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De Naples à la Juve, partir n’est pas toujours trahir

Par Adrien Candau
5 minutes
De Naples à la Juve, partir n’est pas toujours trahir

En signant à la Juventus cet été, Maurizio Sarri s'est mis à dos les tifosi napolitains, ulcérés de voir leur emblématique entraîneur passer chez l'éternel ennemi piémontais, qui défiera les Azzurri ce samedi. La haine serait-elle donc un sentiment irrémédiablement réservé à toute icône napolitaine qui irait endosser les couleurs bianconere ? Pas nécessairement : un passage de Naples à Turin, c'est toujours une histoire dans l'histoire, un complexe concours de circonstances où se mêlent tragédies sportives et impératifs économiques.

On ne sait pas où sera précisément Maurizio Sarri ce samedi soir, alors que, pour la première fois de sa vie, il affrontera son Napoli chéri, en tant qu’entraîneur de la Juventus. Atteint d’une pneumonie, le Mister pourrait ne pas avoir le feu vert des médecins pour s’asseoir sur le banc de l’Allianz Stadium. Ce qui est certain, en revanche, c’est que l’ancien gourou napolitain a franchi le Rubicon en signant chez l’ennemi turinois, et que les tifosi napolitains ne risquent pas de lui pardonner de sitôt. Dans l’histoire du Napoli, la chose n’est pourtant pas inédite, ni même rarissime, et Sarri n’est pas la première idole parthénopéenne à se faire cueillir par les longs bras de la Vieille Dame. Tout chouchou du public azzurro qui finit à Turin n’est cependant pas forcément un fieffé traître pour la tifoseria locale. Un transfert à la Juve, c’est un voyage, un changement de monde et de dimension qui peut être tantôt choisi, tantôt forcé, souvent chaotique et même parfois pardonné.

Zoff, icône intacte

Bien sûr, sur le devant de la scène, il y a cette haine supposément inconditionnelle, celle qu’on réserve aux traîtres, comme une traduction footballistique d’un antagonisme nord-sud qui a participé à iconiser la rivalité entre deux clubs que tout ou presque oppose. À cet égard, le transfert de Gonzalo Higuaín, passé en quelques jours après son transfert à la Juve de héros total à ennemi public numéro 1, constitue un exemple emblématique.

Pourtant, la détestation qui serait réservée à tout joueur napolitain qui se décide à porter la tunique bianconera n’est pas systématique. Dino Zoff en est une preuve vivante. En 1972, après cinq saisons brillantes dans la ville du Vésuve, le portier est vendu à la Juventus. Le grand Dino n’y est pas pour grand-chose : le président azzurro Corrado Ferlaino, conscient que le Napoli a alors besoin de liquidités, est contraint de se séparer de plusieurs joueurs majeurs. « Je suis allé de Naples à la Juve, mais je n’ai jamais été hué au San Paolo, décryptait Zoff en 2017. La raison ? J’ai toujours été clair. J’étais parfaitement bien à Naples et je n’avais pas l’intention de partir. Même aujourd’hui, j’aime Naples et je suis heureux de suivre l’équipe. C’est le président Ferlaino qui m’a appelé et m’a dit qu’en raison des conditions économiques du club, je devais partir. Peut-être que Ferlaino a alors dit le contraire, mais j’aurais été heureux de rester. »

Le cœur ingrat d’Altafini

Si l’ancien portier de la Nazionale n’a jamais vu sa cote s’effondrer en Campanie, ce n’est pas le cas de l’autre star napolitaine de l’époque, José Altafini, lui aussi transféré dans le Piémont la même année. Pourtant cédé au club turinois dans des circonstances similaires, l’Italo-Brésilien écope d’un traitement beaucoup plus sévère de la part du public napolitain et sera même pendant des décennies l’incarnation vivante de la traîtrise aux yeux du tifoso partenopeo moyen. La faute, notamment, à ce pion que cette ancienne légende milanaise inscrit le 6 avril 1975 et fête sans retenue, à la 88e minute d’un Juve-Napoli décisif pour la course au titre. Naples ne s’en remettra pas et terminera dauphin de la Juve, à seulement deux petits points de la Vieille Dame au classement final de la Serie A.

Par la suite, le joueur, qui avait évolué 7 saisons sous les couleurs napolitaines avant de signer dans le Piémont, confiera : « Quand je suis entré sur le terrain, ils m’ont sifflé. Je les ai punis. » Il ne sera jamais vraiment pardonné, alors que la tifoseria napolitaine lui attribuera du surnom peu flatteur de « core ‘ngrato » (cœur ingrat, N.D.L.R.). « Ils m’ont surnommé comme ça pendant toute ma vie » , confiait l’attaquant à Premium Sport en 2018. Il faudra attendre le transfert de Gonzalo Higuaín à la Juve pour voir le public napolitain faire déchoir aussi bas une de ses icônes passées. « Quelque part, Gonzalo Higuaín m’a libéré d’une malédiction » , reconnaissait d’ailleurs alors Altafini.

Le pardon du San Paolo

Entre-temps, pourtant, d’autres Azzurri emblématiques ont bien fait le chemin vers Turin. En 2010, Fabio Quagliarella, natif de Naples, quitte les Partenopei pour le Piémont, suscitant le dégoût des tifosi locaux. Mais il sera réhabilité bien des années plus tard, après avoir confié qu’il avait été victime de harcèlement psychologique et de chantage de la part d’un flic napolitain pourri. Surtout, en 1994, Ciro Ferrara, Napolitain pur jus et défenseur brillant, rejoint la Juve après 10 années de professionnalisme au Napoli, et bien sur deux Scudetti et une Coupe UEFA glanés avec la mythique équipe de Maradona. Sauf que son transfert, là encore, est conditionné par des impératifs économiques, alors que le Napoli, confronté à un endettement critique, n’a d’autre choix que de vendre ses meilleurs éléments, à l’image de la cession du wonderkid Fabio Cannavaro, vendu à Parme à peine un an plus tard, en 1995. À cet égard, le retour de Ferrara sur ses terres avec la Juventus s’est plutôt bien passé. Anecdote amusante, le défenseur avait quitté le Napoli pour les Turinois en compagnie de Marcello Lippi, qui s’était fait un an les dents sur le banc azzurro avant de rejoindre Turin. «  Mes retrouvailles avec les Napolitains se sont passées d’une belle manière, confiait Ferrara. Et de la même manière, les Napolitains ont applaudi Lippi, avec qui je suis allé à la Juve. » Ferrara fêtera même son jubilé en organisant un Napoli-Juve de gala en juin 2005, dans un stade San Paolo plein à craquer et avec Maradona en tribunes.

Reste que Sarri, lui, n’avait pas tout a fait le couteau sous la gorge au moment de signer à la Juventus, même si son choix s’inscrit dans la continuité d’une carrière ascendante. Pas fou, le nouveau grand manitou de la Juve a préféré philosopher sur les conséquences que son arrivée dans le Piémont aura sur son relationnel avec Naples : « Napoli-Juve ? S’ils m’applaudissent, je sais que ce sera un geste d’amour. S’ils me sifflent, je sais que ce sera également un geste d’amour. » Une jolie pirouette rhétorique, en attendant de retrouver ses anciens joueurs ce samedi, puis de se confronter au jugement du San Paolo, en janvier prochain.

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Par Adrien Candau

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