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Delio Onnis: « J’aime qu’un but soit une construction collective »
Il est donc le premier de notre top 1000 des plus grands joueurs de la première division. Champion de France 1978 et meilleur buteur de l’histoire du football hexagonal, Delio Onnis partage désormais sa vie entre Monaco et l’Argentine, la patrie de son enfance. À 74 ans, celui qui a empilé les pions à Reims, Monaco, Tours, puis Toulon revient avec beaucoup d’humilité sur une carrière qu’il estime devoir autant à son adresse de finisseur qu’aux passes ciselées de ses coéquipiers.
Delio, en préambule, ça vous fait quoi de figurer à la première place de ce classement ?Évidemment, c’est beaucoup trop pour moi. Sincèrement, je ne sais pas si je le mérite, mais je suis vraiment, vraiment touché. J’accepte ça avec beaucoup de bonheur, je suis très content, pour moi et pour ma famille.
Que faites-vous aujourd’hui ?Je suis à la retraite. Je reviens périodiquement en Argentine – j’y suis en ce moment -, parce que ma maman de 95 ans est un peu fatiguée. Mais j’habite à Monaco avec ma famille.
Quand vous arrêtez votre carrière en 1986, vous facturez 299 buts en Ligue 1. Vous auriez pu penser que votre record tiendrait toujours, 36 ans plus tard ?Sincèrement, ça m’est arrivé de me poser la question. Ce n’est pas un titre, mais je suis très heureux d’avoir cette distinction. Même si je sais qu’un jour, je serai battu. Si Mbappé reste au PSG, je peux te dire qu’il va me dépasser. Et facilement.
Comment vous êtes-vous retrouvé à jouer avant-centre ?Enfant, en Argentine, j’étais gardien de but, avant qu’on ne me replace au poste d’attaquant. Pour moi, ce sont deux positions intimement liées. Il y a un rapport à la cage qui s’installe. L’avant-centre et le gardien de but sont connectés, plus que tout autre joueur à mon sens. Quand tu te mets dans la peau d’un gardien, tu apprends des choses qui te serviront comme attaquant, et inversement. Par exemple, en tête à tête avec le portier, quelle jambe d’appui le gardien va utiliser pour se détendre et pourquoi.
C’est parce que vous connaissiez aussi bien les gardiens que vous ne ratiez presque aucune occasion ?Non, ça c’est une légende urbaine ! Je vais te dire un truc : je ratais pas mal d’occasions. Ça m’était assez insupportable. Ce n’est pas exagéré de parler d’obsession. Je vais te raconter une histoire : un jour, à Tours, on a gagné un match contre Brest 5 à 1, j’ai mis un triplé. Le soir du match, je ne pouvais pas dormir. On me demande alors : « Mais pourquoi tu es nerveux comme ça ? Tu as marqué trois buts ! » Et moi, je répondais : « Oui, mais j’aurais dû en mettre cinq. » Un bon avant-centre doit toujours rechercher une forme de perfection, d’efficacité maximale.
L’esthétique du but avait-elle une importance pour vous ?Non, absolument aucune. Les jolies choses, ce sont pour les gens dans la tribune. Pour nous qui sommes sur le terrain, il n’y a qu’un truc qui compte : que la balle passe la ligne, peu importe la manière. Il y a deux types de buts fondamentalement différents : ceux qui sont importants et décisifs et ceux qui ne le sont pas. Mais les beaux buts, les buts moches ? Je m’en foutais complètement.
On vous a souvent qualifié de « Renard des surfaces » , la plus belle expression du football. Mais certains vous reprochaient aussi d’être antispectaculaire, trop cantonné au dernier geste. Moi, je pense que la spécificité du football, c’est que tu peux y faire jouer le médiocre, le moyen et le très bon joueur. La clé, c’est qu’il faut être intelligent. Chacun doit jouer précisément en fonction de ses capacités. Si tu ne sais pas dribbler, ne le fais pas. C’était mon cas, je n’étais pas un dribbleur. Il faut être malin, se battre avec tes propres armes.
Justement, outre votre adresse des deux pieds, vos ex-coéquipiers disent toujours que votre meilleure arme, c’était votre intelligence de jeu… Je vais te répondre via une anecdote. Un jour, on finit un match avec Tours et un supporter du FCT approche et me dit: « Je ne veux pas te faire un compliment bateau, alors voilà : toi, tu ne fais pas un mètre sans savoir pourquoi tu le fais. » C’est le plus bel éloge qu’on m’ait fait comme joueur de football.
On dit souvent qu’un grand attaquant doit savoir être égoïste. Je ne suis pas forcément d’accord avec ça. Je ne remercierai jamais assez mes passeurs, tous ceux qui m’ont aidé à marquer. Par exemple, devant, j’aimais jouer à deux, former des duos complémentaires. J’aime ce que ça raconte… J’aime qu’un but soit une construction collective. Dans le football où je jouais, c’était presque toujours le cas. La vraie spécificité de l’attaquant, c’est qu’il doit, à un moment donné, savoir avant les autres ce qu’il va se passer dans la surface de réparation.
Vous êtes champion de France avec Monaco en 1978, mais vous quittez l’ASM deux ans plus tard, pour vous engager à Tours, un promu. Ça peut sembler étrange, non ? Sans doute. Je t’explique comment j’ai fini au FCT : Monaco et le président Campora me proposaient seulement un an de contrat supplémentaire. J’en voulais deux. J’avais encore fini meilleur buteur du championnat cette saison, mais je me suis blessé au genou et j’ai fait trois mois sans jouer. Je savais aussi que Monaco cherchait à recruter un attaquant pour me remplacer, un très grand avant-centre qui jouait au Barça, Hans Krankl. Moralement, ça m’a fait beaucoup de mal. Monaco, c’est un peu ma vie, tu vois ? Bref, un jour, j’ai reçu un courrier de Tours. On me propose trois ans de contrat et de gagner trois fois plus que ce que je touche à Monaco. Mais j’étais tellement attaché à l’ASM que, à l’aéroport de Nice, juste avant de signer, je passe un coup de fil à Campora. Je lui dis : « Président, écoutez, j’ai un stylo à la main, on me propose un contrat dans un autre club, où je serai trois fois mieux payé. Malgré ça, je suis disposé à rester à Monaco si vous m’offrez deux ans de contrat au lieu d’un. » Il a dit non…
Rétrospectivement, ils ont dû s’en vouloir à Monaco quand même… J’ai fini deux fois meilleur buteur de D1 à Tours en 1982 puis 1984, alors que j’avais 32 ans quand j’y suis arrivé… Est-ce qu’ils m’ont regretté à Monaco ? Je ne peux pas te répondre. Sur le coup, j’en voulais beaucoup à Campora, mais bon, je peux te dire que c’était quand même un très grand président.
Vous vous retirez des terrains en 1986. Ne plus marquer de buts, ça vous a terriblement manqué ? En fait, ce qui m’a d’abord manqué, c’était de ne plus aller aux entraînements tous les jours. J’ai beaucoup souffert, comme tout joueur qui met fin à sa carrière. Ceux qui disent le contraire sont des menteurs. La chance que j’ai eue, c’est que mon retrait a été, en un sens, graduel. J’ai pu compenser en devenant l’adjoint de Rolland Courbis – un de mes anciens coéquipiers à Monaco – à Toulon. Je n’ai pas coupé complètement avec le football.
Finalement, est-ce qu’il y a un moment que vous retenez plus que les autres dans votre carrière ? Pas un moment, mais plutôt un ensemble de gens. Ma carrière, mes buts, tout ça, c’est très joli. Mais tout seul, je n’aurais pas pu le faire. Ce qu’il me reste avant tout, ce sont ces personnes-là, qui m’ont aidé à marquer tous ces buts. Des gars incroyables comme Christian Dalger, Albert Emon et plein d’autres qui mériteraient tout autant d’être cités. Si tu m’appelles aujourd’hui de France, c’est en grande partie grâce à eux. Je ne les oublie pas. Je sais qu’ils ne m’ont pas oublié non plus.
Propos recueillis par Adrien Candau