- France
- Ligue 1
- Le joueur de la 1re journée
Des plaies, des buts et Duhamel
Mathieu Duhamel et la Ligue 1, c'était une histoire d'amour impossible entre un marginal talentueux et un football aseptisé où les forts caractères font peur. Sauf qu'après des années passées à trimer dans les échelons inférieurs, le gosse de Mont-Saint-Aignan a trouvé chaussure à son pied au Stade Malherbe de Caen. Auteur d'un doublé face à Évian pour sa première en Ligue 1, le tout frais trentenaire n'a pas fini de faire parler de lui.
Pour beaucoup d’amateurs de football, Mathieu Duhamel était comme un « compagnon de train » . Quelqu’un que l’on aperçoit régulièrement, sans véritablement le connaître, sans savoir précisément qui il est ou ce qui l’amène par ici. Le rendez-vous avec lui n’était pas quotidien, mais hebdomadaire. Un petit moment télévisé entre vous et lui, où le truculent Caennais Thomas Thouroude a joué le rôle d’entremetteur. Il n’y a pas de honte à avoir : Mathieu Duhamel et vous, vous vous êtes rencontrés à la télé, un soir d’Équipe du dimanche, un moment précieux. Perdu entre Zlatan Ibrahimović, Cristiano Ronaldo et Lionel Messi, l’attaquant du Stade Malherbe de Caen aux statistiques soignées (24 buts en Ligue 2 la saison passée) était le running-gag préféré du présentateur de Canal+, ce qui ne lui déplaisait pas, loin de là. « En gros, même quand je suis fatigué, je regarde l’émission jusqu’à la fin pour ça, nous racontait-il au printemps dernier. Et à chaque fois que je vais me coucher, j’ai le sourire aux lèvres parce qu’il me fait rire et c’est sympa de sa part. Si un jour, j’ai l’occasion, j’aimerais le rencontrer pour le remercier, parce que ce qu’il fait, c’est vraiment sympa. » Il est comme ça, Mathieu Duhamel : il profite et dit merci, comme pour compenser les moments où il a grimacé et dit « merde » . Loin d’avoir la langue dans sa poche, le buteur caennais aura d’autres occasions de voir son nom sur le petit écran. Ce qui était loin d’être acquis il y a peu.
Tatouage, mal du pays et bagarre générale
Avoir un tatouage « ce qui ne me tue pas me rend plus fort » , en italien, sur le bras droit, c’est un peu ringard. Sauf que dans le cas de Mathieu Duhamel, toujours vivant et dont la grand-mère est italienne, on n’est pas loin de la vérité. Pourtant le début de la carrière footballistique de l’enfant de la Seine-Maritime ressemble plus à une autoroute qu’à un chemin de croix. À treize ans, il intègre l’INF Clairefontaine : « J’étais content d’y entrer car, sur 700 gamins, on est 24 à avoir été pris, donc ça prouvait certaines choses. » On n’est en 1997 et le gamin est fier, mais déchante vite. « Ça a été très difficile pour moi, car je m’ennuyais des miens. Je suis très famille. J’étais trop jeune pour partir. » Et trop petit pour revenir. De retour dans sa région natale, il porte les couleurs du FC Rouen, mais rame à cause de problèmes de croissance. Du genre tenace, le buteur rebondit à Quevilly, en CFA, au poste d’arrière-gauche. Débarrassé de ses problèmes de taille, Duhamel traîne son mètre 83 ça et là en Normandie. De retour à Rouen et enfin stabilisé en attaque, il plante 12 buts en 29 matchs de CFA en 2006. Amateur jusqu’à l’âge de 23 ans où il rejoint Romorantin et le Loir-et-Cher adoré de Michel Delpech, Duhamel garde des souvenirs précieux de cette époque. « J’ai connu tous les niveaux : PH, DHR, DH, CFA et National, donc c’est vrai que ces expériences font qu’aujourd’hui, je suis un joueur un peu plus complet. Jouer dans certains stades de PH ou DH, je pense qu’un professionnel ne pourrait pas le faire parce que parfois, ce n’est pas trop du football. » C’est même plutôt de la baston : « J’ai vécu des bagarres générales. Mon pire souvenir, ça doit être le jour où j’ai joué contre une équipe à côté de Rouen, dans un quartier où c’est devenu n’importe quoi parce que quand tu gagnes, tous les supporters entrent sur le terrain et ça dérive en bagarre générale. »
Indigestion du milieu
Maintenant qu’il n’est plus poursuivi par des supporters enragés, Mathieu Duhamel est précédé d’une réputation désagréable. Souvent qualifié de grande gueule, le Caennais a le malheur d’être franc et ambitieux au royaume de la langue de bois : « Je sais que l’on m’a collé une étiquette de mec ingérable. Certains dirigeants, comme ceux de Romorantin, ont voulu ruiner ma carrière et ma réputation. Mais à l’époque, je ne pouvais pas jouer, j’étais cloué au lit avec un œdème au dos. » À Laval, où il plante 11 buts une année de montée en Ligue 2, l’histoire se termine mal. Encore. « Le coach m’a recruté pour mon caractère et un an après, il me vire pour la même raison. » Engagé à Troyes en 2010 après un passage d’une saison à Créteil, il est isolé dans le vestiaire et est prêté à Metz où a lieu le déclic. Interrogé dans les colonnes de L’Équipe, son entraîneur de l’époque, Dominique Bijotat, ne nie pas le côté tête de lard de son ancien protégé : « C’est un égoïste, il est obnubilé par le but. Dès son arrivée, il a réveillé le groupe. Il a besoin de se sentir aimé. » Il a surtout besoin de se sentir à la maison, comme il y a 17 ans, à Clairefontaine. C’est pour cela que courtisé, le buteur complet a resigné à Caen. C’est aussi pour cela qu’il est parfois mal à l’aise dans l’environnement dans lequel il évolue : « Je n’aime pas la tricherie dans ce milieu. Les simulations et tout ça, je ne peux pas parce que dans les divisions dans lesquelles j’ai joué, il n’y a pas de trucs comme ça. Du coup, je n’arrive pas à digérer l’injustice. » En espérant qu’il digère mieux le passage de L’Équipe du dimanche au Canal Football Club.
Par Swann Borsellino