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Depuis quand les virages sont-ils devenus des conseils de discipline ?
À la fin d’un triste match nul contre Toulouse, les joueurs marseillais ont dû se rendre en pénitence devant une partie des ultras marseillais. Une mode qui semble se propager depuis que les Lyonnais ont lancé la tendance, même si le contexte s’avère sensiblement différent. Et si tout le monde perdait quelque chose dans cette mascarade ?
Dans la continuité de ce début de saison plutôt morne et ennuyeux en Ligue 1 (bonne chance pour la vendre pour 1 milliard d’euros en droits télé), l’OM et le TFC ont délivré une purge fastidieuse, sans envie ni imagination. 98 longues minutes si peu intenses qu’il n’y eut même pas de polémique sur l’arbitrage. Avec 9 points (deux victoires et trois nuls), le bilan comptable des Phocéens ne s’avère certes pas catastrophique ni honteux, loin de là. Ils sont même passés devant le PSG qui, de son côté, a chuté à domicile contre les Aiglons niçois. Toutefois, l’absence de fond de jeu, de hargne, d’envie et une certaine apathie parfois, sans parler de Pierre-Emerick Aubameyang incapable de faire oublier Alexis Sánchez, n’ont rien de rassurant, notamment avant un déplacement à haut risque à Amsterdam en Ligue Europa. Même en reconstruction, l’Ajax (12e de son championnat) demeure un ogre pour l’OM de 2023. L’angoisse est palpable, surtout vu des tribunes qui ont déjà dû avaler une calamiteuse élimination en tour préliminaire de la Ligue des champions.
🎙️ Valentin Rongier : "C'est normal que les supporters soient exigeants avec nous."
Le milieu de l'@OM_Officiel raconte l'échange entre joueurs et supporters après le nul à domicile contre Toulouse. #DSF pic.twitter.com/pRUciNwRuM
— Prime Video Sport France (@PVSportFR) September 17, 2023
Le tribunal populaire
Les chants descendus du Virage Sud ne surprendront donc personne, et ils n’ont rien de nouveau. Les supporters et les ultras insistent souvent sur le sens du devoir qu’ils attendent de leur équipe. Une exigence d’engagement envers des joueurs dont ils se doutent qu’ils sont le plus souvent de passage, avec juste une conscience professionnelle de « salariés » (il arrive que certains touchent une prime quand ils vont saluer le public). Dans ce cadre, le « mouille le maillot ou casse-toi » résume bien l’état des relations entre l’immense majorité des pros et le petit peuple des gradins. Les images, en partie trompeuse dans leur dramaturgie, qui ont ensuite été diffusées ont malgré tout laissé une bizarre impression de convocation et de pénitence, qui finalement ne sert ni les ultras ni les joueurs. Tout le monde a reconnu que la discussion entre des « cadres » et les leaders des groupes était ensuite restée dans un registre cordial, bien loin de la leçon admonestée à des Lyonnais bien plus penauds. Mais les têtes basses et la mise en scène brouillent les cartes et risquent de se retourner contre les ultras, quitte à masquer les véritables enjeux des relations entre ceux qui paient leur abonnement et ceux qui sont rémunérés pour porter leurs couleurs.
Les supporters et les ultras aiment se positionner, à juste titre, comme les gardiens du temple ou la mémoire vivante du club. Les chargements de propriétaires, la généralisation de la multipropriété, le turnover de plus en plus accéléré dans les effectifs (Marseille se révèle un cas extrême en la matière), encouragé par la noria du mercato, déstabilise de fait les rapports à la fois avec l’institution (jusqu’au conflit ouvert comme à Nantes) et l’effectif (qui sont les relais ayant établi des relations de confiance et de familiarité sur plusieurs années). Le statut quasi patrimonial des ultras au sein de clubs qui perdent en substance ce qu’ils gagnent en budget doit être respecté. En revanche, ces face-à-face entre des joueurs alignés comme dans Squid Game devant une tribune aux faux airs de tribunal ne servent à rien et surtout pas les supporters. Il faut finalement surtout voir dans ces séquences tout le désarroi qui grandit de part et d’autre. Jamais la distance n’a semblé aussi lointaine que lorsque les deux entités qui incarnent le club dans le stade, sur la pelouse et dans les travées se regardent dans le blanc des yeux à seulement quelques mètres.
Par Nicolas Kssis-Martov