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Définir Blaise Matuidi
Lorsqu'un phénomène surgit, l'homme tente de le définir. Par curiosité, d'une part. Et parce qu'il ne supporte pas l'idée de ne pas comprendre ce qui l'entoure, d'autre part. Or, après être monté en puissance de façon fulgurante, Blaise Matuidi a fini par bien entourer le football français. Longtemps, il a été tentant de le rattacher à un phénomène étudié et connu, dans le style du récupérateur infatigable à la Claude Makelele. Mais une erreur a été faite. Il ne fallait pas voir le Makelele des Blues, des Bleus ou du Real Madrid. Il fallait percevoir celui du FC Nantes. En plus artiste.
Le phénomène Blaise Matuidi a surgi il y a quatre ans au PSG. Plein de certitudes, le monde parisien a d’abord cru revoir une vieille connaissance. Puis, Matuidi a évolué. Par nature sceptique, le monde parisien a préféré croire au mirage, à un phénomène ponctuel créé par une illusion. Puis, l’illusion s’est répétée. Une fois, deux fois, puis trois, quatre, cinq… Matuidi a fini par marquer des dizaines de buts pour le PSG et l’équipe de France. Après le temps des premières certitudes, puis du doute, le moment est donc venu de réaliser, c’est-à-dire d’expliquer la réalité telle qu’elle est : Matuidi est un footballeur exceptionnel, au sens propre. Il est unique. Mais il est quoi, exactement ?
L’évolution tactique
Lorsque le plat de son pied gauche touche ses premiers ballons à Paris le 6 août 2011 contre Lorient (défaite traditionnelle 0-1), le Parc des Princes n’a pas besoin de forcer la réflexion pour comprendre ce qu’il voit. Matuidi est alors un milieu défensif de récupération qui débarque aux côtés de Mohamed Sissoko pour remplacer Jérémy Clément et Claude Makelele. Placé devant la défense aux côtés de Clément Chantôme dans le 4-2-2-2 de Kombouaré, Blaise apporte son sens de la couverture. Un positionnement très défensif, une frilosité balle au pied, des remises simplissimes et du pressing lorsque le jeu parisien penche vers l’ambition. Dans le compte-rendu de L’Équipe.fr de sa première prestation, son nom n’est mentionné qu’à deux reprises : pour son remplacement par Erding à la 82e minute, et pour ce commentaire révélateur après cinq minutes de jeu : « Du côté de Gameiro et Matuidi, l’entame de match est moyenne. Les deux joueurs, visiblement sous pression, font des fautes techniques inhabituelles. »
Quelques mois plus tard, en novembre, Matuidi fonce dans le même sens devant les caméras de PSG TV, après s’être fait mal en tentant une talonnade à l’entraînement : « Je ne suis pas du genre à faire des talonnades. Là, j’ai voulu m’enflammer un peu et je me suis blessé. Voilà, ça m’apprendra. À partir de maintenant, je vais me concentrer sur ce que je sais faire : récupérer le ballon et le redonner simplement. » Après une saison, le Parc pense avoir tout vu. Matuidi serait un Claude Makelele dans le sens le plus classique du terme. Dans le 4-3-3 d’Ancelotti où il joue près de Sissoko et Motta, Matuidi finit par marquer un « but de travailleur » en toute fin de saison à Valenciennes, sur un joli tacle glissé suivant une offrande de Javier Pastore. Mais c’est tout. Et puis, Marco Verratti arrive au PSG. Le contrôle du ballon de l’Italien libère le tempo parisien et crée des espaces, et Matuidi sort peu à peu de son rôle de chien de garde. Contre Lorient, justement, Matuidi provoque un penalty en partant en profondeur sur une passe de Gameiro. C’est encore dans la profondeur qu’il part marquer contre Bastia et contre le Dynamo Kiev, sur un service d’Ibra. Contre Lyon, Blaise marque même de la tête. Et face à Valenciennes, il laisse s’échapper une frappe brossée du droit sur la transversale…
Preuves et scepticisme
Ce début de saison est un déclic. Contre l’Espagne en octobre, ses dix interceptions résonnent comme un accomplissement de classe mondiale (à lire : Les leçons tactiques d’Espagne-France). Mais lorsque l’ordre des choses est bien trop établi pour se faire désordonner, un seul déclic ne suffit pas. Comme s’il fallait des preuves de la portée de ses accomplissements, comme s’ils n’existaient pas vraiment, comme s’ils ne suffisaient pas. Manchester City fera une offre de douze millions d’euros par saison, et Matuidi deviendra plus tard le joueur français le mieux payé. Matuidi marquera contre le Barça, sera nommé au trophée du meilleur joueur UNFP de Ligue 1, puis mettra un ciseau contre les Pays-Bas, une lucarne enroulée du pied droit contre Marseille, une vingtaine de buts pour le PSG et un doublé d’extra-terrestre contre la Serbie. Suffisant pour convaincre tout le monde de la dimension unique de son talent ? Pas vraiment. Encore aujourd’hui, d’après les bars de l’Hexagone et les travées du Parc et du Stade de France, Matuidi serait encore un poids pour l’animation offensive du PSG et de l’équipe de France.
Un poids qui les retient vers un jeu trop défensif ? Sauf que Matuidi n’évolue plus dans l’axe ni devant la défense depuis un moment. Matuidi joue milieu gauche, devant Motta et Verratti à Paris, et devant Schneiderlin et Pogba en Bleu. Mais le scepticisme a ses raisons : son volume de jeu est toujours aussi important et son rôle de milieu gauche est difficile à définir, car il prend plusieurs dimensions. L’une d’entre elles est la récupération, mais non plus la couverture comme il y a quatre ans : la récupération haute, agressive, au pressing, dans les pieds de l’adversaire, aux côtés de Verratti. Une autre dimension est l’élaboration, la construction du jeu. C’est ici la seule dimension dans laquelle Matuidi n’est pas un joueur de classe mondiale à son poste. Sur les phases de possession, son habileté dans les petits espaces ne fait pas encore grandir les options de décalage comme le font Verratti ou Pogba. Mais s’il construit peu, Matuidi est devenu l’un des meilleurs joueurs au monde dans une troisième dimension : la création. Non pas cette création qui part des pieds, celle de Riquelme et Totti. Mais celle qui part de la tête et du cœur : l’inspiration. Parce que Matuidi est devenu un artiste du mouvement.
Artiste à sa façon
Lancé vers l’avant, toujours en mouvement, Matuidi passe son temps à créer des lignes de passe pour ses coéquipiers. Il doit alors parfois se déplacer sur l’aile gauche pour étirer la domination, et certaines de ses actions font définitivement penser que Blaise est devenu un milieu latéral gauche. C’est dans ce sens que la comparaison avec Makelele est la plus pertinente : dans le FC Nantes champion de France de Coco Suaudeau, Makelele jouait milieu latéral droit. Toujours en mouvement, toujours aérien et en une touche de balle, le Français couvrait son côté tout en étirant le jeu vers l’avant (à lire : Retour vers le futur du jeu à la nantaise). Matuidi aurait donc connu la même évolution que Makelele, mais dans le sens inverse. Aujourd’hui, comme contre la Serbie, il doit parfois se lancer dans l’axe au-delà de la ligne formée par ses attaquants pour brouiller les pistes et étirer le jeu vers l’avant, et certaines de ses actions font alors penser qu’il est devenu un véritable avant-centre.
C’est une erreur de voir en Matuidi un box-to-box moderne à l’influence incontournable au cœur du jeu. Il n’est pas non plus un simple milieu relayeur permettant de lier la relance et la création. S’il fallait trouver des équivalents dans le jeu moderne, il faudrait aller chercher quelques rapprochements subtils avec les mouvements de Charles Aránguiz pour le Chili ou encore le Sami Khedira de l’Allemagne de 2010, c’est-à-dire celui que le Real Madrid n’a jamais réussi à retrouver. Des profils rarissimes, difficilement définissables. Il y a quelques semaines, Willy Sagnol soulignait les « progrès impressionnants du joueur » , mais surtout « la passion de l’homme » . Cette même passion qui le pousse à répéter ces appels que l’on croyait insensés il y a quatre ans. Une passion qui a formé et continue à former un curieux mariage entre d’une part un physique offrant la possibilité du mouvement permanent et la répétition des tentatives les plus osées, et d’autre part une inspiration pleine d’imagination, de flair et de sens du jeu. Un artiste du mouvement.
Par Markus Kaufmann
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