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Gigi Riva : comme un coup de foudre

Par Adrien Candau

Hospitalisé en urgence en fin de semaine dernière, Luigi Riva est finalement décédé ce lundi 22 janvier à 79 ans, chez lui, à Cagliari. À l’Italie, il laissera un surnom sublime - Rombo di Tuono (le coup de tonnerre) - et 35 réalisations en 42 sélections, qui font de lui le meilleur buteur de l’histoire de la Nazionale. Mais c’est en Sardaigne que sa légende résonne le plus fort, dans une île qu’il avait rejoint à contrecœur en 1963, pour ensuite ne plus jamais la quitter.

Gigi Riva : comme un coup de foudre

Il avait le visage taillé à la serpe et ce regard lointain, presque dur, que posent souvent les taiseux sur les tracas du monde. On l’aurait volontiers imaginé promener sa silhouette filiforme, un imperméable sur le dos et une clope au bec, à enquêter sur la mort sanglante d’une fille superbe, dans un vieux Giallo de Dario Argento. Disparu ce 22 janvier 2024, Luigi Riva restera, dans l’imaginaire collectif italien, d’abord ceci : l’incarnation d’une certaine idée des années 1960 et 1970. Une histoire de dégaine, donc, mais aussi de buts. Plus précisément, de 35 en seulement 42 sélections avec la Nazionale. Personne n’aura fait mieux depuis.

Jour de tonnerre

L’Euro 1968, le premier remporté par l’Italie, porte à jamais sa griffe : Gigi avait pavé la voie de la victoire en finale face à la Yougoslavie, en ouvrant la marque d’un match que les Azzurri gagneront finalement 2-0. Deux ans plus tard, il sera également l’un des hommes forts de l’Italie au Mondial 1970, d’abord en balayant le Mexique d’un doublé en quart de finale. Puis en inscrivant ce qui restera le plus beau but du match du siècle, Italie-Allemagne, en demi. Un pion qui synthétise à lui seul son style et son talent, si particuliers : à la réception d’un centre d’Angelo Domenghini, Riva enchaînait contrôle de l’intérieur du pied, crochet de l’extérieur et frappe millimétrée, pour permettre à l’Italie de repasser temporairement devant, au cours d’un match qu’elle finira par remporter 4-3.

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Un but inscrit du pied gauche, parce qu’il ne pouvait pas en être autrement. Puissant, aérien, rapide et impitoyable face aux cages, Luigi Riva n’est pas exactement un joueur d’association. Plutôt une sorte de finisseur autosuffisant, capable de marquer dans toutes les positions. Lorsqu’il fait gronder son pied gauche, le stade retient son souffle. Son surnom Rombo di Tuono (« le coup de tonnerre ») – que lui donne le célébrissime journaliste italien Gianni Brera – l’iconise dans toute la Botte. « Le son de mes frappes lui rappelait l’arrivée de la tempête », se souvenait joyeusement Gigi. Riva, c’est la foudre en marche. Une petite catastrophe naturelle qui tourbillonne dans la surface. Un orage qui se prépare, dans l’attente d’une fulguration qui va inévitablement changer le cours du match. Ses adversaires en Serie A auront appris à le craindre, lui qui aura inscrit 155 buts en 289 parties dans l’élite transalpine de 1963 à 1976, en plein apogée d’un catenaccio qui cadenasse pourtant les rencontres du Calcio. L’Italie, elle, aura plutôt appris à respecter son immense talent, condensé par son bilan statistique hyperbolique en Nazionale : 35 pions enfilés en 42 sélections, record toujours en cours. Des chiffres saupoudrés, donc, d’un Euro remporté en 1968 et d’une finale perdue face au Brésil en Coupe du monde deux ans plus tard.

Le Sarde d’adoption

Mais c’est définitivement en Sardaigne qu’il restera plus qu’un simple joueur. Une île où ce natif de Leggiuno, une petite ville qui longe le lac Majeur, débarquait pourtant à contrecœur, en 1963 : « À l’époque, j’évoluais en Serie C, à Legnano, en Lombardie et on me dit que je vais aller jouer pour Cagliari. Et la Sardaigne, à l’époque, ce n’était pas la Costa Smeralda… C’était plutôt l’endroit où ils envoyaient les policiers, pour les punir en cas d’écart. » Déjà orphelin de son père 10 ans plus tôt, le ragazzo de 19 ans vient alors de perdre sa mère, Edis. Il se croit seul au monde. « Je suis arrivé à Cagliari cassé par la vie, en colère, fermé et même méchant. » Les Sardes, pourtant, le comprennent immédiatement, et inversement.

Quand je suis arrivé, j’étais sans famille et j’en ai trouvé beaucoup ici. Celle du pêcheur qui m’invitait à dîner, du marchand de journaux, du boucher, du berger…

Luigi Riva

Comme eux, Riva a longtemps connu la galère. Le mépris de classe, aussi, dans ces pensionnats où il avait été interné plus jeune, où il se souvenait toujours de « l’humiliation d’être pauvre, des dortoirs froids, de la nourriture dégoûtante, de devoir dire “Merci madame, merci monsieur” à ceux qui nous apportaient du pain, des vêtements usagés… De l’injonction à devoir toujours rester silencieux, obéissant, ordonné, comme un vieil enfant ». Comment s’étonner, alors, de le voir faire instinctivement cause commune avec ces gens avec qui il partage « le même caractère : nous ne nous exhibons pas, nous nous taisons ». Le voilà vite sarde d’adoption : « Quand je suis arrivé, j’étais sans famille et j’en ai trouvé beaucoup ici. Celle du pêcheur qui m’invitait à dîner, du marchand de journaux, du boucher, du berger… »

« Vous êtes et resterez toujours notre mythe à nous »

Pauvre et isolée, la Sardaigne va peu à peu s’industrialiser avec lui. On achète la radio pour écouter en direct ses buts, alors qu’au fil des saisons, le stade commence à exhaler un parfum de grandeur. Une senteur qui virera au sublime, en 1970. Cette année-là, Cagliari remportait le seul et unique scudetto de son histoire. Le meilleur buteur de Serie A cette saison-là ? Gigi Riva, évidemment. 28 matchs. 21 buts. L’île tient sa revanche sociale. « Ils nous traitaient de bergers et de bandits dans toute l’Italie. Ça me mettait en colère, disait-il. S’il y avait des bandits, c’est parce qu’ils avaient faim, une faim qui touchait tellement de gens à l’époque… L’équipe de Cagliari était tout pour tout le monde et j’ai compris que je ne pouvais pas enlever aux gens leur seule joie. » Il l’avait si bien compris qu’il refusa un transfert pharaonique pour la Juventus la saison suivante, au grand dam du président du club rossoblù, Andrea Arrica, qui n’avait jamais vu autant de billets lui passer sous le nez.

Luigi Riva ne quittera finalement plus jamais vraiment la Sardaigne, même s’il aura un temps officié en Nazionale, comme team manager de la sélection. Après avoir raccroché les crampons en 1977, il sera tour à tour entraîneur, manager de l’équipe première, patron du sportif, puis président éphémère de Cagliari. Son héritage est d’abord là, élémentaire et insulaire : sur cette île que Riva avait si passionnément faite sienne, sa légende survit au passage du temps et des générations. Tous les plus grands joueurs sardes qui l’auront suivi, de Zola à Barella, l’auront d’ailleurs rencontré. Ce lundi soir, le milieu de l’Inter s’est sans surprise fendu d’une photo sur Instagram, où on le voit, tout jeune, avec Gigi sur les terrains. Un cliché assorti de ce commentaire : « Vous êtes et resterez toujours notre mythe à nous. » Gigi Riva, l’homme, s’est lui éteint ce lundi 22 janvier 2024, à Cagliari. Lorsqu’on lui demandait ce qu’il préférait de la Sardaigne, il répondait toujours : « Le vert des forêts de l’Ogliastra. On peut y marcher 20 minutes, sans jamais voir le ciel. »

Dans cet article :
Pluie d’hommages après le décès du légendaire Luigi Riva
Dans cet article :

Par Adrien Candau

Tous propos issus de la Repubblica, de la Gazzetta dello sport et de Corriere.it

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