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Des pelouses de district à la frontière ukrainienne
Sa 28e bougie à peine soufflée, Anthony Boisset a dû faire son paquetage pour rejoindre les militaires français mobilisés par l’OTAN, non loin de la frontière roumano-ukrainienne. Brigadier-chef du quatrième régiment de chasseurs alpins de Gap, il laisse derrière lui son club de Sisteron Football Club, actuel leader de D1 du district des Alpes. Au moment où le sprint final pour la lutte à la montée vient tout juste de pointer le bout de son nez, l'équipe haut-provençale se retrouve privée de son meilleur buteur.
Sisteron a beau être à plus de 2000 kilomètres à l’ouest de Kiev, le conflit entre l’Ukraine et la Russie bouleverse aussi la vie de ce village de 7000 âmes. En réponse à l’invasion russe, débutée le 24 février dernier, l’OTAN soutient directement Volodymyr Zelensky et ses citoyens via des livraisons d’équipements militaires ou de produits de première nécessité. Peu de temps après, l’Alliance transatlantique a également annoncé le déploiement de soldats à ses frontières pour anticiper un éventuel débordement du conflit en dehors de l’Ukraine.
C’est dans ce cadre que 500 militaires français ont rejoint la base de Mihail-Kogălniceanu, à moins de 150 kilomètres de la frontière ukrainienne. Parmi eux, Anthony Boisset, brigadier-chef au sein du 4e régiment de chasseurs de Gap la semaine et avant-centre du Sisteron Football Club, le week-end. Une équipe qu’il a dû quitter dans la précipitation à la fin du mois de février : « Il nous a annoncé son départ un jeudi, il est parti le lundi suivant », se rappelle Philippe Malheiro, son coach depuis deux saisons. « Ce n’est pas la première fois. En début de saison, j’ai dû partir pendant deux mois en Vigipirate à Menton. En 2019, j’étais aussi parti au Mali. Mais la différence avec cette fois-ci, c’est que d’habitude c’est prévu », raconte le jeune homme. Son entraîneur reprend : « Ça sort du contexte du foot, ce sont des moments particuliers, des moments que je n’ai jamais vécus. »
La tactique et les gens d’armes
En attendant le retour de son attaquant, le SFC a encore une poignée de matchs à disputer pour finir cette saison. Leaders devant Gap, le gros poisson de la poule, les Sisteronais vont désormais devoir faire sans celui qui fait partie des cadres de l’effectif. « C’est compliqué. C’est un battant, il nous apporte son abnégation, son envie. On a une équipe assez jeune, il amène son expérience, ses coéquipiers l’écoutent, c’est un exemple ici », confesse le technicien. Heureusement pour lui, son buteur a déjà la solution pour pallier son absence : « Souvent, ils font monter un jeune dans l’effectif senior, un jeune qui s’entraîne avec nous et qui est à la disposition du coach. On a la chance d’avoir un effectif assez large et complet. Les mecs ont appris à jouer à plusieurs postes. » Philippe Malheiro pourra également jouer sur cette absence pour motiver ses troupes : « Dans le discours, on parle toujours de ceux qui ne sont pas là et qui n’ont pas eu le choix. Ça reste des paroles, mais j’ai un groupe jeune et parfois ça les réveille. »
Justement, pour le dernier match d’Anthony avant son départ, le 27 février dernier, le coach se remémore : « L’équipe était motivée à 200% pour lui offrir une victoire avant qu’il ne parte. Ils ont essayé de tous jouer pour lui. C’était émouvant, prenant. » Et surtout réussi. Ce jour-là, Anthony et ses coéquipiers écrasent l’ES Banon, bon dernier de la poule, 12 à 0. Malgré ce succès, l’entraîneur reste conscient que le chemin pour accéder à l’échelon supérieur reste encore long. Le club de Sisteron doit disputer neuf rencontres d’ici la mi-juin, sans doute sans son militaire dont la mission devrait l’éloigner des pelouses jusqu’en juillet prochain au minimum. D’ici là, « je vais essayer de composer, de trouver d’autres alternatives, même si dans notre dispositif il est important. C’est vraiment handicapant pour le groupe. Ça fait partie de l’amateurisme, on n’a pas le choix, on fait avec », avoue le coach, un brin fataliste. Des changements qui expliquent sans doute la défaite de son équipe le week-end qui a suivi le départ d’Anthony.
« Je suis un acharné de foot »
« Je ne sais pas si c’est de la malchance ou autre, mais on n’avait pas perdu depuis le mois de septembre », raconte celui qui est désormais basé dans le sud de la Roumanie. Même à plus de 2300 kilomètres de là, il suit de très près les performances des copains. « Quand ils ont perdu, j’étais dégoûté, comme si j’étais avec eux », se souvient celui qui était meilleur buteur de son club au moment de partir, la voix teintée d’amertume. Car s’il n’a plus les moyens d’aider directement les siens, le brigadier-chef tente de rester le plus impliqué possible au sein du groupe. « Je suis un acharné de foot », lâche Anthony depuis sa caserne roumaine. « J’ai un ami qui va voir les matchs et de temps en temps je les regarde en FaceTime, raconte-t-il avec un sourire qui s’entend à l’autre bout du fil. Après les matchs, je les appelle… C’est comme si je n’étais pas parti ! On a un groupe sur Messenger où avant chaque match je leur envoie un message :« Allez les gars ! »Je suis quand même très présent. » Pas suffisamment pour effacer ce « sentiment d’abandon » qu’il éprouve lorsqu’il évoque la saison – si prometteuse – qu’il a été contraint de mettre de côté soudainement. Une manière de dire que même depuis le județ du Constanța, le foot ne le quittera finalement jamais, tout comme ses copains sisteronais. « On essaie de rester en contact, je l’appelle assez fréquemment, explique l’entraîneur haut-alpin.On lui montre qu’il nous manque et qu’on est derrière lui. Ce sont des choses qui nous dépassent, pas faciles à gérer, mais on essaie de l’aider au mieux. Le plus important, c’est qu’il puisse revenir chez lui, revoir sa fille, sa femme et sa famille, au-delà du foot c’est sa vie d’homme. »
Pour l’heure Anthony ne peut vraiment mieux leur rendre qu’à travers quelques messages de motivation ou de félicitation. Une fois en mission, il arrive parfois que des matchs s’improvisent entre les formations, les exercices et les instructions qui rythment son quotidien, même s’ils « n’aiment pas trop ça à l’armée, parce qu’il y a beaucoup de blessés. Alors ils privilégient des sports où il y a moins de blessures ». En club, Anthony voit sa pratique ponctuée par des départs « tous les dix-huit mois, à peu près ». Mauvais timing, cette année il manquera le prochain rassemblement de la sélection de l’Armée de terre après avoir manqué de peu le titre la saison passée, au détriment de l’équipe de gendarmerie. « En octobre et novembre, je commençais déjà à me préparer pour ce rassemblement. Je voulais le refaire, j’avais un petit goût amer d’avoir fini deuxième, explique Anthony. Le départ m’a coupé, même si le plus important, c’est avec mon club. » D’ailleurs, l’objectif d’Anthony est bien moins ambitieux que le titre national avec l’Armée de terre : « J’aimerais bien un jour pouvoir faire une saison complète. » À condition qu’une fois sa mission terminée, un nouveau conflit ne l’emmène pas ailleurs.
Nelio Da Silva et Florian Porta
Tous propos recueillis par ND et FP.
Photos : Facebook du Sisteron FC.