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Débat sur le 50+1 : stop ou Hanovre ?
Une semaine après l’abandon du projet visant à faire entrer des investisseurs extérieurs dans le capital de la Ligue de football professionnel allemande (DFL), le président de Hanovre 96, Martin Kind, n’entend pas lâcher l’affaire. Grand pourfendeur de la sacro-sainte règle du 50+1, ce dernier estime qu’il est plus que jamais temps de laisser tomber la tradition pour aller de l’avant.
Ce mardi, le président du Borussia Dortmund Hans-Joachim Watzke estimait, lors d’une conférence de presse, que la majorité des supporters allemands n’était pas contre l’idée, désormais morte et enterrée, de faire entrer un investisseur externe au sein du capital de la DFL, dont il est également le porte-parole. Sauf que, contrairement aux ultras, ces lambda ne l’auraient dit à personne. Et, donc, auraient vu leur volonté annihilée par une minorité bruyante. Selon Watzke, cet état n’aurait rien de surprenant. « À chaque idée qui est présentée au grand public, le grand public répond : pas bien », a-t-il déclaré, pestant au passage contre un « problème de la société allemande », ses compatriotes étant supposément « traditionnels, voire peut-être un peu vieux jeu. En Allemagne, utiliser le terme “investisseur” n’est peut-être pas la meilleure des idées ». Martin Kind a l’âge d’être « vieux jeu » (79 ans), et pourtant, le président de Hanovre 96 a une très forte envie d’envoyer valdinguer ce socle traditionnel que défendent vaille que vaille des ultras en majorité bien plus jeunes que lui et qui ont affiché, jusque dans les tribunes de son propre club, un viseur de fusil à lunette pointé sur son visage.
Hypocrisie et paix sociale
Si Martin Kind est autant revenu sous les feux de l’actualité en Allemagne, c’est parce que cet entrepreneur qui a fait fortune dans les appareils auditifs estime que la règle du 50+1 est un frein au développement du football allemand. Or, comme il l’a déclaré dans un entretien fleuve au quotidien Süddeutsche Zeitung paru ce mercredi, « il est de notre responsabilité commune que le football allemand reste compétitif et de pouvoir concurrencer les grandes équipes internationales ». Et cela passerait donc par la possibilité de faire rentrer des investisseurs dans le capital des clubs, quitte à leur filer la majorité des parts, ce qu’empêche actuellement le 50+1. Son Hanovre 96, à la tête duquel il est depuis 1997, évolue depuis maintenant cinq saisons en D2 et, s’il existe une clause qui permet, cas par cas, à un investisseur présent sans discontinuer depuis 20 ans au sein du conseil d’administration d’un club de bénéficier d’une dérogation pour contourner la règle d’or, Martin Kind se l’est vue refuser lorsqu’il a franchi ce cap symbolique, il y a presque six ans. Autant dire que celui qui sera octogénaire au mois d’avril a dû se frotter les mains en voyant la DFL proposer un projet quasi similaire en tout point à son sacerdoce.
Sauf que la DFL est probablement moins butée que lui et, au vu de la multiplication des actions des ultras pour défendre la spécificité du modèle allemand, celle-ci a fini par faire machine arrière, invoquant le fait qu’« au regard des développements actuels, une poursuite réussie du processus ne semble plus possible ». En remettant toute tentative de réforme au frigo, la Ligue achète au passage la paix sociale et balaye d’un revers de la main une suggestion, notamment défendue par Karl-Heinz Rummenigge, selon laquelle chaque club devrait pouvoir choisir son propre modèle économique. Pour Martin Kind, rien de plus qu’un aveu d’échec doublé d’hypocrisie, ce qui a valu à Hans-Joachim Watzke de se prendre une balle. « Le Borussia Dortmund est la seule société de capitaux cotée en Bourse dans les deux divisions professionnelles allemandes, tempête-t-il. Cependant, l’association (e.V. en allemand, NDLR) ne possède plus que 4,6% de l’entreprise. On peut donc se demander si le club respecte pleinement le principe 50+1… »
Be Kind, rewind
Dans les faits, des contournements sont effectivement possibles. Si le Bayer Leverkusen et Wolfsburg sont les exceptions les plus connues, en raison du fait que leur investisseur était déjà présent bien avant l’introduction de la règle du 50+1, d’autres comme Hoffenheim et, surtout, le RB Leipzig, sont parvenus à rester officiellement dans les clous, tout en vivant sous la perfusion d’un mécène. Aucune surprise donc, à ce que Martin Kind cite le second en « exemple positif ». « Avec lui, une région de football orpheline a repris vie, avec du bon football et la Ligue des champions. C’est le capital qui a financé cela. En toute objectivité, c’est une histoire à succès. De nombreuses personnes dans toute la région aiment et soutiennent le club », analyse-t-il, en saluant le « modèle très créatif » développé par Red Bull pour contourner la règle.
Avec Martin Kind, une chose est sûre, l’homme ne lâchera jamais le steak. « Je pense que M. Watzke a tort de déclarer que la règle 50+1 est fixée dans sa forme actuelle, conclut-il. Parce que cela revient à dire qu’il ne peut pas y avoir de changement. » À son sujet, une interrogation demeure : alors que son club avait voté contre l’entrée des investisseurs, a-t-il joué cavalier seul en trahissant le choix de ses supporters ? Dit autrement : est-il LA voix qui a permis d’atteindre la majorité des deux tiers ? Lorsque la question lui a été posée sur le plateau de l’émission Hart aber fair (sévère mais juste en VF), l’intéressé s’est indigné, puis a botté en touche. Désormais, la vraie question qui se pose est : qui veut vraiment de ce changement structurel ? Rien n’indique que la DFL ne reviendra pas avec une nouvelle proposition de réforme après avoir laissé un peu l’eau couler sous les ponts. À ce moment-là, elle devra cependant se préparer à un nouveau conflit avec les ultras de tout le pays et ceux-ci ont au moins un point commun avec Martin Kind : eux aussi ne brillent pas dans l’art du compromis.
Par Julien Duez