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Deux heures moins le quart avant Sepp Blatter (suite)
Au début de l'été 2014 a eu lieu la mise en ligne en VOD du film sur la FIFA, relu par la FIFA, visionné par la FIFA et co-produit par la FIFA : United Passions. Une histoire de l'instance dirigeante du foot mondial et de trois de ses hommes forts – Rimet, Havelange, Blatter – loin d'être un documentaire d'investigation. Du premier script originel de Luc Besson à la projection cannoise, retour sur une folle aventure de l'Azerbaïdjan au lac Léman beaucoup plus subversive qu'il n'y paraît…
Gérard Depardieu rentre de Suisse. À l’automne 2012, l’acteur français vient de rencontrer les pontes de la FIFA afin de renifler son prochain rôle de Jules Rimet dans United Passions. Il appelle alors le réalisateur marseillais Frédéric Auburtin, avec qui il avait co-réalisé Un pont entre deux rives. Pour celui qui a « eu la chance de travailler avec Comencini et Pialat » , après avoir un temps eu l’idée folle de faire un Joue-la comme Zidane à Marseille, l’occasion est trop belle : « Je suis arrivé au cinéma avec Orson Welles et John Cassavettes, et là, Gérard m’appelle pour me demander de faire un film sur la FIFA dans lequel il va jouer Jules Rimet, un type tout petit et maigre, confie-t-il. C’était complètement improbable, j’ai dit oui… » . Premier problème ? Le rétro-planning. Trois mois seulement pour le scénario, nuits et jours, main dans la main avec Jean-Paul Delfino, son co-auteur, pour écrire un film dont la préparation démarrait en même temps, et qui devait être prêt l’année d’après pour la Coupe du monde au Brésil, « un truc griffithien,Naissance d’une nation, avec l’idée que la FIFA était à l’origine de tout » . Deuxième problème ? « Faire le biopic d’une institution et d’une Coupe du monde sur plus de cent ans, sans avoir un personnage central unique, comme Salieri dansAmadeusou Jack dansLittle Big Man, qui va nous raconter une histoire… » Troisième problème ? La difficulté de trouver des sources fiables, tant le livre fourni sur le centenaire de la FIFA ne raconte bien évidemment rien sur les zones d’ombre, ni sur les affaires. Dur alors d’avoir le principal producteur comme sujet même du film. « Ils ne voulaient pas qu’on raconte une histoire qui n’était pas vraie, explique Auburtin, aussi, avec Jean-Paul, on a écrit en mettant le spectateur à l’épreuve : prouvez que ce qu’on vous montre ne s’est pas passé… »
Des hommes de légende, Dream makers, Mad Utopia
Très vite, des réponses se font jour. Auburtin pense savoir comment se saisir de cette patate chaude. « Pour cette histoire-là, il fallait une utopie, une dimension romanesque, où la fiction se confonde avec la réalité. » Avec un calendrier très serré, il se lance tout de même après que la FIFA décide de mettre ses archives à disposition du film : « Dès que j’ai su que c’était open-bar sur les archives, on a foncé. » Les premiers titres proposés sont aussi dans l’utopie : Des hommes de légende, Dream Makers ou encore Mad Utopia. Plusieurs scènes seront tournées en toute ambiguïté, telle une enveloppe sur la table basse d’un membre d’une Fédération – « des billets pour un match évidemment » dixit le réalisateur, à un petit papier sur lequel Havelange écrira discrètement un numéro – « le numéro de téléphone du journaliste, pardi » . Une séquence-clé pour celui qui souhaitait tout « sauf faire un film UNICEF » . Ce qui lui plaît dans le projet ? Sepp Blatter débarquant en Afrique avec Horst Dassler sur un terrain peuplé d’enfants sponsorisés de la tête aux pieds par Coca-Cola et Adidas. « On a tout reconstitué nous-mêmes, aucune marque ne nous a aidés, dixit la production, on a même dû faire imprimer des coupons de tissus à 3 bandes pour faire croire à des survêtements Adidas. » L’idéologie est donc là, à l’écran, dans un geste entre charité chrétienne et parfaite maîtrise du business qui en découle, tel l’actuel programme Goal pour faire la promotion des terrains synthétiques : « Il ne faut pas oublier qu’avant 2006, rappelle le réalisateur, c’est le terme de famille qui est dans les textes de la FIFA, on invente rien. »
The Social Network comme inspiration
La caricature est donc, pour tous les acteurs impliqués, plus une solution qu’un problème : « On a essayé d’être malin, explique-t-il, si bien qu’entre les grands films des années 20 du cinéma soviétique etZ.de Costa Gavras, on se disait bien qu’il y avait de la place… » Les auteurs se passionnent très tôt pour les débuts de l’institution – dès 1904 puis rapidement en 1930 – avec « ces mecs qui vocifèrent et mangent du pâté, une bande de losers qui vont créer un truc plus fort que l’ONU » . Cet amateurisme des dirigeants ne disparaîtra vraiment jamais : « Avec la FIFA, on est dans l’adaptabilité permanente face à la contrainte, c’est une constante dans leur évolution. » L’idée des auteurs ? Faire tout sauf un film de foot : « Dans The Social Network, si tu n’as jamais vu un ordinateur, tu peux comprendre l’histoire, et bien c’était ça, notre idée… » La FIFA parle, elle, d’un film « autocritique » . Pour le réalisateur, la réalité est encore plus ambiguë : « En Italie, TF1 International m’a dit que les acheteurs voulaient une lettre certifiée de la FIFA pour leur prouver qu’ils n’auraient pas d’ennuis : pour moi, c’est le plus beau des compliments. »
Sepp « Substitute » Blatter
Pour incarner Havelange et Blatter, les productrices pensent au début à Michael Caine et John Malkovich. Auburtin, lui, envisage plutôt Geoffrey Rush et Kevin Spacey. Ce seront finalement Sam Neill et Tim Roth qui débarqueront. « Tim, il a répondu en deux jours, confie le réalisateur, mais il m’a demandé précisément ce que je voulais faire, m’a parlé de sa conscience politique, de son rôle d’ambassadeur d’Amnesty International… » Christine Gozlan, – productrice de plus de 150 films avec Alain Sarde, de Michael Haneke à Sophie Marceau – rencontrera huit fois le président Blatter. Présente aussi dans l’aventure depuis le tout début, une ancienne conseillère de Jacques Chirac à la ville de Paris, Pascale Pérez, par ailleurs amie du président du Téfécé, Olivier Sadran. C’est en représentante d’un improbable consortium d’entreprises azéri, Promocéan, qu’elle rencontre Sepp Blatter lors de la Coupe du monde féminine des U17 à Bakou, début 2012. L’Azerbaïdjan, un pays où le président de la Fédération est aussi celui d’une compagnie pétrolière surpuissante, Socar. Idée folle initiale : le tournage devait s’y dérouler complètement. Les seuls plans azéris qui resteront au final sont ceux d’un terrain vague au bord de mer, où des enfants, « pulls au sol et goal volant » , dixit Auburtin, s’amusent sans artifice. Cette séquence du jeu originel, véritable fil rouge du film qui apparaît plusieurs fois, deviendra de moins en moins naïve au fur et à mesure que les « affaires » commencent à émerger à l’écran. Le point de départ ? Un incroyable monologue d’Havelange en 1975, destiné à ses onze salariés plus un, le douzième non rémunéré, glanant au passage le surnom de substitute : « Nos comptes sont mauvais, donc je me fous que vous appeliez Mao, Castro ou Brejnev, mais il faut ramener de l’argent, compris numéro 12 ? » Ainsi commence l’ascension de Sepp « substitute » Blatter, qui deviendra six ans plus tard secrétaire général de la Fédération.
« C’était très familial… »
La condition implicite pour que le film puisse voir le jour était connue : l’histoire devait tirer un trait définitif sur les affaires Havelange. C’est cette lecture qui permet d’apprécier un savoureux échange – complètement inventé – lorsque Blatter décide de « retourner voir son Obi-wan Kenobi à la fin du film » , dixit Auburtin : « Sepp, je crois que nous vous avons déçu, explique Havelange – Je savais bien que je n’entrais pas dans un club d’échecs » , répond alors le Suisse. Le film se termine en 2004, lorsque Sepp Blatter est réélu président pour la deuxième fois, lui permettant ainsi d’annoncer son grand projet : la Coupe du monde 2010 en Afrique du Sud. Tim Roth souhaitait « plus de coups de poignard » . Il offre au final, entre jansénisme laborieux et imposture hilarante, l’incarnation d’un homme simple et sans grande prétention affichée – « j’ai grandi dans une ferme, je n’ai pas peur de la boue » , dixit le personnage Blatter -, mais néanmoins candidat idéal à lui-même : « Dans toute famille, il y a des gens honnêtes, il y a des traîtres et ceux qui hésitent entre les deux ; moi, mon rôle est de protéger l’institution. »
Les larmes de Sepp Blatter
1h50 après le début du film, les corps sont transis dans les transats. Les larmes aux yeux, les huiles de la FIFA applaudissent. Le film sera distribué dans au moins huit pays, dont la Russie, la Macédoine, la Hongrie, la Slovénie… « La FIFA trouve la première partie formidable, très didactique, alors que la seconde partie est plus un thriller psychologique, confie Auburtin. La singularité du film, c’est qu’il faut tout prendre, parce que ce film raconte un rapport de forces. » Le reste de l’assistance, elle, est plus incrédule. Pippo Delbono, metteur en scène italien subversif et acteur dans le film, lui, trouve le résultat fascinant : « C’est une utopie, formidable, même si on ne comprend pas toujours vraiment bien ce qui se passe… » Sepp Blatter avait au départ suivi le tournage de loin : « C’était toujours très familial, confie Christine Gozlan. Sepp faisait des remarques sur le fait qu’il n’avait pas eu telle ou telle voiture, et parfois ses services précisaient des points historiques, mais jamais ils ne rentraient sur le contenu… » Mais c’est lors de la première vraie projection qu’il a été le plus ému. Pas vraiment par les aphorismes de son personnage, ni par l’interprétation de Tim Roth qui « bougeait trop les bras » à son goût, mais de manière plus improbable : « Il a pleuré quand Rimet prend la Coupe du monde dans les mains, confie Christine Gozlan. C’était incroyable, j’étais à côté, et je ne pense pas que c’était bidon… »
Retrouvez la première partie de Deux heures moins le quart avant Sepp Blatter
Par Brieux Férot // Tous propos recueillis par BF.