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Des Indonésiens dans la ville
Ce week-end se déroulait la 17e édition de la Danone Nations Cup, la Coupe du monde des dix-douze ans. La compétition aura vu défiler plus de deux millions de gamins et, parmi eux, douze jeunes Indonésiens qui auront eu le courage de braver le froid de Meudon et du Stade de France. Entre ambiance de folie, rires et même quelques pleurs, les petits Indonésiens garderont un grand souvenir de leur voyage en France.
Un Twister. La première compétition internationale des petits Indonésiens s’est jouée au Twister. À ce jeu-là, ce sont les Sud-Africains les meilleurs. À coup sûr, les petits Indonésiens sont meilleurs balle au pied. Car ils ne sont pas venus en France pour beurrer des sandwichs. Tous issus d’une école de football, les jeunes Indonésiens, âgés de onze et douze ans, ont remporté un tournoi qui a vu plusieurs milliers d’équipes s’affronter. Mais pour une fois, ce sont des enfants de la capitale, Jakarta, qui défendront les couleurs indonésiennes. Une question alors : ces jeunes qui viennent de familles plutôt aisées ont-ils vraiment la gagne indonésienne ? Car cette compétition est prise très au sérieux là-bas. Ne pouvant pas vraiment compter sur les adultes, suspendus par la FIFA pour les éliminatoires de la Coupe du monde 2018, les jeunes sont très soutenus sur les réseaux sociaux. L’ambassadeur indonésien était même venu assister à chaque match l’année dernière. En plus de l’entraîneur de l’équipe, la Fédération a missionné Jackson, entraîneur d’origine brésilienne qui est une véritable star du métier en Indonésie, pour encadrer l’équipe. Les jeunes Indonésiens ont même effectué un stage de dix jours avant d’être quasiment les premiers à atterrir en France. À l’hôtel, tous les smartphones ont été confisqués pour ne pas déconcentrer les joueurs. Bref, la Danone Nations Cup est leur Coupe du monde, et ne pas passer au moins les poules serait une énorme déception.
« Indonesia bisa »
Après le Twister, le nouveau défi qui attend les Indonésiens est beaucoup plus relevé : les bouchons parisiens. Les jeunes arrivent en retard et stressés et ne sont pas rassurés par les organisateurs qui veillent à ce que chaque entrée et sortie de vestiaire soit parfaitement chronométrée. Les petits Indonésiens découvrent aussi la galanterie française : les femmes d’abord. En marge du choc France-Portugal, les Indonésiens s’échauffent donc au mieux avant leur premier match face à l’Italie, représentée par l’AS Roma, seule équipe entièrement féminine de la compétition. Pendant que les petits Bleus signent leurs premiers autographes après une victoire à l’arrache contre les Portugais, les Indonésiens font leur entrée sur le terrain. Après un beau cri de guerre « Indonesia bisa » ( « Indonésie c’est possible » ), le match peut commencer. Deux joueurs se démarquent : le capitaine et numéro 6, Mulkan, qui, avec ses lunettes, a des faux airs d’Edgard Davids, et le numéro 10, Andriano, qui se balade sur son côté gauche et qui signe un doublé. Il laisse sa place au numéro 11, qui ne regrettera pas son voyage en France, puisque l’arbitre siffle la fin du match juste après le changement. Alors qu’Andriano est tout de suite interviewé par la télévision indonésienne, Étienne, organisateur chargé de s’occuper de l’équipe durant la Danone Nations Cup, se veut lucide : « Ils ont un groupe assez faible. Ça va passer les poules, mais après, il y aura des équipes largement meilleures. »
Dès le match contre la Corée du Sud, les Indonésiens montrent leur faiblesse en défense et se font rapidement mener 2-0. Mais ils parviennent à faire preuve de mental et finissent par arracher le match nul. Sur le chemin des vestiaires, les joueurs croisent leurs prochains adversaires, mais surtout leurs grands amis depuis le début de la compétition, les Sud-Africains. On fait les comptes et quelques petits arrangements en rigolant. Mais dans les vestiaires, Jackson redevient sérieux. « Vous êtes bavards en dehors, mais sur le terrain, on dirait que vous êtes muets » , dit-il à ses joueurs. Puis, s’adressant au jeune qu’il a sorti au bout de cinq minutes, il lâche : « Tu faisais le malin tout à l’heure à regarder les jolies Italiennes, mais faut que tu te reconcentres maintenant ! » Pour le reste, indonésien ou pas, un discours de coach reste un discours de coach. On parle tactique et replacements, bref, le football est un langage universel.
Drague et graffitis
L’avant-match est festif. Les Indonésiens et les Sud-Africains se lancent d’abord dans un concours de chants et mettent l’ambiance au bord du terrain. Vexés de se voir voler la vedette, les jeunes présents dans les tribunes lancent un clapping pendant l’échauffement des deux sélections. Si un match nul contenterait les deux équipes, les Indonésiens profitent d’une bourde du gardien pour aller chercher la première place du groupe. « Sur un malentendu ou sur un coup de chance, ils pouvaient finir premiers du groupe. On a eu les deux ! » , en rigole Étienne.
Après une interview collective et un goûter bien mérité, les jeunes Indonésiens doivent se préparer pour la dernière épreuve de la journée : l’atelier graffitis. Jackson, lui, est déjà sur sa tablette et prépare le match du lendemain contre l’Argentine. Il en profite pour dresser un bilan de la journée : « C’était une journée magnifique parce qu’on a réussi à se qualifier. Les garçons ont été très bons. Pour moi, le premier match a été le plus dur parce qu’on a joué contre des filles et c’est toujours des matchs différents. Les garçons avaient un peu peur et n’osaient pas jouer à 100%. Je reconnais aussi qu’on a été très chanceux de marquer contre l’Afrique du Sud. Mais au football, en plus du talent, il faut bien parfois de la chance. Je suis très fier des garçons et j’espère que demain, ils seront encore plus confiants. » La confiance, les petits Indonésiens la prennent quelques mètres plus loin devant les Italiennes. Sur leur espace dédié aux graffitis, ils marquent en gros « Love Italy » et s’amusent à prendre des selfies avec les jeunes filles. L’unique coup dur de la soirée : Mulkan, malade depuis la veille, fait une rechute.
Retour à la réalité
Le lendemain, les jeunes Indonésiens, un peu endormis, n’ont pas l’air très motivés à l’idée de rencontrer l’ogre argentin. Mais Jackson a la solution. Dans les vestiaires, il les fait danser un par un devant tout le monde. Les enfants se prêtent au jeu et la séquence loufoque finit dans des éclats de rire. « C’est facile, pour réveiller un enfant, il faut le faire sourire » , nous enseigne Jackson. Malheureusement, la réalité du football est plus cruelle et les petits Indonésiens ne font pas le poids face aux Argentins qui s’imposent 1-0 après avoir totalement dominé la rencontre. Visiblement très déçu, l’entraîneur indonésien engueule ses joueurs. Mais Jackson calme le jeu et tente de remobiliser ses troupes pour le prochain match contre la France. Quoi de mieux qu’un match contre le pays organisateur pour montrer qu’on sait jouer au football ?
Avant le match contre les Bleus, le capitaine Mulkan a l’air de moins en moins bien. Mais les entraîneurs ne veulent rien entendre et assurent que les Indonésiens ont souvent un mental un peu friable et qu’il faut les pousser pour qu’ils se motivent. C’est donc la tête basse que le capitaine mène son équipe sur le terrain. Mais c’est la tête haute qu’il marque sur un corner et vient offrir à l’Indonésie une victoire de prestige contre le pays hôte. Forcément, tout le monde est un peu plus décontracté. Même un peu trop. Face au Mexique, pour leur dernier match de la journée, les joueurs ne semblent pas très concernés. Après tout, le travail est fait : les gamins pourront frimer chez eux en racontant qu’ils ont tapé l’Italie et la France. Totalement dépassés, les Indonésiens prennent un cinglant 5-0. Mais cette lourde défaite ne fâche pas vraiment l’entraîneur, ni Jackson, plus préoccupé par l’idée de trouver une place en tribune pour l’alléchante demi-finale Brésil-Allemagne qui s’annonce. Dans le bus du retour, l’ambiance est plus à la fête. On chante, mais surtout on rigole en regardant les photos de la journée, notamment les selfies pris avec la jolie organisatrice qui traînait près des vestiaires. Dragueurs un jour, dragueurs toujours.
L’ambiance dyonisienne
Le jour de gloire est arrivé, et les petits Indonésiens ont l’air plus réveillé. Mais le trac est là et, dans les vestiaires, les allers-retours aux toilettes se multiplient avant de découvrir, émerveillés, la pelouse du Stade de France. Car après les sessions de qualifs à Meudon, la dernière journée de l’épreuve se joue dans l’enceinte dyonisienne. Dans les tribunes, l’ambiance est montée d’un cran après l’arrivée surprise de Patrick Kluivert, venu encourager les Pays-Bas, et surtout de Blaise Matuidi, ambassadeur France de la Danone Nations Cup 2016. Mais les Indonésiens n’ont pas le temps de serrer les mains de leurs idoles et, sur la musique d’entrée du Vélodrome, font leurs premières foulées sur la pelouse du SDF. Pleins de fierté, les joueurs se rendent compte que leur match face à la Tunisie est retransmis sur les deux écrans géants. Alors forcément, on tremble un peu et les passes ne sont pas toujours précises. À la 14e minute, le match bascule. Andriano est accroché dans la surface et l’arbitre n’hésite pas à siffler penalty. L’Indonésie passe devant et, même après un énorme loupé, s’impose 1-0 pour finir à une très honorable onzième place. « Notre plus grand souvenir, ça va être cette victoire dans ce très grand stade. C’est extraordinaire, je suis très content de notre compétition et des garçons » , s’exclame Jackson, heureux.
La compétition est terminée pour les Indonésiens, mais la journée est loin d’être finie. En tribunes, ils assistent alors au match des Bleus, vainqueurs de l’Uruguay, avant la grande finale Allemagne-Japon. Au bord de la pelouse, les Twins font le show (des jumeaux danseurs), puis laissent la place aux Allemands et aux Japonais. Finale oblige, le match est un peu fermé et finit sur un 0-0. Mais les petits Indonésiens auront au moins pu avoir un aperçu de l’ambiance du Parc des Princes d’antan. Pendant le match, une centaine d’ultras parisiens font irruption en tribunes et chantent jusqu’à la fin. La fameuse Danone Nations Collectif Ultras Paris. Si les matchs de la compétition se jouent à huit contre huit, à la fin, ce sont quand même les Allemands qui gagnent, après la séance de tirs au but. Mis à part les pleurs japonais, la remise des trophées est alors un grand moment de sourires et de chansons. Après avoir reçu leurs médailles, les petits Indonésiens se dirigent vers les tribunes à la droite de l’estrade. Là se tient l’ambassadeur de leur pays qui félicite toute l’équipe. Les gamins peuvent rentrer chez eux avec le sentiment du devoir accompli. Et les numéros de téléphone des Italiennes.
Par Robin Richardot