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Del Piero, le Roi de Padoue
Ce soir, Alessandro Del Piero sera à Padoue pour y affronter son club formateur, avec son équipe de Sydney. 13 000 personnes sont attendues au stade pour ce match amical, preuve de l'amour inconditionnel que portent encore les tifosi padovani au numéro 10, vingt ans après. Putain, vingt ans…
Le temps passe, mais les sentiments ne s’ébranlent pas. Retour en arrière. 22 novembre 1992. On joue la 12e journée de Serie B, la deuxième division italienne. La modeste équipe de Padoue, Padova en italien, reçoit au stade Appiani la Ternana. Le match est tranquille pour les locaux, qui mènent rapidement 3-0. En seconde période, le coach, Mauro Sandreani, se permet donc de faire tourner son effectif. Il ne le sait pas encore, mais à la 26e minute de la seconde période, il va, quelque part, changer l’histoire du football italien. Le quatrième arbitre lève un bout de carton (pas de tableau lumineux, à l’époque) sur lequel est inscrit le numéro 16. C’est le numéro d’un jeune joueur qui a fêté dix jours plus tôt ses 18 ans. Il s’appelle Alessandro Del Piero, et personne, hors de Padoue, n’a jamais entendu parler de lui. Il ne lui faut que 14 minutes pour déjà inscrire son nom dans l’histoire. Sur une passe en profondeur de Giuseppe Galderisi, Del Piero s’infiltre dans la surface et trompe le gardien adverse d’une frappe croisée du pied droit. 4-0 pour Padova (le match se terminera finalement sur le score de 5-0), et premier but professionnel du tout jeune Alessandro Del Piero, cheveux longs et visage de gosse. Le public du stade Appiani applaudit l’enfant prodige, peut-être déjà conscient qu’il vient d’assister à la naissance d’une légende.
Note maximale et Fiat 126 blanche
21 années ont passé depuis ce jour de novembre 1992. Le jeune Alessandro est aujourd’hui devenu le grand Alex, meilleur buteur de l’histoire de la Juventus. Mais dans son cœur, Padova reste le premier amour, celui que l’on oublie pas. De retour à Padoue pour un match amical qu’il disputera ce soir avec le FC Sydney, l’attaquant prouve qu’il est un romantique, un vrai. « Le but face à la Ternana ? J’y pense souvent. Mais je pense surtout au rêve que moi, enfant de la campagne, j’ai pu réaliser. Cette ville m’a introduit dans le football professionnel, j’ai pris tant de plaisir lors de ces belles années là-bas » raconte-t-il avec une véritable émotion dans la voix. Car oui, c’est bien là-bas, loin de la Juventus et de la famille Agnelli, que la carrière de Del Piero a commencé. Le gamin, fils de Gino et de Bruna Del Piero, nait à San Vendemiano, une petite bourgade de 10 000 habitants, à 30 kilomètres au nord de Trévise. La famille ne roule pas sur l’or et le petit Alessandro tape pour le première fois dans un ballon dans la cour de son immeuble, souvent avec son grand frère Stefano. Une enfance pas toujours facile, mais dont Del Piero se souvient avec émotion, encore aujourd’hui. « Je suis fier de mon père qui s’est abimé le dos toute sa vie en tant qu’électricien et de ma mère qui a travaillé par terre dans toutes les maisons de Conegliano. Ce sont mes exemples. Je suis vraiment heureux d’avoir eu cette enfance, où mes désirs étaient en adéquation avec mes possibilités, mais jamais au-delà » raconte-t-il.
Ses possibilités, Del Piero commence à les exploiter en 1981, lorsqu’il s’inscrit au club local, l’Union Conegliano San Vendemiano et joue déjà en attaque, même si sa mère, voyant qu’il tombe souvent malade, demande à son premier coach, Umberto Prestia, de faire jouer son fils dans les buts pour qu’il se fatigue moins. Le président du club de San Vendemiano parle alors de lui aux dirigeants de Padova qui, dans un premier temps, ne s’y intéressent pas plus que ça, notamment à cause de son physique jugé trop « chétif » . Mais un homme va y croire. Un certain Vittorio Scantamburlo. Le 10 novembre 1987, il vient superviser Del Piero, et, sur son rapport, lui colle la note maximale. 25 ans plus tard, à l’occasion de la conférence de presse organisée au Caffè Pedrocchi de Padoue, en marge du match amical Padova-Sydney, Del Piero retrouve celui qui l’a découvert et lui réserve des mots affectueux : « Ce match amical, c’est aussi une façon pour moi d’exprimer ma grande affection pour Vittorio. Tout est parti de lui et de sa Fiat 126 blanche. Il a accompli le rêve d’un enfant qui voulait devenir joueur de foot » . Quelques semaines après avoir été supervisé par Scantamburlo, Del Piero reçoit un coup de fil des dirigeants de Padova, qui lui proposent de rejoindre les équipes de jeunes du club. L’aventure débute. Les entraîneurs des équipes de jeunes de Padova sont impressionnés par son talent, si bien qu’il devient le leader naturel de l’équipe Primavera du club. Les grands débuts en équipe première ne sont plus qu’une question de jours.
À 77 kilomètres de l’enfance
Loin de ses parents, Del Piero se construit en tant qu’adulte. Il effectue seul en train le trajet entre le domicile famial et Padoue. 77 kilomètres, un sacré périple, à l’époque. « 77 kilomètres, c’est peu, mais c’est finalement la distance qui a séparée mon enfance de l’adulte que j’étais en train de devenir » se remémore Del Piero. À Padoue, le jeune joueur apprend. La semaine, avec la Primavera, il dispute des matchs amicaux contre l’équipe première, dans laquelle évoluent alors des Albertini, Maniero, Di Livio et autres Bennarivo, et comprend qu’il ne lui manque pas grand-chose pour rejoindre ces joueurs. À la fin de la saison 1991-92, le coach de Padova, Bruno Mazzia, lui offre son premier grand frisson. On joue la 26e journée de Serie B, et Del Piero fait ses grands débuts dans le football professionnel, en entrant en cours de jeu face à Messine, au stade Giovanni Celeste. Défaite 1-0, mais qu’importe, c’est déjà une victoire pour lui. Pendant l’été, Mauro Sandreani remplace Bruno Mazzia. Et Del Piero va encore gagner du temps de jeu, avec son numéro 16 sur les épaules, qui a remplacé le 7 qu’il portait depuis tout petit. Le 22 novembre, donc, le premier but. « Je me souviens encore de la joie des supporters, alors que c’était un but qui comptait pour du beurre. C’était dingue parce qu’avant d’être sur la pelouse, j’avais été tant de fois dans ces tribunes pour supporter Padova. J’avais encore l’impression d’être l’un de ces supporters » narre-t-il. Mais ce but restera le seul marqué avec Padova. Del Piero dispute une dizaine de matchs au cours de la saison 1992-93, et passe à un point de la promotion en Serie A. Il va toutefois l’obtenir d’une autre façon.
Quelques semaines plus tard, Umberto Agnelli, qui a littéralement craqué sur lui, le fait signer à la Juve et lui avoue que la Vieille Dame le suivait depuis 1988. Commence alors une autre histoire d’amour, celle avec un maillot blanc et noir sur les épaules, et un numéro 10 dans le dos. Mais les tifosi de Padova ne lui en ont jamais voulu de ce départ. La preuve : ils seront ce soir 13 000 au stadio Euganeo pour voir leur champion et espérer, secrètement, qu’il inscrive un deuxième but dans ce stade, à 21 ans d’intervalle du premier. Del Piero, encore : « C’est un moment qui, pour moi, va au-delà d’un match amical. Ici, j’ai vécu, de 13 à 18 ans, une période importante de ma vie, pleine d’émotions, et qui m’a amené jusqu’où j’en suis arrivé aujourd’hui. Ce match, c’est aussi une façon de me rappeler d’où je viens » . Mais en même temps, Alex n’a jamais oublié ses racines, sa cour d’immeuble, son San Vendemiano. Une preuve ? Le 27 septembre 2006, deux fois et demi après être devenu Champion du monde avec l’Italie, c’est à San Vendemanio qu’il a ramené la Coupe du monde, « là où, en tant que gamin, j’en avais rêvé des nuits et des nuits durant » . Ce soir, ce ne sera pas une finale de Coupe du monde, mais pour les 13 000 du stadio Euganeo, c’est tout comme.
Photos issues du site AlessandroDelPiero.com
Eric Maggiori