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Deschamps, l’embarras du choix
Seize mois après la finale de l'Euro 2016 perdue face au Portugal, Didier Deschamps l'assure : le chantier est terminé et l'équipe de France est « sur la bonne route en attendant le printemps », ce que le nul décroché en Allemagne (2-2) mardi soir a confirmé. Mieux, elle a progressé, évolué et grignote toujours un peu plus la marge de progression qui était la sienne à la sortie d'un championnat d'Europe qu'on rêvait étape, mais qui restera le point de départ central d'un nouveau projet. Définitivement, ces Bleus avancent et voilà Deschamps face aux embouteillages.
Le micro à peine allumé, Didier Deschamps vise, et tire : « Est-ce que j’ai bien aimé le match ? Et vous ? » Le sélectionneur national n’a que trop bien appris à écouter depuis plusieurs semaines, plusieurs mois, pour laisser les vestes se retourner sous ses yeux sans le moindre sourire. Quelques jours plus tôt, lors d’un après-midi où les cloches de la vérité avaient décidé de tinter à Clairefontaine, il avait déjà glissé sur le parquet pour défendre l’avancée de sa mission : « Non, on n’est pas en chantier ! Des gens extérieurs et importants ont une image ou une analyse de ce qu’on fait qui est nettement supérieure à celle qu’on peut avoir, à entendre le sélectionneur brésilien Tite ou Lionel Messi. Évidemment qu’on a une marge de progression. » Mardi soir, dans l’obscurité d’un salon de Cologne, où l’équipe de France est venue cocher la dernière case de son année 2017 avec un nul concédé sur le gong face à l’Allemagne (2-2), Deschamps a ajouté la deuxième lame, glissant aux journalistes français présents un « vous voyez que la Suède n’était pas si mauvaise que ça » , façon de recadrer des médias qui ne cessent de grogner en silence depuis cinq ans.
« Ce soir, au-delà du résultat qui me chiffonne, la prestation collective est de très bonne facture, poursuit alors le coach. C’est bien pour l’équipe, c’est bien pour eux. Ce n’était pas un examen de passage, mais j’avais averti tout le groupe de profiter du temps de jeu qui serait attribué, que ce soit pour les titulaires ou les entrants. Après, en pensant à ceux qui n’étaient pas là et qui auraient pu y être, à ceux qui étaient là et qui ont été performants, les choix vont être difficiles.(…)La qualification et ces deux matchs amicaux prouvent que l’équipe de France est compétitive. Maintenant, le révélateur, ce sera la compétition. » Un sourire entre les bonnes notes d’un rassemblement désormais écoulé : Deschamps a réussi son pari de pouvoir « être capable d’être performants dans plusieurs systèmes » cette semaine.
Explosion et efficacité
Souvenons-nous, l’Euro 2016. Souvenons-nous de ce changement de système forcé en pleine compétition, souvenons-nous de cette équipe de France bouffée par sa recherche d’automatismes offensifs constante, conséquence d’une « frilosité » choisie au départ par le sélectionneur. Durant toute la compétition, la construction initiale du jeu tricolore avait enrayé ses gâchettes offensives. Coupables : les latéraux, Évra et Sagna, plus aptes à détruire qu’à bâtir, secteur qui, par sa mauvaise utilisation, donnait un chantier total à l’animation offensive des Bleus pour la phase de qualification à suivre. Les seize mois écoulés depuis la défaite contre le Portugal ont prouvé que cette anomalie avait été réparée – Sidibé, Jallet, Kurzawa à un degré moindre, et Digne livrant majoritairement des copies convaincantes, notamment ce dernier en Allemagne mardi soir – et ont permis à l’équipe de France d’avancer dans la construction de son nouveau projet où l’idée centrale était de mettre le secteur offensif dans les meilleures dispositions.
De cette semaine, mais aussi de la globalité de l’année 2017, Didier Deschamps ressort donc avec de la clarté tactique : évoluer en 4-4-2 face aux blocs regroupés comme celui du pays de Galles vendredi (2-0), où Griezmann peut jouir d’une liberté quasi totale et échanger en mélodie avec des milieux qui n’hésitent pas à se projeter (Matuidi, Tolisso) ; avancer en 4-3-3 face aux nations majeures comme l’Allemagne, qui ouvrent naturellement le jeu, et donc les espaces, ce qui permet aux ailiers français – Mbappé en tête, Martial quand il est sur son rythme de Cologne – d’exploser en contre et aux milieux de retrouver la condition de base de ce qu’est l’équipe de France sous Deschamps. Soit un ensemble à l’image de celui qu’il était en short : infatigable sur le terrain et en perpétuelle recherche de l’équilibre collectif, ce qu’il exprime le plus souvent en demandant à ses gars de « s’arracher » et de « partir au combat » , ou en alignant invariablement Blaise Matuidi. Le jeu n’est toujours pas au centre du projet. Parlons d’efficacité et de caractère.
Le piège de la gagne
En ça, le résultat ramené de Cologne ramène des certitudes. Cette équipe sait souffrir collectivement et offrir un cocktail puissant parfaitement représenté par l’ouverture du score de Lacazette, mouvement collectif magnifique bouclé par le génie individuel de Martial. Dans son coin, Didier Deschamps préfère parler de « convictions » plutôt que de « certitudes » , mais obtient surtout le plus souvent l’objectif final pour lequel il a débarqué dans ce milieu : la gagne, à la fois piège et atout. Qu’on le veuille ou non, au moment de faire les comptes, c’est ce que l’on retiendra. C’est aussi ce qui compte pour la FFF qui quantifiera la mission du sélectionneur national – même s’il a déjà été prolongé – au nombre de niveaux passés en Russie plus qu’en temps de possession, en nombre de ballons récupérés dans les pieds de l’adversaire ou en nombre de passes réussies. Avec la victoire, le grand public hurle, il chante, se rassemble – il y avait plus de 2000 français à Cologne mardi soir, un record qui ne trompe pas – et Deschamps s’en réjouit, les « supporters » étant évoqués à chaque conférence de presse.
S’autoriser à briller
Mais voilà que tout irait presque trop bien, que l’on devrait se contenter d’une équipe qui gagne avec « une dimension collective » et qu’il faudrait réserver les histoires de « beau jeu » aux utopistes comme dirait le mentor en chef de Deschamps, Aimé Jacquet. Un détail : au printemps prochain, le boss devra sélectionner 23 soldats pour la campagne de Russie. Là où commencent le casse-tête, les emmerdes et les choix. De ce point de vue, le mois de novembre avait facilité sa tâche avec huit absences de taille – Pogba, Kanté, Mendy, Sidibé, Lemar, Payet, Dembélé, Lloris –, mais mai ne laissera aucune place, on l’espère, à la facilité. Aujourd’hui, Tolisso bouscule Pogba dans la hiérarchie d’un milieu déjà bondé, où Nzonzi n’a pas dépareillé lors de ses deux premières sorties internationales et où Bakayoko est déjà en salle d’attente alors que Rabiot reste à l’affût d’une place de titulaire malgré des prestations guidées par sa volonté personnelle. Devant, le même bordel, si l’on accroche les visages des possibles nommés : Lacazette, doubleur buteur face à l’Allemagne, Thauvin, Giroud, Mbappé, Griezmann, Lemar, Payet, Dembélé, Coman, Martial, Fekir.
En souhaitant de « l’ouverture » , Deschamps ne s’est pas facilité la tâche, mais s’est aussi offert le luxe de choisir, ce qu’il n’avait pas forcément bien fait avant l’Euro 2016, emmenant finalement un groupe au profil majoritairement défensif, l’amputant dans le même temps de profils offrant davantage de liberté créative, que ce soit au milieu (Rabiot, Ben Arfa, voire Koziello) ou un cran plus haut, ce qui lui aurait filé une carte vers la profondeur (Lacazette). Ces choix avaient conduit à l’essoufflement de sa réflexion sur un détail, mais les récentes performances doivent aussi pousser le sélectionneur à confirmer son approche pour ne pas se cacher en Russie avec des profils plus athlétiques que créatifs. Il vaut parfois mieux gagner 5-3 qu’arracher un vulgaire 1-0. Ne pas être en chantier doit permettre de s’autoriser à briller. La porte est désormais ouverte.
Par Maxime Brigand, à Cologne