormis leurs souhaits de victoire, leur fierté du football corse. « Les gens sont contents. Ils veulent un bon match et que tout se passe bien. On a beaucoup d’encouragements, mais ça reste amical, pas un seul « Il faut crever le Sporting. » » Une déclaration qui pourrait surprendre à l’orée d’un autre derby du championnat, mais logique tant « l’engagement fait partie de la culture des deux clubs » , comme le relaye Frédéric Hantz, avant de rappeler : « Mais nous sommes aussi deux équipes qui jouent au ballon. Il y aura de l’engagement, mais j’espère qu’il y aura aussi du beau jeu. Vu l’actualité, ce serait vraiment bien de montrer une très belle partie de football avec un bon football, de belles actions. » Une ambition amplement partagée dans le camp d’en face : « Ce match-là peut être un moyen de prouver qu’en Corse, on sait s’entendre, on sait se tenir, on sait être respectueux. C’est un moyen de montrer une belle image du foot corse, et de la Corse en général. Ce match sera regardé par des millions de personnes. C’est un derby, on a besoin de trois points, comme eux, mais il y aura beaucoup de respect. » Du respect, ce serait en définitive normal qu’il y en ait. Car si on ne pourra probablement pas empêcher Adrian Mutu et Jérôme Rothen de se lancer des regards plus noirs que la tête de maure, un dessein plus grand réunit les joueurs locaux.
In lingua corsa
Depuis 2008, l’idée de doter la Corse d’une équipe nationale a été relancée. Chaque année, la Squadra Corsa évolue contre une sélection reconnue par la FIFA (le Gabon, le Congo et la Bulgarie jusqu’à présent) ou, plus récemment, contre un agrégat de joueurs, comme en juin dernier pour commémorer le drame de Furiani. Un projet qui a permis de souder les professionnels insulaires : « La première année, on ne se connaissait pas tous entre nous, explique Pierazzi, les Bastiais entre eux, les Ajacciens entre eux. Mais après, le fait de se rassembler a fait que, tout suite, on s’est tous très bien entendus. Maintenant, on est tous contents de se revoir, avec Gilles Cioni, Jean-Louis Leca, même François Modesto. À chaque fois qu’on se voit, on se dit « Putain, vivement le prochain match de la Squadra ! » » Hasard ou pas, les effectifs de ce cru 2012 présentent plus d’insulaires que les précédents derbys du XXIe siècle : 7 Lions et 4 Ours sont nés sur l’île ou possèdent des origines corses.
Pour autant, la rencontre ne devrait pas non plus ressembler à un match de PHC entre l’AS du Nebbiu et l’ASC Pieve di Lota. À la question : « En cas de problème, les joueurs peuvent-ils s’invectiver en corse ? » , le protégé d’Alex Dupont certifie : « Non, on est des professionnels… On sait qu’à la moindre incartade, on peut prendre huit matchs… Je pense que ça va cartonner facilement, puis on n’est pas non plus des sauvages. » Si tous les linguistes de l’Université de Corte pourront être déçus, ils pourront néanmoins se consoler en regardant beIN. Comme annoncé par Darren Tulett sur Twitter dans la langue de son épouse, la chaîne de Charles Biétry diffusera la rencontre « in lingua corsa » . Aux micros, se retrouveront Jean-Michel Cavalli, sélectionneur de la Squadra et… Pascal Olmeta, « idole de toute une génération » pour le skipper acéiste qui, en catégorie débutant, n’aurait pas pensé affronter un jour son copain « Cahu » dans un match aussi emblématique. Et si le Bastiais, invaincu à Timizzolo, déclare au sujet de son ami que « c’est toujours un plaisir de jouer contre lui » , il met son adversaire en garde : « Tout peut aller très vite. Il ne gagnera que le TOS! »
Propos recueillis par Thomas Andrei