ACTU MERCATO
Derrière le pot de gel, Rémy Cabella
Raillé d'un côté par l'opinion publique pour un amour prononcé de la mèche fixation béton et les voitures flashy à briser la rétine. Décrit par ceux qui le connaissent comme un homme simple, amoureux du football spectacle et de la bonne charcuterie... Mais qui est l'homme derrière le pot de gel ? Portrait d'un garçon qui a choisi de revenir dans le Sud de la France, parce que selon son entourage « c'est le meilleur moyen d'avoir du temps de jeu et de participer à l'Euro » .
Rémy Cabella a le regard dans le vide. Il est sur le banc, mais aujourd’hui, ce n’est pas si grave. Non, ce qui importe vraiment, c’est que le stade Ange-Casanova ait rempli les caisses. L’assise est un peu raide, certes, les sièges légèrement trop serrés, mais le stade est plein à craquer. Et c’est bien ça l’important. Rémy est chez lui à Ajaccio, le 6 juin 2009, par cette douce soirée d’été. Sur le terrain, le score est de 1-1. Un beau match de football entre la Corse et le Congo. Cette rencontre, organisée par la Corsica Football Association en préparation de la Coupe du monde 2010 et de la CAN de la même année, constitue surtout un bon prétexte pour que chacun des appelés puisse honorer sa sélection avec le groupe de l’Île de Beauté. Rémy, lui, est un vrai. Un fada. Un Corse jusqu’à la moelle, élevé au cœur des villas HLM de Bodiccione à Ajaccio. Il est décrit par son père Hector comme un accro : « La Corse ? Elle fait partie de lui. Il écoute de la musique d’ici, il a des photos d’ici, des bouquins d’ici. Il n’a pas perdu son identité ! Au contraire, elle se renforce avec la distance. » Son attache à l’île passe avant tout.
Seulement pour l’instant, le short irrémédiablement vissé au banc de touche alors que l’on joue la 75e minute, le petit Cabella ronge son frein. Il vient quand même de gagner une Coupe Gambardella avec Montpellier, merde ! En marquant qui plus est le but du 2-0, point de départ annoncé d’une carrière prometteuse. C’est qu’il a envie de jouer, le petit. Et puis finalement, Jean-Michel Cavalli lui fait signe. Il est temps pour lui de se joindre à la fête. Rémy est aux anges. La sélection corse, ce n’est qu’un début. L’avenir lui tend les bras. Mais ce qu’il ne sait pas encore, c’est qu’il se pétera le ligament croisé antérieur du genou droit deux mois plus tard. Crac. Six mois sur le carreau. La tuile, mais surtout le symbole d’un homme écartelé par les contradictions. Modeste en privé, extravagant en public, il est aussi capable de crever un pneu en pleine ascension.
De dribbleur à leader
Pour espérer comprendre le fonctionnement d’un labyrinthe, autant s’adresser directement à son architecte. Ici c’est le père, Hector Cabella, qui s’y applique avé l’accent : « On a toujours eu une petite vie tranquille. Il y avait beaucoup de familles comme nous à Bodiccione, avec plusieurs enfants. Du coup, dès qu’il sortait de l’école, il jouait au foot. Dehors, dans le quartier ou juste à côté, au terrain de la Sposa, le terrain d’entraînement du Gazélec. C’était à dix mètres de chez nous. » Le GFCO, Rémy le connaît depuis 1995, où il s’inscrit à cinq ans seulement après deux saisons chez les voisins de l’Athletic Club. Et de toute évidence, le gamin est doué : « Tout petit, il faisait des choses qu’aucun autre gamin ne faisait. Enfin si, mais ils avaient trois ou quatre ans de plus. Il a toujours eu une technique supérieure » , confirme Hector, éducateur de son fils en débutant et de 10 à 14 ans. Comme beaucoup de Corses, Rémy est « très famille » . Et même un peu trop parfois : « On était dans la même chambre quand on était petit » souffle son grand frère Thierry, le cadet de la portée de quatre où Rémy est le troisième. Pas peu fier, il raconte l’histoire d’un môme bien connu de son quartier : « C’est une petite ville, donc forcément tout le monde se connaît. Rémy, lui, il était connu dans tous les quartiers ! Dès qu’il jouait contre une équipe dans les plateaux de jeunes, il était craint. » De fait, force est de constater qu’à penser foot toute la journée, Cabella commence à connaître quelques tours de passe-passe. Son péché-mignon. Le rhum de son baba. Le dribble.
« Quand je l’ai connu, il commençait à peine (il avait 20 ans), très très fort techniquement, mais il avait de mauvaises habitudes : foncer dans le tas la tête baissée » , confirme Fabien Laurenti, qui a connu Rémy Cabella en prêt à Arles-Avignon lors de la saison 2010-2011. « Passer dans l’axe à Montpellier lui a fait du bien parce qu’il a été obligé de lever la tête et regarder autour. » Car oui, en jeune chien devenu fou à la découverte de l’immensité des champs de blé coupés après l’été, cette facilité de la semelle marque toutefois un premier palier dans son évolution. Pour passer à l’échelon supérieur, il doit apprendre à placer juste. Rythmer son corps, redresser le buste. Jonathan Tinhan, coéquipier et ami de Rémy Cabella à Montpellier entre 2011 et 2014, était aux premières loges pour assister à la mue du phénomène : « Techniquement, il est largement au-dessus de la moyenne. J’ai joué en jeune pas mal de fois contre lui quand j’étais à Grenoble, en 16 et 18 ans nationaux, mais aussi en CFA. Et quand je suis arrivé à Montpellier, il n’a fait que confirmer ce que j’avais vu de lui. Le Rémy du début de saison 2012 (celle du titre, ndlr), et celui de la fin de saison, c’était deux Rémy complètement différents. Une progression énorme… Un envol. En deuxième partie de saison, il a su tenir le rôle que Younès (Belhanda) avait en première partie de saison : celui de leader technique. Il a maintenu le niveau de l’équipe. » Et puis, Newcastle : « Pas un mauvais choix » pour tous ses proches, « c’est quand même le meilleur championnat du monde » . Et aujourd’hui Marseille, là encore « une bonne idée puisqu’il connaît la France et qu’il va avoir du temps de jeu » avec en ligne de mire l’Euro 2016. Forcément.
Pétanque, Play et épisodes de H
Pour en arriver là, le méché a toujours su faire les efforts à côté du terrain. Il est loin de sécher les cours pour s’adonner à sa passion de toujours. Il décroche son bac STG et se met à l’anglais, voyant dans son parcours scolaire un formidable atout à sa carrière de footballeur. En bref, un élève classique… Ou presque : « Il était toujours dans les dix premiers de sa classe » , se souvient Hector, le padre. « C’était un élève très sérieux. Même si comme beaucoup d’enfants, sous ses habits normaux, il avait une tenue de foot et qu’il cachait un ballon en mousse sous sa veste. » En fait, Rémy vit pour le foot. Il se réveille foot, mange foot, étudie foot et, lorsqu’il lui arrive de prendre la manette dans son canapé, c’est pour jouer au foot. Thomas Bartoli, son meilleur ami, ne compte plus les après-midi passés devant la console : « On joue depuis qu’on a 12 ans à la console. Comme tout le monde au début, on jouait à PES, mais c’est devenu nul. Et puis aujourd’hui et depuis plusieurs années, on est passés à FIFA parce que c’est tout simplement mieux. ll a un sacré niveau maintenant. Mais plus jeune, il était moins bon, alors il maronnait beaucoup. » Jusqu’au fameux lancer de manette ? « Non, mais il bisque. » Comprendre : il râle. Voilà pour les 90% de son temps. Sinon « c’est simple : on jouait à la pétanque le matin et au foot l’après-midi, ou l’inverse. Pétanque, play, foot, ça tournait autour de ça. Et parfois on allait à la plage. » Un quotidien de Corse en somme.
Baigné dans le culte de la Juventus via les origines italiennes de son père, le garçon considère la Vieille Dame comme son club de cœur, conférant à sa personnalité un attrait non caché pour la bonne bouffe. Parce qu’en bon adepte du « spuntino » , un casse-croûte corse à base de charcuterie, Rémy Cabella est un homme de routine. « Pas un fêtard » , selon son meilleur ami, « il a la même copine depuis qu’il a 17 ans. La famille, c’est son sang. D’ailleurs, il a pleuré le jour où il a quitté Montpellier. Il est très émotif, Rémy. » Jonathan Tinhan, compagnon de chambrée lors des stages d’avant-saison du MHSC : « On était vraiment des bons potes, avec les mêmes centres d’intérêt. On regardait des épisodes deHensemble parce qu’on est fans. OuMafiosa (rires) parce que c’est de chez lui, ça. Et des mangas… » Normal, quoi. Lorsque son grand frère Thierry souhaite quitter le nid familial, Rémy propose de l’héberger, lui, parti à 14 ans pour le centre de formation de Montpellier. Il décrit : « Pas d’alcool, pas de cigarette, il mange bien, il n’est jamais dehors… Il est hyper sérieux et toujours là quand on a besoin de lui. »
RC7
Pourtant, une image lui colle à la peau. Celle d’un type pas très fute-fute dans les médias, excellent dribbleur, mais dépourvu de tout sens tactique, et bling-bling au point de s’acheter une voiture orange pétard aux couleurs de son club après un pari de son président. Pour Tinhan, « il fait ça parce que ça lui plaît, parce que ça le fait rire tout simplement. Pas pour se la péter auprès des gens. C’est quelqu’un de foncièrement gentil, qui ne refuse jamais un autographe ou une interview. » Fabien Laurenti, lui, voit là un problème de fond : « C’est un problème français, il est catalogué parce qu’il se coiffe bizarrement ? Il faut que l’on change de personnalité pour jouer au foot alors ? Ronaldo aussi doit changer dans ce cas, tu vois ce que je veux dire ? Rémy, c’est son jeu, c’est sa personnalité. Il sait ce qu’il se dit sur lui et je pense qu’il s’en fout. Et il a raison de rester comme il est. » Cristiano Ronaldo. Le mot est venu tout seul, la comparaison presque naturelle. Justement, Cabella est un grand fan. Et ce, bien avant l’Euro 2004, selon les souvenirs de son père. « Posters, magazines, photos… Et le gel sur les cheveux. » Comble de l’histoire, les deux hommes possèdent les mêmes initiales, mais dans un ordre inversé. Comme quoi, à un cheveu près…
Par Ugo Bocchi et Theo Denmat
Tous propos recueillis par UB et TD