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« La Squadra doit être la locomotive du football corse »
Tandis que la France se prépare à vivre un Euro allemand dans la peau d’un favori, l’Île de Beauté constate la lente disparition de ses ressortissants dans les listes de la sélection nationale. Avec la Corsica Cup en ligne de mire, Dédé Di Scala, président de la Squadra Corse, et le sociologue Giovanni Privitera évoquent leur volonté de faire adhérer la sélection à l’UEFA.
Du 22 au 25 mai prochain, la Corsica Cup fait son retour sur l’île, c’est quoi au juste cette compétition ?
Dédé Di Scala : L’idée, c’est de regrouper des sélections reconnues et non reconnues autour d’un évènement culturel et sportif. Cette année, nos invités sont la Sardaigne et la Sicile, mais également Saint-Martin, une île des Antilles, reconnue par la CONCACAF et qui dispute les éliminatoires de la Gold Cup.
Giovanni Privitera : Ce tournoi, c’est aussi une question de prisme culturel et historique. Là, on regroupe trois îles méditerranéennes pour un évènement sportif, mais il y a bien évidemment un peu de politique quand on sait que la Sardaigne et la Sicile ont un statut autonome et que la Corse, c’est plutôt un statut dit « particulier ».
DDS : La Corsica Cup et la Squadra, c’est une riche et longue relation qui s’entremêle. Depuis l’existence de la Squadra moderne, on est soutenus par les clubs de l’île et les joueurs professionnels. Les premiers étaient Pascal Olmeta, Ange Casanova, puis il y a eu Yannick Cahuzac et François Modesto. Autour du coach (Yannick Cahuzac) et du capitaine Rémy Cabella, on veut continuer à fédérer à chaque occasion. On veut pouvoir proposer à des joueurs professionnels du Sporting Bastia, de l’AC Ajaccio, des joueurs de N2 à Furiani, de porter le maillot de la sélection. Cette année, on veut aussi se servir du match des U20, disputé il y a deux ans en Catalogne, pour intégrer le maximum de jeunes à l’équipe.
Mis à part Rémy Cabella, qui va être appelé pour disputer ce tournoi avec la Squadra ?
DDS : Pour le poste de gardien, certainement (François-Joseph) Sollacaro de l’ACA, en défense Lucas Pellegrini de l’AS Nancy-Lorraine. Pour le reste, l’ossature du Sporting devrait être bien représentée, mis à part les deux blessés Julien Maggiotti et Dumè Guidi. Vincent Marchetti (Paris FC) ne devrait pas être disposé à jouer avec nous vu qu’il dispute les play-off de Ligue 2.
Pourquoi vouloir adhérer à l’UEFA ?
GP : La Squadra existe depuis les années 1960 (1963 exactement, NDLR), et elle a eu l’occasion d’affronter au cours de son histoire de nombreuses équipes mondialement connues telles que l’équipe de France, la Juventus, le Cameroun et plus récemment, la Bulgarie, le Burkina Faso, le Pays basque ou encore le Nigeria. La réalité du football corse, c’est qu’aujourd’hui, il y a une disparition d’un type de jeu corse dans notre ère de mondialisation et de standardisation. La fin du football corse affaiblirait aussi un pan du football français.
DDS : Le football, c’est aussi fait pour voyager. Aujourd’hui, vu les résultats de nos clubs, ça va être compliqué pour un mec de N3 de connaître l’Europe. Cette adhésion à l’UEFA, ce serait un vrai appel d’air important pour la jeunesse et l’identité corse.
C’est une manière de placer la Corse sur la carte du monde ou plutôt d’affirmer une reconnaissance aux yeux de tous ?
DDS : On est un petit peuple, vous savez (350 000 habitants recensés en 2021). On va rester à notre niveau, tel un porte-avions au milieu de la Méditerranée. (Rires.) Si déjà on arrive à faire se rencontrer les peuples de la Méditerranée lors de la Corsica Cup, on en sera très heureux. Ce tournoi, c’est aussi une manière de partager ce qui nous lie avec la Sicile, la Sardaigne et Saint-Martin, c’est important pour nous !
GP : Notre demande est aussi un aboutissement, ou du moins la conséquence, de cette longévité de la Squadra et d’une certaine légitimité. Pour motiver cette volonté, on a voulu afficher notre slogan « Accept Corsica in UEFA » sur les maillots d’avant-match et au dos des billets du tournoi, on a fait imprimer l’article 44 alinéa 6 des statuts de la FFF.
Et il dit quoi exactement cet article ?
GP : Il accorde aux ligues régionales des départements d’outre-mer de Saint-Pierre-et-Miquelon ou Mayotte, par exemple, d’avoir une sélection régionale avec l’accord de la FFF. Cet accord leur permet ensuite d’organiser ou de participer à des compétitions continentales selon la confédération respective. C’est la raison pour laquelle Saint-Martin c’est CONCACAF, et pour la Corse, ça serait l’UEFA.
Dans votre rapport qui sera confié à l’UEFA en décembre prochain, vous dites ceci : « Une reconnaissance officielle aurait une portée prospective bien plus que rétrospective. En d’autres termes, il en va de la survie du football corse et de ses footballeurs. » Le football corse court-il vraiment à sa perte ?
DDS : Vous savez, quand j’ai relancé la Squadra Corse avec le regretté Lucien Felli et Patrick Paquier Lorenzi, c’était une période où les clubs insulaires étaient à la dérive. On se posait la question d’une disparition du footballeur corse. Alors on a voulu relancer ça. Au départ, c’était un pari, puis ça a servi aux clubs pour recruter des joueurs de la Squadra et revenir au premier plan.
GP : Le tournoi de la Corsica Cup et la Squadra doivent avoir ce double rôle de locomotive pour l’avenir et de pacificateur entre les supporters de l’île. L’adhésion à l’UEFA, c’est aussi la possibilité d’un sentiment d’appartenance, d’avoir une équipe qui pourrait être potentiellement reconnue. D’une certaine manière, ça donnerait aussi beaucoup plus de force et de diversité au football français. Rien qu’à voir la devise de l’équipe, « nos différences nous unissent », on est dans cette démarche.
C’est quoi la suite à partir de maintenant ?
GP : En ce qui concerne le dossier, on est pour l’instant à l’étape préliminaire et on est conscient que ça prendra du temps. Donc on va attendre que la Corsica Cup passe, puis entre septembre et décembre 2024, on déposera notre demande, d’abord auprès de la Ligue de football corse, qui est déjà courant, puis à la FFF. Et on a besoin de ce soutien de la fédération pour se présenter ensuite à l’UEFA. Notre volonté n’est pas d’être en opposition avec la FFF, mais d’être considéré comme un membre associé en tant que ligue régionale, c’est en tout cas notre meilleure chance.
Propos recueillis par Allan Doisneau