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Deux heures moins le quart avant Sepp Blatter
Au début de l'été 2014, a eu lieu la mise en ligne en VOD du film sur la FIFA, relu par la FIFA, visionné par la FIFA et co-produit par la FIFA : United Passions. Une histoire de l'instance dirigeante du foot mondial et de trois de ses hommes forts – Rimet, Havelange, Blatter – loin d'être un documentaire d'investigation. Du premier script originel de Luc Besson à la projection cannoise, retour sur une folle aventure de l'Azerbaïdjan au Lac Léman beaucoup plus subversive qu'il n'y paraît…
« Réchauffez-vous avec la ba-balle ! » C’est par une pirouette dans des mocassins vernis pleins de sable que Gérard Depardieu termine d’introduire, au Cinéma de la plage du Festival de Cannes, l’avant-première mondiale de United Passions, la mise en scène grand public de l’histoire de la FIFA, featuring séquences officielles, images d’archives et scènes intimes inventées improbables. United, pour rappeler que la FIFA est une grande famille unie par la somme de tous ses intérêts individuels, et plus grande que l’ONU ; Passions pour faire la nique au mouvement olympique qui n’a plus le monopole du cœur. « Les Jeux olympiques, c’est politique ; la Coupe du monde, c’est populaire » , dixit le fondateur d’Adidas dans le film. Une histoire sur un siècle, donc, et trois présidents : Gérard Depardieu en Jules Rimet, Sam Neill en João Havelange, et Tim Roth en Sepp Blatter.
« Ce sont des anciens joueurs, pas de grands intellectuels, ni de grands penseurs »
À Cannes, devant les huiles de la FIFA et le public dans des transats, Gérard Depardieu invite alors Sepp Blatter, lui aussi déguisé en pingouin, à présenter la genèse de ce film : « Le football, c’est de l’émotion et de la passion, c’est ce que le peuple aime. » Rideau. Pré-budgété à 28 millions de dollars avant d’être revu à la baisse, et financé en théorie seulement aux deux-tiers par la FIFA, la dernière communication officielle croisée en date autour du budget du film fait état d’un équilibre étonnant, entre 22 et 25 millions, si bien que la FIFA aura au final financé quasiment tout le film. « Ils ont un couloir prioritaire de recettes, confie la productrice originelle, Louisa Maurin, comme les autres : nous, on voulait qu’ils soient mécènes, mais eux ne voulaient pas, ils sont malins, et bien entourés. » United Passions met à jour l’idéologie qui sous-tend l’existence même de la FIFA, et rarement formulée de manière aussi claire à quelques semaines des élections internes pour lesquelles le président est candidat à un cinquième mandat : Sepp Blatter est en mission pour protéger la FIFA, une organisation composée de personnes qu’il a pour la plupart aidées à monter – juristes, commerciaux, présidents de fédérations – mais qui sont avant tout des êtres humains avec leurs faiblesses, lui inclus. Et s’il ne doit en rester qu’un, alors le pénitent suisse sera celui-ci, martelant dans le film, toujours avec ironie, que « les droits de l’homme ne peuvent pas être bafoués » .
Une roue de secours à 1,5 milliard
Principale cible de l’affaire ? João Havelange, évidemment, condamné dans la vraie vie à 1 million de dollars d’amende pour corruption, et mouton noir du film, dépeint sans trop de nuances sur ses pratiques d’un autre temps, comme lorsqu’il se prend pour Dieu devant ses petits-enfants et leur partie de Subbuteo. « Il y a de ça chez eux, être les gardiens du graal, confie la co-productrice Christine Gozlan, ne pas perdre de vue, comme le dit Rimet dans le film, que l’important, c’est le ballon, et que le ballon, c’est l’enfance. » Sur le fond, la fiction mélange le vrai et le faux, loin du documentaire d’investigation, ce qui permet de projeter, et c’est bien là tout son intérêt, toutes sortes de fantasmes : le trésor de guerre d’1,5 milliard de la FIFA serait la roue de secours, en cas de coup dur, pour financer complètement une Coupe du monde. Cela en dit plus que les discours. Le coup de force du film : que la corruption et le racisme y soient présentés – acceptés donc par la FIFA – comme des conséquences de l’affaiblissement des hommes et non des causes de celui de l’institution. Imparable. « Ce sont des anciens joueurs, euphémise Gozlan, pas de grands intellectuels, ni de grands penseurs. »
« Blatter, il savait qu’on savait qu’il savait »
Pourquoi la FIFA a-t-elle bien pu accepter un scénario qui raconte un siècle d’histoire de ses hommes forts avec des dialogues à double voire triple sens ? Robert Guérin, premier président par défaut, que les producteurs souhaitaient développer avant que les auteurs nuancent légèrement son rôle dans l’histoire ? « Je suis le président de la FIFA parce que je suis le moins saoul. » João Havelange ? « La politique et le sport sont inséparables, et j’ai de grandes ambitions pour l’Afrique. » Sepp Blatter ? « Il ne faut jamais oublier que les hooligans sont des consommateurs comme les autres. » L’actuel patron de la FIFA a bien compris l’intérêt que sa boutique soit, dans un film produit et réalisé par des gens de cinéma, présentée depuis sa création comme une association de pieds nickelés animés d’une véritable idéologie : celle de protéger le jeu et la naïveté des enfants, quitte à utiliser tous les moyens possibles contre d’éventuels présidents de fédérations corrompus en son sein. « Ils avaient tout à gagner à profiter de la licence poétique et littéraire du film, explique le réalisateur Frédéric Auburtin. Blatter, il savait qu’on savait qu’il savait, il a bien compris toute l’ironie de le montrer en super-héros qui retourne le monde, ce qui fait que je n’ai eu personne de la FIFA sur le plateau, jamais… » Le coup de génie de Blatter au moment de la sortie du film ? Se garder de trop en parler, et laisser le soin à d’autres membres du comité exécutif de la FIFA, tel le président de la Fédération algérienne Mohamed Raouraoua, d’en faire l’éloge sans trop de nuances. Les conséquences pour ses porte-flingues ? Se retrouver en ligne de mire de la presse anglaise, prête à tout pour affaiblir le comité exécutif et tenter de récupérer la Coupe du monde 2022.
Jérôme Valcke, Luc Besson et… le siège de la FIFA sur Mars
Comment tout cela a débuté ? La première à entrer dans la danse fut Louisa Maurin, picaresque organisatrice des Globes de Cristal. Loin d’avoir déjà produit des films à 20 millions, elle obtient néanmoins brillamment la première un rendez-vous avec Jérôme Valcke en 2010 par l’intermédiaire de… Mohamed Raouraoua, algérien comme elle. L’idée de Louisa Maurin ? Faire un film historique sur le développement de cette « instance dirigeante, qui n’est pas une instance sportive » , des « mecs partis de rien » , et sur la Coupe du monde, « un peu comme L’Enfer du Dimanche d’Oliver Stone… » Sauf que ses interlocuteurs maîtrisent moins le cinéma que les contrats : il n’existe ainsi pas de structure de production et de diffusion de son patrimoine audiovisuel. Mieux : très peu s’y connaissent en football. « Le seul qui parle football à la FIFA, c’est Blatter » , confie Christine Gozlan. Un premier scénario avait été écrit par Luc Besson, dont Maurin a récupéré les droits. Le pitch ? « Une histoire imaginaire d’un ballon qui se promène sur la planète et qui finit dans les étoiles, avec le siège de la FIFA sur Mars. » Elle développe ensuite une première version avec Yves Boisset, de l’avis de beaucoup, complètement ratée. En parallèle, elle arrive à convaincre Gérard Depardieu de jouer Jules Rimet. Avant de choisir le réalisateur, Gégé souhaite d’abord aller en Suisse renifler ces hommes d’influence qu’il aime tant. Pour la réalisation, ils évoquent Ridley Scott, Thomas Gilou ou le duo Nakache et Toledano. Entre Gladiator, La Vérité si je mens et Intouchables. Ça promet.
–> Retrouvez la suite de l’aventure dans la deuxième partie de Deux heures moins le quart avant Sepp Blatter, ce lundi à 16 heures
Par Brieux Férot // Tous propos recueillis par BF