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Des armes à feu et des roses
Ils seront a priori 3000, aujourd’hui au stade Loujniki, pour pousser l’équipe de France face à la Croatie en finale de Coupe du monde. Hier, devant l’hôtel des Bleus, ils n’étaient pas beaucoup plus que cinq à s’être déplacés pour donner de la force aux joueurs de Didier Deschamps. Et aux Guns N’Roses.
C’est une veille de Coupe du monde et ils sont cinq, accoudés à l’une des beaucoup trop nombreuses barrières métalliques qui servent à séparer « la foule » du bus des Bleus. Cinq Français – hors équipes de la télé française – et pas un de plus à s’être déplacés au Hyatt Regency Moscow Petrovsky Park, dernier lieu d’hébergement de l’équipe de France et de son staff. Avant d’être rejoints par une dizaine de personnes qui se baladaient dans le secteur par hasard, ils ne sont donc que cinq. Il y a trois copains trentenaires venus de Saint-Étienne. Ils s’appellent Lotfi, Orhan et Joachim et ne sont pas venus pour beurrer des tartines. « Dès que la France s’est qualifiée pour la finale, j’ai acheté une super place à 2500 euros et j’ai chauffé deux copains pour en faire de même. C’est cher, mais c’est le genre de chose à faire une fois dans sa vie » , glisse Lotfi, qui gère une société d’étanchéité.
Sébastien, la trentaine lui aussi, est venu seul de Munich. Il avait déboursé 700 euros pour la demi-finale à Saint-Pétersbourg face à la Belgique et sera encore dans les tribunes pour la finale, mais moins bien placé que le trio stéphanois. « J’ai pris une place à 425 euros. Pour une finale de Coupe du monde, ça va carrément ! Je m’en fous d’être mal placé, je veux juste vivre ça en étant au stade. » Sébastien est un peu là par hasard : « J’allais voir Belgique-Angleterre sur la place Rouge et je me suis rendu compte dans mon taxi que j’étais en fait juste à côté de l’hôtel des Bleus. J’étais obligé de passer. »
Aurélien trahi par son instinct
Aurélien, Parisien de 32 ans, bosse à Monoprix. Il vient de passer un mois seul en Russie et reprend le boulot mardi. « Ça va être dur, mais je profite jusqu’au bout. Ça fait deux heures que j’attends. Si je peux faire une photo avec Mbappé ou Griezmann, je ne dirais pas non. » Trahissons le suspense tout de suite : Aurélien ne réussira à prendre aucun selfie avec un joueur. Pire, à 16h15, quand Didier Deschamps et Hugo Lloris – partis au stade Loujniki avant le reste du groupe pour cause de conférence de presse – sortent de l’hôtel, Sébastien n’est pas là. Guidé par son instinct, il est resté dans le hall de l’hôtel, spéculant sur le fait que les Bleus allaient surprendre tout le monde en empruntant une autre sortie. Perdu. Cela n’empêche toutefois pas Aurélien d’avoir passé de bonnes vacances : « Il y a quatre ans, j’avais fait la même chose au Brésil, prendre toutes mes vacances pour vivre la Coupe du monde sur place. Pour la Russie, j’avais acheté mes places dix mois à l’avance. J’ai vu un Pérou-Australie et un Uruguay-Portugal. La finale, je la verrai depuis la fanzone. Trop cher pour moi. Ce n’est pas très grave. La France, j’aurai d’autres occasions de la voir. Alors que le Pérou… »
Clément d’Antibes, deux Péruviennes et les Guns N’Roses
Ils sont donc cinq, et Lotfi croit savoir pourquoi : « L’information n’a pas trop fuité, personne ne savait que les Bleus étaient dans cet hôtel. » La vérité, c’est aussi que les Français sont très discrets, voire invisibles dans les rues de Moscou. Ah, un sixième larron débarque. C’est Clément d’Antibes. Il s’allume une clope et pose pour une photo avec des passants qui trouvent sa dégaine rigolote. Joachim, l’un des membres du trio, s’excite : « Quelqu’un a un gros marqueur ? Je vais essayer de faire signer un joueur sur mon short. » Personne n’a de marqueur. En revanche, Orhan a du feu et aide Joachim à allumer sa cigarette.
La délégation française commence à rejoindre son bus. « Président ! Monsieur le président, un sourire ! » Noël Le Graët a beau être à une quinzaine de mètres de Clément d’Antibes, ce dernier rentre quand même un joli selfie. Les joueurs sortent au compte-gouttes. Des signes de la main, des sourires, mais pas de photo ni d’autographe. Il y a un ultime entraînement à faire et une Coupe du monde à gagner, alors Paul Pogba et ses coéquipiers font dans la sobriété. Au grand désarroi de Joachim : « La tête qu’ils ont ! On dirait qu’ils vont à un enterrement… »
Bien loin de cet agacement et à cinq mètres de la scène, Jackie et Francis, deux Péruviennes, sont aux anges. Quelques minutes auparavant, Jackie avait pourtant mis sa capuche et s’impatientait : « Ça fait quatre heures que j’attends, je commence à avoir froid… » Voir son chouchou Kylian Mbappé lui réchauffe subitement le cœur : « Désormais, je supporte la France. Savoir que le Pérou a perdu contre le vainqueur, ça me va. » Francis, qui jure qu’elle est fan de Griezmann, a un autre chantier à s’occuper. Ses informations lui font dire que les Guns N’Roses sont également dans l’hôtel des Bleus. Le groupe était en concert à Moscou la veille, et Francis, qui se balade avec le sac à dos à l’effigie du groupe, était évidemment de la partie. « Je les ai vus plein de fois : à Lisbonne, Bilbao, Mexico. Normal que je sois là à Moscou » , débite celle qui réside à Cancún et qui a cru apercevoir deux femmes russes traquer également le groupe devant l’hôtel.
Ça y est, les Bleus sont dans leur bus direction le stade Loujniki. Griezmann glisse un dernier coucou derrière la vitre, mais tout le monde est globalement déçu. Sauf Francis : « Je viens d’aller aux toilettes de l’hôtel. J’ai croisé Dizzy Reed, le claviériste ! Il n’a pas voulu faire de photo, car il se séchait les mains, mais il m’a dit de revenir tout à l’heure. » Alors Francis reviendra tout à l’heure.
Par Matthieu Pécot, à Moscou