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Des poupées russes et des têtes de Turc
C'est un match amical entre équipes qui n'ont plus vraiment envie de sourire. Sorties laminées et humiliées dès le premier tour de l'Euro, la Turquie et la Russie entament leur long travail de reconstruction, à base de stars laissées à la maison, et de nouveau coach adepte du coup de bâton.
Avec le coup d’État raté du 15 juillet, la Turquie n’aura pas mis bien longtemps avant d’avoir d’autres sujets de conversation que son Euro désastreux. Et pourtant, même au milieu de ce n’importe quoi généralisé du putsch avorté, le ballon rond avait quand même réussi à se montrer. Au moment du grand nettoyage d’un président Erdoğan déchaîné et déterminé à ne plus voir une seule tête dépasser, un mandat d’arrêt avait été émis contre la légende Hakan Sükür, jugé trop proche de l’ennemi du pouvoir, Fethullah Gülen. L’ancien attaquant de Galatasaray est tout simplement accusé d’être « membre d’un groupe terroriste armé » , et a eu la bonne idée de partir s’installer aux États-Unis fin 2015, ce qui lui a évité d’être arrêté. Mais ce soir, à l’Antalya Arena, il ne sera question que de football pur, et de ce match face à une autre équipe sortie en lambeaux de son Euro, la Russie. Et si aucun coup d’État n’est pour l’instant prévu du côté du Kremlin, les choses ont beaucoup bougé autour de la sélection russe depuis la catastrophe de cet Euro à un nul et deux défaites. Le coach, Leonid Slutsky, a été viré dès la fin du mois de juin, sans qu’aucun remplaçant ne soit désigné. « Nous n’avons pas d’entraîneur, nous n’avons pas d’équipe. Nous repartons de zéro » , se désolait le président de la Fédération russe début août, alors que le poste était encore vacant. Dans le même temps, une pétition en ligne demandant la dissolution de l’équipe lancée après la débâcle récoltait près d’un million de signatures, autour de ce simple credo : « Nous demandons l’exclusion de tous les membres de la sélection 2016, qui ne justifient pas nos espoirs et se sont discrédités aux yeux de la Russie. »
L’Anatolie à la dérive
Les deux équipes étaient arrivées en France au mois de juin avec des ambitions. Mais alors que la Russie présentait la deuxième équipe la plus âgée de la compétition, la Turquie débarquait avec une bande de jeunes en qui Fatih Terim, le sélectionneur, disait avoir une confiance absolue : « Je suis sûr qu’il ne leur faudra que cinq minutes pour s’acclimater à l’atmosphère d’un grand tournoi.(…)Nos joueurs sont affamés. » Il n’était sans doute pas sans savoir que son équipe avait une cote de popularité au plus bas en France à cause des déclarations sur l’Europe d’Erdoğan, ou de la minute de silence sifflée à Istanbul après les attentats du 13 novembre. Mais les Turcs ont réussi l’exploit de se faire lyncher également à domicile dès le premier match perdu face à la Croatie. « Je suis très déçu et attristé des critiques des journalistes turcs » , grondait alors le capitaine Arda Turan. Au match suivant, face à l’Espagne, il allait passer une heure et demie à se faire siffler et huer par ses propres supporters à chaque ballon touché. Non convoqué face à la Russie, il regardera le match depuis son canapé. Pourtant, après le dernier match de poule remporté face aux Tchèques, coach Terim se voyait déjà en huitièmes et fanfaronnait : « Il faut attendre les résultats de demain, mais j’estime qu’on a 80 à 90% d’être qualifiés. Je serais extrêmement frustré et navré si ce n’est pas le cas. » Lancé dans ses fantasmes, il disait même rêver d’un parcours du type Euro 2008, où les Turcs avaient atteint le dernier carré. Ce soir, il fera face au nouveau sélectionneur russe, qui lui est tout sauf homme à s’emballer.
Des moustaches et du champagne
Chez la Sbornaya, le nouveau patron se nomme Stanislas Tchertchessov, et ce moustachu bourru, ancien gardien du Spartak et de la sélection dans les années 90, n’est pas du genre lyrique. Réputé dur avec ses hommes, il a commencé par ne pas rappeler les trois quarts de l’équipe présente à l’Euro. Ainsi, pour le match de ce soir, seuls huit des 23 sélectionnés de juin dernier ont survécu : « Nous avons besoin de créer la bonne alchimie pour que les joueurs soient heureux lorsqu’ils rejoignent l’équipe nationale. En premier lieu, nous allons devoir faire en sorte que l’on respecte de nouveau l’équipe. » Après l’Euro, où les hools russes ont été plus remarqués que les joueurs, l’équipe de Russie était devenue une source de désespoir au pays. L’attaquant Aleksandr Kokorin et le milieu Pavel Mamaev avaient même réussi à se faire griller début juillet – alors que l’Euro n’était pas terminé – en boîte à Monaco, en train d’acheter 500 bouteilles de champagne pour rincer tous les clients. Une addition à un quart de millions d’euros, pour des bouteilles qui avaient été servies avec l’hymne russe joué à fond. Pour aider le football russe à se relever, les solutions les plus folles ont été imaginées, à l’image de cette idée du secrétaire général de la Fédé, Anatoli Vorobiov, qui voulait que tous les joueurs de la sélection rejoignent le même club pour apprendre à jouer en ensemble. De façon plus réaliste, le nombre de joueurs étrangers dans les clubs russes va être limité à six, pour aider les locaux à s’imposer et à progresser. Car après être sortis tout piteux de l’Euro en France, on n’ose pas imaginer ce qu’il adviendrait des joueurs russes s’ils se ridiculisaient à domicile lors de leur Coupe du monde dans deux ans.
Kokorin et Mamaev s’amusent en boîte à Monaco :
Par Alexandre Doskov