- Wyscout
- Reportage
- Itw Matteo Campodonico
« Des dirigeants ont cru qu’on avait inventé l’IPad »
C’est l’histoire d’un simple passionné qui, parti de rien et avec ses deux amis associés, est devenu en quelques années le leader mondial de l’analyse vidéo et statistique des rencontres de football professionnel. Entretien et même leçon d’entrepreneuriat.
L’aventure a commencé comment ?Avec Rapallo, la Sammargheritese, la Sestrese, des équipes de notre région qui évoluaient en Promozione, soit la 7e division. C’était en 2004, le dimanche, on allait filmer leurs matchs et on faisait des montages vidéo que l’on fournissait aux entraîneurs. Moi, je travaillais, mais mes deux collègues étudiaient encore, ça les aidait à payer leur loyer.
Dès le début, vous proposez vos services au Genoa qui évoluait alors en Serie B.On s’est dit qu’on n’avait rien à perdre, et ils nous ont rappelés assez rapidement. On travaillait avec Serse Cosmi, puis ça a rapidement pris, la Samp, l’Udinese, la Lazio, la Roma. Toutefois, ça ne suffisait pas pour vivre, il n’y avait pas de marge, on bossait avec les entraîneurs qui changeaient de club chaque saison ou se faisaient virer, on filait le matériel à leurs assistants qui l’exploitaient. C’étaient des petits contrats, vous savez, les clubs sont riches quand il s’agit d’acheter des joueurs, mais ils cherchent à économiser sur tout le reste. J’avais deux enfants, mon boulot dans une banque, je ne pouvais pas encore tout plaquer.
À la base, vous êtes donc un simple passionné.J’ai joué en amateur, milieu gauche. Mon entraîneur était Antonio Odasso, il nous enseignait la tactique et la technique, mais surtout, il nous faisait voir des vidéos. Par exemple, celle de Maldini pour le travail défensif, de Völler pour l’offensif. Si un coach vous le montre sur le terrain d’entraînement, c’est une chose, s’il vous fait voir ces gestes exécutés par des grands champions, c’en est une autre. Il filmait nos matchs aussi, afin de corriger nos erreurs. C’était de la 7e division, il y a 20 ans, et il avait tout compris avec ses VHS, c’est mon background. Il est malheureusement décédé récemment.
Quel a été le tournant ?Au début, Wyscout était comme un Microsoft Access consultable via internet. Une grosse base de données avec les vidéos reliées aux joueurs ou aux équipes, il fallait les commander, et nous, on envoyait les DVD. Mais ça, ça n’intéressait pas les directeurs sportifs, on se faisait recaler, c’était un truc pour leur secrétaire. Il n’y avait pas encore YouTube ou de streaming. La bande passante s’est alors améliorée, on a eu l’idée de mettre tout notre travail dans un décodeur. C’était vers 2009, ça a fait la différence, les dirigeants sont devenus fous, ils naviguaient avec leurs télécommandes. Ils ont compris qu’on faisait quelque chose de sérieux. Parfois, j’aperçois encore ces vieux décodeurs blancs dans les sièges des clubs, même s’ils ne servent plus.
Il paraît que vous devez beaucoup à Apple.Les entraîneurs et directeurs sportifs les plus expérimentés ne sont pas très branchés informatique, il fallait quelque chose de simple, pratique. C’est le principe de l’iPad, tu fais tout avec ton doigt. On en a commandé 100 avant leur première sortie, on a monté l’application qu’on venait de développer et on les a offerts à de nombreux recruteurs. On a de suite reçu des coups de fils pour nous féliciter, ils croyaient qu’on avait carrément inventé l’iPad ! Cela a tout changé, les autres concurrents, leur matos, il fallait un diplôme d’ingénieur pour l’utiliser. Nous, on a tout simplifié.
Vous êtes donc aussi passionné des nouvelles technologies.Disons qu’on a toujours observé avec attention les innovations, on a forcément dû se mettre à la technologie appliquée, dans notre parcours, on a rencontré des experts en la matière. Aujourd’hui, notre responsable technologie est une sortie de génie de l’informatique.
Ça, c’est pour le scouting et la préparation des matchs, mais vous avez déclaré vouloir devenir un genre de Linkedin du foot. Nous sommes la plus grande communauté du foot après la FIFA, qui a d’ailleurs sorti son Global Player Exchange pour valider les transferts, c’est une sorte de Wyscout. En plaisantant, j’ai d’ailleurs dit à mes collègues : « On a un nouveau concurrent et il s’appelle tout simplement FIFA ! » Je veux que Wyscout devienne un instrument pour tout le monde, pas seulement pour les pros, il faut le démocratiser. Aujourd’hui, on a bouclé la boucle en se remettant à miser sur les équipes amateurs. L’idée est que pour 10 € par mois, un joueur de D7 ait accès à ses stats, ses vidéos, qu’il puisse les partager sur Facebook. Le côté ludique et l’aspect réseau social doivent être développés.
Vous ne vous êtes pas toujours appelés Wyscout.On a changé cinq fois de nom, un long processus qui représente bien notre parcours. Nous étions d’abord Sport Video Service, personne ne pigeait, on voulait un nom plus cool. Ça a donc été Wisport, mais la Nintendo a sorti la console et on venait nous la réclamer dans nos bureaux (rires) ! On a mis un y, mais les affaires n’allaient pas, on faisait aussi de la web tv, des congrès de médecine, on avait Wymedia, Wymatchanalysis et Wyscout qui a explosé. On a donc misé dessus.
Prochaine étape, en faire un outil indispensable pour la presse.On possède énormément de contenus qui peuvent être utilisés pour analyser les matchs, les compétitions, tout est mathématique, en un clic, vous pouvez avoir accès aux meilleurs jeunes de Ligue 1. Émission de mercato, Lille veut acheter un joueur algérien, c’est qui ? En deux minutes, vous connaissez ses stats, sa carrière, son contrat et son style de jeu. Un instrument rapide et efficace, notamment pour tout ce qui est en direct.
Vous cherchez aussi à transmettre votre expérience avec la création de Wylab.Un incubateur de starts-up, cela fait des années que je reçois des mails de félicitations accompagnés de projet sur lesquels on me demande mon avis. Notre expérience suscite de l’espoir. Avec mon collègue, il y a un an, on a rendu ce processus systématique, en créant Wylab, dédié aux projets qui se lancent dans l’environnement du foot et de la technologie que l’on connaît très bien. Nous avons une fonction de tuteurs, on garde les meilleurs et on les suit.
Marco Monti, ancien président du Conseil, a même fait appel à vous pour mettre en valeur votre réussite et encourager les plus jeunes.Je ne pouvais pas dire non, aujourd’hui, je me sens entrepreneur, pas politicien. J’aime faire les choses pour la communauté. C’était une courte mais belle expérience, difficile de refuser quand une personne de cette importance vous appelle.
Quid de la concurrence ?Elle est là, principalement anglaise et russe, on a trouvé un modèle gagnant, tout le monde a suivi. Ce monde est tellement grand qu’il y a de la place pour tous. Et puis nos concurrents changent d’un secteur à l’autre, selon qu’on s’adresse aux télévisions, aux joueurs, aux dirigeants.
Vous avez travaillé avec la France, vous l’avez trouvée au point sur le recrutement ?La France peut compter sur des circonstances géopolitiques particulières, elle mise sur ses bassins de scouting historiques et uniques, la langue et le passeport font beaucoup. Tous les joueurs venus de l’Afrique… ça c’est la chance de la France. On a mis plus de temps à s’y implanter, d’autant qu’il y avait des concurrents français qui étaient légitimement prioritaires, mais maintenant on est bien présent. Disons qu’on veut aussi bosser avec les jeunes là-bas, en important notre modèle dans les centres de formation.
Propos recueillis par Valentin Pauluzzi