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Derby du Nord en Ligue 1 et Gaël Kakuta : it’s Kakutime !
Né à Lille et biberonné à Lens dès ses huit ans, Gaël Kakuta est revenu dans l’Artois l’été dernier avec la ferme intention de rattraper le temps perdu chez les Sang et Or. Au crépuscule de la meilleure saison de sa carrière, le numéro 10 lensois s’avance vers son premier derby du Nord à Bollaert. Avec l'objectif d'en faire le sien, après le fiasco du match aller (0-4).
C’est ce qui s’appelle miser sur le bon cheval. À l’heure de la traditionnelle conférence de presse d’avant-match, le RC Lens a envoyé Gaël Kakuta au front. Et le milieu de 29 ans, tout sourire, a sorti les armes pour donner le ton : « On se concentre sur nous, ce n’est que du bonus maintenant. On peut aller chercher plus haut, on va le faire. Et si on peut priver Lille du titre, ce serait beau aussi. » Faire trébucher le voisin lillois dans la course au titre en restant dans celle pour la Coupe d’Europe, voilà les enjeux d’un derby du Nord exceptionnel que Kakuta connaît bien : « Le derby sans public, c’est nul. On ne va pas se mentir. Mais tout le monde connaît la rivalité. Depuis que je suis tout petit, je suis ici. C’est un très gros match pour moi, c’est vraiment spécial. » Et pour cause : on parle d’un type né à Lille, mais formé à Lens.
Le transfuge lillois
Des derbys, en huit ans chez les Sang et Or, Gaël Kakuta a eu le temps d’en jouer quelques-uns. « Les anciens nous en parlent encore. Déjà, à l’époque, ils faisaient beaucoup parler », assure Jérémy, abonné dans le kop lensois. De quoi en tirer quelques enseignements pour celui qui, entre-temps, a découvert les derbys londoniens ou celui de Séville : « C’est un match spécial, mais il ne faut pas non plus se mettre une pression de malade au risque de se perdre. » Pourtant, de la pression, il y en aura sur les épaules de Gaël Kakuta au coup d’envoi de ce Lens-Lille. Car s’il a réalisé un sans-faute devant les micros, il va maintenant devoir briller sur les terrains pour son premier derby en professionnel à Bollaert quelques mois après être passé complètement au travers à Lille (0-4).
Né dans la capitale des Flandres en 1991, le jeune Gaël Kakuta y a tapé ses premiers ballons avant de prendre une licence à l’US Lille Moulins Carrel (club de son oncle et de son quartier populaire du sud-est de la ville où il a grandi avec sa mère infirmière, son frère et ses deux sœurs). À l’époque, le LOSC le remarque très vite et Kakuta effectue plusieurs stages chez les Dogues. Son avenir semble alors tout tracé. D’autant que lorsque le RC Lens le drague à son tour, les dirigeants de l’US Moulins repoussent ces avances, expliquant que le joueur est déjà lié au LOSC. Mais Jean-Carl Tonin, alors responsable du recrutement des jeunes pour le RCL, convainc la famille dès la fin du match. C’est ainsi qu’à huit ans et demi, le jeune Lillois devient un Lensois. « Je suis arrivé très tôt à Lens et personnellement, je me considère comme une personne née à Lens. Je n’ai pas vécu grand-chose à Lille, je suis lensois », assure aujourd’hui Kakuta.
Trois fois par semaine, une navette Sang et Or parcourt les 40 kilomètres entre la capitale des Flandres et le centre d’entraînement du RC Lens. À bord, Kakuta et deux autres transfuges lillois : Rémi Burel et Anthony Knockaert. À 13 ans, il intègre le centre de préformation régional de Liévin : « J’y ai passé deux ans, on dormait avec des Lillois. La semaine avant le derby était très compliquée, mais après le match, on redevenait amis. » Une fois au centre du RCL, il rentre peu les week-ends à Lille. Il préfère en effet passer son temps libre chez ses amis Thimothée Kolodziejczak et Kévin Boli, à Lens. Son cœur a définitivement chaviré pour la cité minière. Sauf que des derbys, avant 2020, il n’en a joué aucun avec l’équipe professionnelle, puisque Kakuta a quitté le club dès ses seize ans pour Chelsea en 2007.
L’égal de Seydou Keïta
La suite, on la connaît : treize expériences dans onze clubs avant de revenir à Lens l’été dernier, treize ans plus tard. « Quand il est parti, on ne lui en a pas voulu. Il y avait un contexte personnel familial, on comprend. Quand, à seize ans, on te propose un contrat comme ça, à Chelsea… Il n’a pas besoin de se faire pardonner. On a toujours suivi sa carrière, ses choix. Aujourd’hui, il est revenu pour enfin porter ce maillot, et on le sent heureux d’être là, à la maison, ça se voit aux entraînements », glisse le fidèle supporter, justement au bord de la pelouse de la Gaillette ce matin-là.
À bientôt 29 ans, c’est donc l’heure du dépucelage pour Gaël Kakuta, qui va enfin découvrir les joies d’un derby à domicile. Ça tombe bien : le bonhomme traverse sa meilleure saison d’un point vue comptable avec onze buts (dont sept penaltys) et cinq passes décisives en 32 matchs et une valeur marchande à son pic, puisque estimée à huit millions d’euros. Dans un 3-4-1-2 taillé pour ses qualités, « Gabou » – son surnom du centre de formation – rayonne. Il vient même d’égaler Aruna Dindane et Seydou Keïta (onze buts en 2006-2007) et vise maintenant les treize pions de Daniel Cousin en 2005-2006, le meilleur total pour un Lensois en L1 au XXIe siècle. En pleine possession de ses moyens, Kakuta est donc le joueur clé du RC Lens. « Ici, on ne sort jamais un joueur du lot, mais c’est vrai que Kakuta a une histoire particulière en plus de son talent qui hausse le niveau de jeu et régule le milieu de terrain », analyse Jérémy, en gardant un œil sur la séance d’entraînement.
Au bout d’une saison accomplie, et alors que son option d’achat automatique en cas de maintien va être levée, Gaël Kakuta se voit ainsi offrir une chance de faire oublier son départ précoce et de transformer son retour en triomphe. Pour cela, il faudra croquer les Dogues : « Faire ce derby en pro, à Bollaert, avec l’Europe en ligne de mire, c’est une revanche après son parcours. Il a tout à y gagner », estime Jérémy. « C’est comme une sorte de revanche, même si je ne prends pas cela comme ça », concède le principal intéressé. On pourra faire oublier ce match aller, où il y a eu un excès de confiance de notre part. » Une masterclass contre le LOSC et une victoire dans le derby, quinze ans après la dernière, et tout sera oublié. Kakuta ne sera plus le prodige parti trop tôt et revenu, mais l’homme qui a privé le rival du titre et ramené les Sang et Or en Europe (niveau qu’il n’a que peu connu, malgré son talent). Bref, un nouveau géant du Nord.
Par Adrien Hémard
Tous propos recueillis par AH, sauf ceux de Kakuta (conférence de presse).