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Des Bleus sous tension artificielle
Accrochée lundi soir par la Turquie (1-1) au stade de France, l'équipe de France devra attendre novembre pour pouvoir faire la belle avec son billet pour l'Euro 2020. Qualifiés pendant cinq minutes, les Bleus ont de nouveau flanché sur un coup de pied arrêté et pêché par manque de réalisme. Mais Deschamps s'interroge tout fort : c'est quoi une équipe plus offensive ?
Peut-être qu’il en a marre : lundi soir, alors qu’il venait de voir ses hommes se fracasser les dents sur la Turquie pendant plus de quatre-vingt-dix minutes, Didier Deschamps a, lui aussi, commencé à faire traîner ses incisives sur la table qui lui faisait face dans l’auditorium du stade de France. La raison ? Une énième attaque sur son approche du foot, sa conception du jeu, le choix de certains hommes. Question : « Didier, n’avez-vous pas l’impression d’avoir aligné une équipe trop peu offensive ? » Réponse cinglante : « Bon, on a tiré plus de 20 fois au but, on a cadré une dizaine de tirs. Alors oui, on aurait pu encore plus cadrer, mais c’est quoi au juste être plus offensif ?
Si l’équipe alignée ne se crée pas d’occasions, je veux bien entendre ce genre de choses, mais là… Moi, je n’ai jamais de regrets. Je fais simplement des choix. La Turquie, ce n’est pas l’Albanie et ce n’est pas l’Islande, chaque match est différent. Le problème, c’est qu’à la fin, je sais que c’est le résultat qui est le plus important. À partir de là, toutes les analyses peuvent être dites et faites. Mais contre l’Islande, Blaise avait déjà joué ailier gauche et on avait marqué quatre fois, non ? » Puis, Deschamps a sorti son plus beau sourire et des réponses un poil plus douces : non, ce faux pas à domicile, le premier lors d’un match de qualification disputé à Saint-Denis depuis un France-Espagne perdu (0-1) en mars 2013, ne l’inquiète pas et ne devrait, d’ailleurs, inquiéter personne. Sur ce point, difficile de contrer le sélectionneur des Bleus, dont la qualification pour l’Euro 2020 est simplement retardée sachant qu’une nouvelle opportunité repassera dans un mois. Et même deux fois. Ainsi, voilà comment Didier Deschamps est reparti de son digestif médiatique : « Maintenant, il nous faudra juste finir le boulot. » Circulez.
Le retour des petits détails
Deschamps est bien le premier à savoir que la rencontre de lundi était à prendre avec des pincettes : drôle d’adversaire, drôle de contexte. L’idée centrale était donc de ne pas se planter, et l’équipe de France n’est pas vraiment passée à côté de son rendez-vous. Elle en repart simplement avec un sale goût en bouche : celui du sentiment qu’il y avait bien mieux à faire face à une Turquie emmerdante à jouer, mais qui aura finalement été assez inoffensive, notamment en première mi-temps, avant de se réveiller avec l’entrée en jeu d’Hakan Çalhanoğlu à la pause. Ce qu’il a manqué : l’efficacité vue début septembre contre l’Albanie et Andorre. Ce qu’en a dit le premier entraîneur du pays : « On a fait ce qu’il fallait pour gagner ce match. Si on regarde la première et la deuxième mi-temps, sans un grand gardien en face… Donc je suis satisfait du contenu, de ce qu’on fait mes joueurs. À l’aller, il n’y avait pas eu photo. Là, il y a eu match, on n’a simplement jamais réussi à obtenir le résultat que l’on souhaitait obtenir. Et celui avec lequel on repart ne reflète pas vraiment la physionomie du match. » À savoir : 64% de possession pour les Bleus, 23 tirs tentés contre cinq concédés, dont un seul cadré, 89% de passes réussies, dix corners à zéro… « Je pense que ça fait longtemps qu’on n’avait pas joué comme ça et c’est dommage » , a même appuyé Antoine Griezmann dans les couloirs du stade de France, avant d’avertir ses petits potes : « Il faut faire attention aux petits détails. Ce sont eux qui peuvent te mettre dehors d’un Euro ou d’une Coupe du monde. » Évidemment, on en est loin, mais Griezmann tape juste : si les Bleus veulent marcher sur tous leurs adversaires – ce qui est leur devoir en tant que champions du monde ( « Avec ce statut, on se doit de battre tout le monde » , Tolisso) -, certains boulons vont devoir être resserrés.
De l’importance de s’abriter
Un principal, notamment, confirmé par cette nouvelle parenthèse internationale : la gestion des coups de pied arrêtés défensifs car, comme à l’aller en Turquie, les Bleus ont été pris au second poteau, Benjamin Pavard foirant sur le coup son alignement et Mandanda ne bouchant à aucun moment son angle. Griezmann : « On savait qu’il pouvait y avoir danger au deuxième poteau, mais on prend quand même le but là-dessus… » Sissoko : « Est-ce qu’on s’est relâchés ? Non, il faut plutôt croire qu’on avait l’envie, car c’est Antoine qui revient sur l’action, qui essaie de bloquer l’adversaire et qui fait faute. Le but intervient derrière, mais au contraire, on voulait bien faire. On apprend de nos erreurs. » Et Pavard : « Ce but-là nous emmerde, c’est clair. Mais les coups de pied arrêtés font partie du foot.
C’était à nous de se mettre à l’abri plus tôt. Finalement, ils ont eu un tir cadré pour un but. Il faut d’abord se préoccuper de nous. » La conclusion de Deschamps est donc partagée : si les Bleus n’ont gratté qu’un point lundi soir, c’est avant tout à cause d’eux, de leur incapacité à convertir les quelques bons mouvements – comme celui qui a amené la première occasion de Griezmann au quart d’heure de jeu – en but et de leur manque de créativité dans le dernier tiers adverse. Comment l’expliquer, cette fois ? Peut-être en trifouillant dans les carnets russes et en repensant à cette phrase de Deschamps : « Giroud, c’est quand il n’est pas là que vous mesurez le mieux son importance. » Contre la Turquie, le troisième meilleur buteur de l’histoire de l’équipe de France est d’abord resté sur le banc, puis est entré à la place d’un Ben Yedder incapable de vraiment montrer le bout de son nez au cœur du débat du soir. Résultat ? Quatre minutes plus tard, il a permis aux Bleus d’ouvrir le score. Un vieux classique pour un type qui avait déjà filé la victoire à la bande vendredi soir dernier, en Islande (0-1).
« Olivier ? C’est vous qui doutez de lui »
L’attaquant de Chelsea est un mec qui marche en permanence sur les braises, mais qui réussit, surtout, à créer des étincelles. Nouvelle confirmation ce matin : sa présence sur le terrain fait du bien à Antoine Griezmann et maximise les qualités du joueur du Barça. C’est aussi ce que Didier Deschamps défend à chaque fois : le fait que son buteur chéri existe à travers les autres. Avant le week-end, voilà ce qu’il disait : « Il est toujours important. Je ne me préoccupe pas des interrogations extérieures, cela ne me concerne pas. » Olivier Giroud a beau se faire les dents sur le banc en club, il revient toujours et cogne toujours. « Il subit, a glissé Deschamps lundi soir. Avant le mois de janvier, rien ne pourra bouger. Après, ce sera à lui de voir. On ne peut pas lui enlever ses buts. On peut ne pas aimer son profil, mais il marque, fait bien jouer les autres. Il sait qu’il est un peu sous pression, mais il sait aussi qu’il a toujours ma confiance. » Proche de l’attaquant, Benjamin Pavard, lui, en a profité pour mettre un taquet – « C’est vous qui doutez de lui » -, comme pour dire qu’à bord du navire, tout le monde a conscience de l’importance d’un bonhomme qui avoue ne pas pouvoir se « contenter de ce qu’il a aujourd’hui » . Et on peut le comprendre. L’équipe de France croise aujourd’hui son chemin : elle ne peut se contenter de faire nul contre la Turquie, d’une seconde période trop floue, de certaines performances individuelles (Ben Yedder, Sissoko) et de boucler sa phase de qualification en deuxième position de son groupe, ce qui la ferait automatiquement basculer dans le chapeau 2 pour le tirage au sort de l’Euro. Ce lundi soir, rendu « bizarre » par le contexte et le fait que les Bleus n’ont jamais vraiment évolué à domicile, aura prouvé qu’il restait du boulot. C’est aussi comme ça qu’on avance et qu’on se motive à recevoir la Moldavie, un soir de novembre.
Par Maxime Brigand, au stade de France
Propos recueillis par MB et MR.