- Équipe de France U17
- Interview Bernard Diomède
« Démarrer comme sélectionneur, la situation idéale »
Comme Zinédine Zidane, avec qui il s'est formé au BEPF, Bernard Diomède a débuté il y a peu sa nouvelle carrière d'entraîneur, à la tête de l'équipe de France U17. L'occasion de parler avec lui de reconversion, de ZZ au Real, d'insertion par le sport grâce à son académie d'Issy-les-Moulineaux, de formation, mais aussi de la CFA du PSG, avec qui il aurait pu se lancer, ou encore des DOM-TOM.
Bernard, il y a une phrase sacrée pour les fans de foot depuis 1998, c’est le fameux « Petit bonhomme, c’est pas Zizou » d’Aimé Jacquet. Ça te suit encore ? Oui, forcément puisque Les Yeux dans les Bleus et la Coupe du monde 1998 ont marqué beaucoup de monde, des gens qui s’intéressaient au sport ou non d’ailleurs. Donc, dans la rue ou via mes proches, certains reviennent encore sur cette petite phrase, oui, mais c’est marrant.
L’actu récente vous rapproche pourtant avec Zinédine Zidane, tant pour la formation au diplôme du BEPF que vos débuts de coach à quelques mois d’intervalle… Comme lui, est-ce qu’il t’a fallu du temps avant de savoir de quoi serait fait ton avenir ?On a un parcours assez similaire de reconversion et on en parle, d’ailleurs. On a une vraie amitié l’un pour l’autre, et j’ai un profond respect pour le joueur, mais surtout pour l’homme qu’il est : il n’a pas changé, est resté très simple. En tout cas, pour lui comme pour moi, ça a mûri avec le temps, même si de mon côté, le côté management m’attirait même pendant ma carrière. Et au fur et à mesure que j’ai avancé avec mon académie (lancée en 2008 avec son épouse enseignante, à Issy-les-Moulineaux, ndlr), j’ai pris conscience que je prenais du plaisir sur le bord du terrain, à apprendre lors des formations. Lors de mes trois années auprès de Jean-Claude Giuntini comme parrain, lorsqu’il s’occupait des U16, avec la génération d’Anthony Martial entre autres, j’ai aussi pris du plaisir. En m’intégrant dans le staff, en connaissant les causeries, les préparations ou les lendemains de match… Et Jean-Claude m’a plus que poussé. Je me souviens d’une discussion sur les bancs de l’Insep avec ma femme et lui. Il m’a dit : « Faut que tu réfléchisses, tu as tout pour le faire : tu es passionné, tu aimes les jeunes… Et ce que tu as pu connaître pendant ta carrière, tu peux le revivre si tu grandis comme entraîneur. » C’est comme ça que c’est parti. Aimé Jacquet aussi me pousse. Il a cru en moi comme joueur, puis comme coach, et me donne toujours des bons conseils.
Tu fais partie de ceux qui croient entièrement en Zinédine Zidane pour la gestion des pros du Real Madrid. Décris-nous le coach qu’il est, toi qui l’as vu à l’œuvre de près…Par rapport à ZZ, aujourd’hui, il a choisi un chemin qui n’est pas facile, mais qu’il fallait choisir, en se formant avant d’aller confronter ça à la pratique. Mais on ne va pas lui apprendre le football, il le connaît par cœur. Avec la DTN, et je ne dis pas ça parce que je suis salarié de la FFF, on a une des meilleures formations au monde. Tous les outils qu’on a intégrés, notamment sur la connaissance de soi, ou le fait aller au Real Madrid, au Bayern, à Marseille ou à la Juventus, pour discuter avec Ancelotti ou Guardiola, nous ont rendus meilleurs. Et lui a su poser des questions très ciblées qui témoignaient d’une vraie envie de mettre en place des choses en tant qu’entraîneur. Mais pour Zizou, le foot, c’est simple, donc il va demander des choses simples à ses joueurs. Ce que je retiens, c’est la construction de son parcours, chose qui me fait dire qu’il est prêt. Il a mûri et évolué pendant la formation, comme nous tous, notamment sur sa communication. Quand on était en situation, on lui reprochait parfois sa modestie. Comme on lui disait : « T’es Zizou, ne sois pas aussi humble. » Et aujourd’hui, à ce niveau-là, il affirme plus son caractère en interview, on le voit. Pour moi, il a tout ce qu’il faut pour être un bon entraîneur.
Quand vous allez voir Carlo Ancelotti, Marcelo Bielsa ou Pep Guardiola dans ces formations, ça doit donner des débats assez savoureux…C’est la crème de la crème. On va dans des clubs qui ont des titres, comme les entraîneurs, qui sont des vrais managers et ont géré les vestiaires les plus difficiles. Donc forcément, on en retire beaucoup de choses. Après, c’est dur de ressortir un élément particulier tant c’était riche. Les interventions de Franck Thivillier ou Guy Lacombe, nos tuteurs, étaient aussi intéressantes d’ailleurs. On était vraiment dans les meilleures conditions pour apprendre, mais on a travaillé pour. On se levait à 7 heures, on finissait à minuit… Les journées étaient très intenses, c’était difficile par moment, et ce qu’on a vécu entre nous était fort et fait qu’on s’envoie d’ailleurs toujours des textos. Surtout que tout le monde est en fonction : Willy (Sagnol) à Bordeaux, Claude (Makelele) est directeur sportif à Monaco, Zinédine (Zidane) au Real, moi avec l’équipe de France U17. Seul Éric (Roy) est toujours consultant, mais même lui, dans ses analyses, on voit qu’il est aussi entraîneur. Ses interventions ne sont pas les mêmes qu’avant, sa réflexion est plus poussée.
Et gagner un titre dès cette année, pour lui, ça te semble jouable ou non ?Il l’a dit, donc c’est qu’il pense qu’il a l’effectif et les qualités pour. Pour moi en tout cas, sa victoire est d’avoir accepté ce poste. C’est se mettre en danger, mais il n’était pas obligé et aurait pu rester dans son confort. Franck Thivillier a une phrase pour illustrer le choix de Zizou : « Si l’aventure vous fait peur, essayez la routine, c’est mortel » (de Paulo Coelho, ndlr).
De ton côté, pourquoi les U17 de France alors, alors que tu avais des touches en L1…J’avais une proposition pour prendre la CFA d’un club de L1, une autre comme adjoint d’un autre club de L1 où j’étais en concurrence avec d’autres, et cette sélection. Pour moi, c’était le choix le plus cohérent, même si le projet avec la CFA ne me laissait pas indifférent, c’était une CFA très intéressante…
Comme ?(Rires) Je pense qu’il n’y a plus de secret, le fait d’être en stage au PSG a permis des échanges. Mais je ne suis pas allé au bout, car la proposition de la Fédération me plaisait vraiment et c’était la continuité de ce que j’avais pu faire en stage au PSG ou à l’académie. Et surtout, l’équipe de France et Clairefontaine, je connais ça depuis mes 12 ans. Quand le président Le Graet m’a fait sa proposition, ça a mûri quelque temps, mais comme ça faisait longtemps qu’on flirtait… Et puis démarrer ta carrière comme sélectionneur, alors que la sélection t’a procuré beaucoup d’émotions, c’était la situation idéale.
Avec cette génération 1999, quel objectif t’es-tu fixé ?Le même que depuis des années : que les U17 participent aux prochains championnats d’Europe en Azerbaïdjan en mai. Ça passe par un tour Elite qui aura lieu en France en mars (la France affrontera alors la Grèce, l’Autriche et l’Islande, ndlr). Et après, forcément, il y aura un deuxième objectif qui en découlera s’il y a qualification.
Est-ce que cette génération te semble avoir autant de potentiel que celle de Luca Zidane, Bilal Boutobba ou Odsonne Edouard, sacrée en 2015 ?Tout n’est pas comparable. Il y a une ligne directrice entre les différentes sélections de jeunes, fixée par Pierre Mankowski, responsable des sélections, mais chaque entraîneur est libre de faire fonctionner son groupe comme il l’entend. Dans la vie de tous les jours, dans le projet de jeu…
Quel premier bilan tirer de tes six premiers matchs à leur tête, alors ?J’ai commencé par une défaite contre les Tchèques (0-1), donc c’était un peu délicat. Et le deuxième match, on fait un nul (1-1 contre la République tchèque, ndlr), et là, je me pose beaucoup de questions. Tu te dis : « Je suis dans le grand bain, qu’est-ce que je vais mettre en place pour redresser ? » Dans l’urgence en plus, puisqu’on jouait en Israël de suite après pour la qualification à l’Euro. Tu dois trouver des automatismes pour que ça marche, une cohésion sur le collectif, dans la vie de groupe. On forme les futurs joueurs de l’équipe de France, mais aussi l’adulte de demain. On a ainsi évoqué les attentats, on a parlé de l’affaire de la sextape et de pas mal d’autres choses. Cette semaine, on a eu une intervention de Boris Cyrulnik (neurologue et éthologue connu en partie pour ses travaux sur le concept de résilience, ndlr). C’était extraordinaire, et comme il le dit, aujourd’hui, ce qui est important, c’est l’interaction. Et avant d’aller chercher la performance chez quelqu’un, il faut savoir qui il est. C’est un travail qu’on fait depuis le début avec ma sélection. Si tu veux que ton équipe soit performante, va d’abord chercher l’être humain.
La FFF t’a missionné aussi pour que tu sois un intermédiaire avec le football des DOM-TOM…(Il coupe) Juste apporter ma connaissance du milieu ultra-marin, des gens des DOM-TOM, comme je suis originaire de la Guadeloupe. En gros, ce qui est mis en place en métropole n’est pas forcément reproductible là-bas. Donc on réfléchit à comment accompagner du mieux possible les gens sur place. L’équipe de France s’est toujours enrichie d’un contingent des DOM-TOM, on sait l’amour que ces régions portent au football et la jeunesse va mal, comme partout. Donc comme le sport est un formidable vecteur d’insertion, le président a voulu travailler dans cette direction. Dans certains départements, il y a des problèmes d’infrastructures. Pour d’autres, il y a un manque de formation d’entraîneurs et de cadres. Donc après, il va falloir réfléchir pour que la Réunion, qui n’est ni la Guadeloupe, ni la Martinique, Mayotte ou autre, obtiennent des solutions adaptées.
Ces territoires et départements restent une pépinière de choix en 2016 pour le foot français ?Bien sûr, et pas qu’en 2016. Aujourd’hui, quand on voit par exemple le petit Lemar, parti de Caen pour Monaco, je le cite lui, mais il y en a tant d’autres, et bien on se demande comment on peut faire pour les faire venir exprimer leurs qualités en métropole. Tout en offrant un plan B à ceux qui restent sur place. Tout le monde ne peut pas faire footballeur, donc comme à l’académie, si on peut les aider à devenir kiné, journaliste ou autre, tant mieux.
Ton autre activité principale, c’est cette académie que tu as lancé en 2008 à Issy-les-Moulineaux, qui travaille tant sur le sportif que sur le scolaire et l’éducatif pour une meilleure insertion. Pour cela, est-ce que vous vous êtes inspirés de ce que vous avez connu en centre de formation à Auxerre ou justement pas du tout ?En 1993, je gagne la Gambardella à Caen, où on inaugure le stade avec mes potes. Je marque le but de la victoire en plus. On était quatre bons potes, avec Rachid, le Franco-Algérien, Sekou, le Franco-Malien, et Jérôme, le Franco-Français. Et à la fin de saison, je suis le seul à signer pro. La Gambardella, quand tu as vécu ensemble de 14 à 18 ans au quotidien ensemble, presque sans vacances, c’est fort. Et voir mes amis ne pas signer malgré leur bon niveau, être quelque part en situation d’échec, ça te fait te poser des questions. Et à l’époque, il n’y avait pas tous les agents qui gravitent autour des jeunes comme aujourd’hui, donc tu étais en échec et en plus livré à toi-même. De ne pas revoir mes potes, ça a été le premier déclic. J’avais d’ailleurs répondu dans un questionnaire peu de temps après que je fonderai une académie après ma carrière, ma mère l’a gardé. Plus tard, quand je suis parti à Liverpool, j’ai vu un système différent avec l’école le matin et le sport l’après-midi qui m’a intéressé. À Ajaccio, j’ai vu les Creps corses, avec plein de clubs qui font des choses extraordinaires avec peu de moyens. À Créteil, alors qu’un tiers des footballeurs viennent de l’Île-de-France et où le niveau est très élevé, j’ai vu des jeunes s’entraîner et ne rien faire de leur journée. Ça m’a interpellé. Et à Clermont, il y avait aussi un modèle différent, avec un club structuré et un peu de moyens qui cherchait à se doter d’un centre de formation. Donc je me suis imprégné de tout ça pour bâtir quelque chose avec ce triple projet dont j’ai parlé.
Et dans les faits, ça marche ?Difficile de répondre, puisqu’on a démarré en 2008, donc on a peu de recul. Mais depuis deux ans, on est passé à 100% de réussite au bac ou de 15 à 75 jeunes pour 1600 demandes par an. Mais il va nous falloir encore du temps pour avoir vraiment un recul sur notre travail. On a quand même embauché notre premier salarié issu de l’académie cette année pour un contrat de 20 heures. Ça se passe très bien, donc on va peut-être lui donner un peu plus. Et on compte beaucoup sur lui. On a un deuxième jeune rentré chez nous en 5e, aujourd’hui aussi en BTS, qui va accompagner à son stage de 3e un élève à la montagne pendant une semaine. Peut-être qu’on va aussi l’embaucher. Ce ne sont que deux exemples, mais il y en a tant d’autres. On en a un qui est parti aux États-Unis pour ses études et le football. D’autres veulent être journalistes. Et maintenant, alors qu’on ne s’occupait que du niveau collège au départ, avant d’étendre au lycée, on a des parents qui veulent de l’accompagnement dans le supérieur. On est toujours à l’écoute, donc on essaye de réfléchir à des partenariats avec des universités américaines.
Les exemples ou les chiffres et pourcentages que tu viens de citer sont-ils au-delà de tes espérances initiales ?Oui, on ne pensait pas qu’on aurait un rôle social aussi important. On a accueilli des jeunes en échec scolaire qui ne le sont plus, d’autres passionnés par le foot, mais qui jouait en équipe 3 ou 4 dans leur club et qui ont beaucoup progressé avec notre approche technique et analytique, comme je suis très Barça, pour aller challenger leurs collègues en club. Mais aujourd’hui, avec 1600 demandes pour si peu de places, on a une frustration. Est-ce qu’on a grandi trop vite ? Est-ce qu’on a un problème aujourd’hui vu la demande, qui suppose donc un vrai besoin ? Donc on réfléchit avec nos partenaires (FFF, Engie, Nike) qui ne sont pas que des aides pour nos finances, mais nous apportent des compétences logistiques qu’on n’a pas. Donc on est à la croisée des chemins pour savoir comment répondre au plus grand monde.
Est-ce que certains des pensionnaires arrivent tout de même à se faire repérer sur le plan football ?En arrivant à l’académie, ils ne nous parlent que du sportif. Mais notre projet est triple et on a été valorisé pour ça : l’enfant a son projet sportif, un projet scolaire aussi, et nous, on travaille sur l’éducatif pour leur permettre d’être des citoyens (cours de théâtre, événements organisés, etc, ndlr). On a tout un tas de dispositifs, comme lors des rencontres avec ceux de France 98, pour leur faire comprendre que la vie, ce n’est pas que le foot. Aujourd’hui, ils l’ont compris, mais au début, c’était pas simple. Surtout que certains venaient aux journées de détection alors que c’était le projet de leurs parents… Mais si des parents mettent leurs gosses dans notre académie alors qu’ils sont déjà sollicités par des clubs, c’est parce qu’ils savent qu’ils vont apprendre ce qu’ils doivent apprendre et que si l’opportunité d’un club se présente, ils y seront préparés. Aujourd’hui, on en a un jeune qui est parti à Lorient, un autre à Auxerre. On en a pas mal dans cette configuration, et ils nous remercient. Il faut être autonome, avoir les bonnes attitudes. Certains ne comprenaient pas qu’on insiste tant là-dessus, mais aujourd’hui, ils savent pourquoi.
Plus généralement, tout ce que tu as connu te fait-il poser un regard critique sur ce qui se passe en centre de formation ?Non, car je suis un produit du centre de formation. Je suis parti de Saint-Doulchard, où j’ai commencé à 8 ans, pour le sport études de Bourges, puis le centre de formation d’Auxerre et le monde pro. Et ça existe encore aujourd’hui ce circuit classique, sauf que, comme il y a de plus en plus de clubs amateurs qui se structurent, il y a un circuit parallèle qui s’est créé, où on voit des Valbuena ou Ribéry percer après leur passage en centre de formation. Mais pour moi, les deux systèmes sont bons, il n’y a même pas de comparaison à faire entre les deux. Après, tout est affaire d’homme et d’être humain. À 14 ans, un éducateur m’a dit que je ne serais pas pro, dans un club pourtant réputé pour accompagner les jeunes. Ça me fait d’ailleurs penser à la résilience de Boris Cyrulnik ce que je te raconte là… Mais comme on dit à nos jeunes à l’académie, le rêve est gratuit, mais la réalité a un prix. Il y a des sacrifices à faire, des étapes à franchir, et à un moment donné, face à un mur, est-ce que tu le franchis ? Et si tu n’y arrives pas, quel est ton plan B ? Voilà les questions que doivent se poser nos jeunes.
Par Arnaud Clément