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De Paris à Munich, la résistance prend forme
Candidats naturels au statut de « membre fondateur », le Paris Saint-Germain et le Bayern Munich ont refusé, pour le moment, de se joindre au sinistre projet de « Super League » porté par leurs camarades anglais, italiens et espagnols, même si Florentino Pérez assure ce matin ne jamais les avoir invités. Rejoints dans la journée de lundi par d’autres clubs, plus modestes, ils se retrouvent dans une posture confortable qui ne les empêchera pas de retourner leur veste dans le futur, mais qui fait d’eux, pour le moment, les derniers chevaliers blancs du football européen.
À première vue, il faudrait pourtant être fou pour décliner une telle invitation. L’entre-soi élitiste, les centaines de millions qui tombent chaque saison après une année de Covid qui aura fait du mal aux finances et alors que les droits TV sont à la baisse en Europe, les affiches de gala toutes les semaines comme une nouvelle routine pailletée. La garantie d’être officiellement les plus forts, les plus beaux, les plus riches, et surtout que ça ne bouge plus. Et pourtant, seuls douze des quinze « membres fondateurs » annoncés avaient signé la profession de foi inaugurale de la Superligue dans la nuit de dimanche à lundi. Grands absents de la soirée de lancement, les clubs allemands et français naturellement attendus dans ce rôle – le Bayern Munich, le Borussia Dortmund et surtout le PSG – sont restés solidaires avec l’UEFA et sa Ligue des champions. Pour l’instant.
Super riche, mais pas super con
Une résistance qui pourrait faire la différence. Si la Superligue avait été présentée dimanche avec un casting cinq étoiles complet réunissant toute la grande Europe du football, sans exception, sans doute contemplerions-nous déjà le cadavre fumant de la Ligue des champions plutôt que de tenter à tout prix de la sauver. De façon presque surprenante, Paris, symbole mondial – pas toujours à raison, visiblement – de l’avidité et de l’argent dégueulant dans le football, a été le premier à s’opposer farouchement au projet. Dans les colonnes de l’Athletic, une source au sein du club affirmait que Paris « s’en tenait à la tradition de l’UEFA », que rejoindre ce projet serait un « manque de respect » et que la scène européenne « ne pouvait pas être que pour les super-riches ».
Depuis dimanche, des proches du club s’occupent de défendre par voie de presse la position du club et de son président, Nasser al-Khelaïfi, propulsé à la tête de l’ECA après la désertion d’Andrea Agnelli : « Nasser a ses critiques, mais c’est quelqu’un de très loyal, confiait un proche de NAK, toujours à l’Athletic. Ce n’est pas un hypocrite. Il est ami avec Čeferin et est au board de l’UEFA depuis longtemps. Si vous êtes l’ami de Nasser, il prend soin de vous. »
Réunion d’urgence et réforme de la C1
Que la loyauté de Nasser al-Khelaïfi soit réelle ou qu’elle soit guidée par les centaines de millions d’euros versés par le beIN Media Group, dont il est également président, pour diffuser la Ligue des champions, au fond peu importe. Le message passé est très clair : tous les grands clubs ne sont pas en faveur de cette Superligue et ont encore le courage de ne pas aveuglément suivre le mouvement, malgré l’appât du gain, et même si Florentino Pérez, le président du Real Madrid, affirme ne pas les avoir conviés. Sans avoir publié de communiqué ni l’un ni l’autre sur la question, le PSG et le Bayern multiplient depuis dimanche les gestes forts en faveur de la préservation de la Ligue des champions. Dans la nuit de dimanche à lundi, alors que la nouvelle compétition se dévoilait officiellement, l’ECA (le syndicat réunissait près de 250 clubs européens) organisait une réunion d’urgence que les douze clubs frondeurs ont séché, mais à laquelle les dirigeants du PSG et le Bayern ont assisté.
De même, plusieurs médias dont France Bleu Paris ont rapporté que Nasser al-Khelaïfi faisait partie des votants du projet de réforme de la Ligue des champions, adopté à l’unanimité. De son côté, Karl-Heinz Rummenigge a remplacé Andrea Agnelli à la tête du comité exécutif de l’UEFA. « Le Bayern n’a en aucun cas pris part à la création de la Superligue, a annoncé le boss bavarois. Nous sommes intimement convaincus que le modèle actuel est pleinement satisfaisant, suffisamment attractif et garantit sérieusement les bases du football. » Il y a presque quelque chose de romantique (si l’on occulte qu’ils représentent aussi à leur façon certaines dérives du football business) dans le fait que ce sont ces deux clubs que tout oppose, qui viennent de nous offrir l’une des meilleures doubles confrontations de ces dernières années en C1, qui la défendent si ardemment. À croire que, même pour ces clubs-là, il existe une ligne rouge à ne pas franchir dans la dénaturation du football.
Dans la meilleure position possible
Les deux têtes de gondole de la résistance ont été rejointes dans la journée de lundi par d’autres clubs : le Borussia Dortmund, candidat présumé au statut de membre fondateur, a communiqué contre la Superligue, de même entre autres que le RB Leipzig, le Borussia Mönchengladbach, le FC Porto, le Real Betis et évidemment Leeds, devenu lundi soir la première équipe à affronter un membre de la Superligue.
Entre dimanche et lundi, toutes les fédérations et ligues s’étaient déjà fendues de communiqués dénonçant les velléités séparatistes des douze salopards. Certains joueurs en activité ont également parlé, dont le Parisien Ander Herrera, Mesut Özil, Benjamin Pavard, Álvaro Gonzalez, Ada Hegerberg et surtout Bruno Fernandes et João Cancelo, directement concernés par la question, puisque représentant deux équipes de la SL.
Tel est l’état des lieux aujourd’hui : d’un côté, douze clubs prêts à sacrifier ce qu’il reste du football que l’on connaît pour multiplier leurs revenus par quatre ; de l’autre, la masse des « autres » clubs allègrement baisés par cette nouvelle compétition et qui se battent, avec le soutien presque inattendu de trois gros clubs qui ont décidé de ne pas monter dans ce train. Finalement, la situation dans laquelle le PSG, le Bayern et le Borussia Dortmund se trouvent est une situation plus que confortable : aux yeux de tous, ils sont les garants des valeurs sportives du foot que les vilains petits canards de la Superligue veulent anéantir. Vu l’enthousiasme que leur prise de position a suscité, des félicitations de Macron aux remerciements de l’UEFA en passant par les applaudissements des amoureux du football à travers le monde, ils se retrouvent dans la meilleure position possible. Aussi, et surtout, parce qu’ils savent que leur statut leur garantit que si, d’une façon ou d’une autre, le projet va à son terme, un siège brodé à leur nom finira par les attendre. À voir jusqu’à quand ils auront le courage de le rejeter.
Par Alexandre Aflalo