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De Marseille à Reims, le chemin de la révélation Ilan Kebbal
Inconnu début août, Ilan Kebbal a réussi l'un des exploits de l’été : attirer les projecteurs sur lui le soir de la première de Lionel Messi avec le PSG, à Reims. Malgré la défaite des siens, le feu follet rémois a terminé la soirée dans les bras de Thierry Henry, et même en tendance Twitter. Si l'heure de l'avènement de Kebbal semble avoir sonné dans la Cité des sacres, le milieu offensif de poche de 23 ans a rencontré de nombreux obstacles sur le chemin du succès. Portrait d'un ancien hyperactif devenu casanier.
C’est une demi-finale de Coupe de Provence dont peu se souviennent. Même le score a sombré dans l’oubli. Pourtant, en ce jour de printemps 2010, les U10 de l’AS Monaco affrontent ceux du Burel FC, petit club formateur du nord de Marseille, qui va réaliser l’exploit : se qualifier en finale malgré l’expulsion de deux de ses joueurs. Ilan Kebbal fait partie des fautifs. Tout sourire, il raconte : « Avec Hugo Magnetti, qui joue aujourd’hui à Brest, on s’insulte sur le terrain, on se met 2-3 trucs dans la tête, et on prend un rouge chacun. » Du côté de la rade de Brest, Magnetti détaille un peu : « On était déjà meilleurs amis. Mais Ilan est très sanguin, et il aime bien porter le ballon. Ce jour-là, il ne me fait pas la passe une fois, deux fois, trois fois. Je lui en veux, je lui dis. Et voilà. On était dans la même équipe et on a pris un rouge chacun, alors qu’on était potes. » Un épisode qui en rappelle un autre à Biba Kebbal, mère de, qui défend son fils : « C’était un garçon très gentil, mais un pitre qu’il fallait surveiller comme le lait sur le feu. Sa première bagarre, c’était avec une fille au collège, qui lui avait mis un coup de pied là où il ne fallait pas. Ilan s’était défendu, mais elle l’avait bien bousillé. » Deux accrochages d’ados, qui pourraient faire croire qu’Ilan Kebbal est un garçon à problèmes. Raté. Car si le gringalet marseillais a dû se battre pour se hisser au plus haut niveau, ce n’est qu’au sens figuré.
Géographie, corps de crevette et Atlético de Madrid
L’histoire d’Ilan Kebbal, c’est d’abord celle classique d’un gamin dont le talent met tout le monde d’accord, mais qui rencontre un problème de taille : la sienne. Ballon au pied, le petit Kebbal affole toutes les défenses de Provence. « Je jouais numéro 6, lui c’était mon 10. Je récupérais les ballons pour lui, après il créait les actions. Limite je m’arrêtais pour le regarder jouer », se souvient Hugo Magnetti. Le milieu brestois ajoute : « À tous les tests, c’était objectivement le meilleur. » Sauf que dans le foot, le physique et la taille, ça compte. Surtout aux yeux des directeurs des centres de formation, qu’Ilan Kebbal a écumés. « Grâce au football, Ilan connaît au moins la géographie », se marre la mère de celui qui estime avoir fait « une trentaine de clubs en France », sans jamais parvenir à en convaincre un seul de lui offrir une place. « On ne parlait jamais de football, mais de physique. Aucun club ne m’a dit qu’il ne me prenait pas parce que je n’étais pas bon. J’y ai toujours cru parce que j’avais confiance en mes qualités. »
Du genre boute-en-train, Ilan Kebbal relativise ses échecs à répétition. « Il se disait : « Pas grave, la prochaine fois. » Il n’est pas défaitiste, il ne baisse jamais les bras et se remet vite au travail », assure Hugo Magnetti, qui convainc, lui, le SC Bastia à 16 piges, et laisse son pote à quai au Burel : « Voir tous ses amis partir au centre, et pas lui, ça devait être frustrant. Mais il allait rebondir, on le savait tous. » Recalé partout, Kebbal porte donc jusqu’à sa majorité les couleurs du Burel, où œuvre sa mère Biba : « Ilan était le meilleur 98 de la région, même s’il avait un corps de crevette, petit et maigre, il était très agile avec le ballon. » La crise d’adolescence vient corriger quelque peu le tir, et à 17 ans, le gamin frêle prend une dizaine de centimètres et quelques kilos. Ce qui change tout : « C’est là que l’Atlético, l’Inter et Bordeaux sont venus aux renseignements. » L’Atlético en question, c’est bien celui de Madrid. À l’époque, Biba n’y croit pas : « Le gars était venu voir un match par hasard et il est tombé amoureux d’Ilan. Il ne comprenait pas qu’il soit libre. J’ai eu du mal à y croire, surtout qu’à Marseille, il y a beaucoup de mythos. » Mais après une semaine d’essai en Espagne, Ilan Kebbal préfère opter pour la Gironde. Un choix prudent, mais pas payant.
Kebbal-OM : rendez-vous manqués
Volonté de réussir en France pour prouver aux autres clubs leur erreur, barrière de la langue, crainte de se perdre à l’Atlético… Les raisons de ce choix sont multiples. « Je ne voulais pas signer à l’Atlético pour dire : « Je joue à l’Atlético » », tranche Kebbal. Direction Bordeaux donc, où Patrick Battiston fait pencher la balance : « Il ne pensait pas au physique, mais au foot d’abord », apprécie Kebbal, propulsé au milieu de la génération Tchouaméni-Koundé. Problème : après une bonne première saison, Battiston change de poste. Matthieu Chalmé prend les commandes de l’équipe, et Kebbal sort du onze. « Je n’étais pas le plus gros travailleur, je n’allais pas à la salle de musculation le premier, je n’étais pas toujours à 100% aux entraînements », reconnaît le Rémois. « Vu son corps, ça n’étonne personne d’apprendre qu’il ne va pas à la salle, non ? tacle Magnetti, légèrement chambreur. Pourtant, à Marseille, c’est le premier à se mettre torse nu pour dire que c’est lui le plus costaud. » Placardisé, Kebbal est au fond du trou : « C’est le moment le plus dur de ma carrière. Je pensais que j’étais devenu nul. Quand je voyais des 2003, qui avaient cinq ans de moins que moi, entrer dans des matchs où je restais sur le banc, ça faisait mal. J’habitais seul, je ne jouais pas : je voulais que ça se termine. »
Après un rebond avorté à Amiens – « le club m’a demandé d’arrêter les essais ailleurs, puis ne m’a jamais rappelé » -, Ilan Kebbal décide de rebrousser chemin. Il se relance en National 3, au club marseillais de Côte bleue. Un choix osé pour un type de 20 ans désireux de se rapprocher de la cour des grands : « C’est juste lucide. Pour moi, c’était simplement mieux de jouer, même en N3, que de rester à la maison. Et je savais que si je faisais des bonnes prestations, je pouvais rebondir », raconte celui qui rentre alors chez papa et maman, et qui vit de ses allocations chômage. Un retour à Marseille salvateur, mais toujours pas à l’OM – qui l’a longtemps suivi – avec qui Kebbal a multiplié les rendez-vous manqués, que ce soit en débutant ou plus tard, adolescent : « Je m’entraînais avec eux tous les mercredis. Mais le contrat n’est jamais venu. Du coup quand j’ai été approché par d’autres clubs, j’ai parlé avec l’OM. Rien ne s’est passé et j’ai signé à Bordeaux. » Un coup dur pour ce supporter marseillais, qui a fait « toutes les tribunes du Vélodrome » et qui aujourd’hui encore « ne loupe aucun match ».
Vitres cassées, dragibus verts et bonnet d’âne
En fait, la vie d’Ilan Kebbal a toujours tourné autour du ballon. « Il adore le foot, ce n’est pas le cas de tous les joueurs, précise Fabien Mercadal, qui l’a entraîné la saison dernière à Dunkerque. Il connaît tous les joueurs, même dans les championnats amateurs. » Dès ses premiers pas précoces à l’âge de huit mois, le minot, déjà obsédé par les ballons, fait deviner à ses parents qu’il finira footballeur. « On s’est dit que le futur Zizou était en train d’arriver », se marre encore la maman Biba, qui se souvient surtout avoir eu toutes les difficultés du monde à gérer le petit dernier d’une fratrie de trois enfants (deux garçons, une fille). Un mot revient quand il s’agit d’évoquer le caractère du bambin : l’hyperactivité. « J’ai toujours fait des petites conneries, avoue le principal intéressé. Ce n’est pas grand-chose, mais j’ai cassé pas mal de fenêtres en jouant au foot. Mon père s’occupait de les réparer, puis je les cassais de nouveau. Il criait, mais ça repartait. »
Quand il ne traînait pas avec les copains du quartier des Néréides, à Saint-Marcel, le jeune Kebbal passait du temps à se « régaler » dans la boulangerie familiale ( « je prenais tout ce qu’il y avait à prendre : les bonbons, les viennoiseries, les boissons. Les dragibus verts, les meilleurs » ), où ses parents ont longtemps travaillé avant de changer de profession. « Ils se levaient à 4 heures, la boulangerie fermait à 20 heures, c’était dur, ils ne pouvaient pas continuer comme ça », raconte le fiston. De son côté, Biba se souvient des passages du jeune Ilan : « J’avais tellement honte, je n’aimais pas trop gueuler devant les clients. Il ne faisait que bouffer, boire, il ramenait tous ses copains, c’était la guinguette. » Une histoire de famille, comme souvent : Kebbal a une relation fusionnelle avec sa mère, qui prend du plaisir à raconter la vie de son fils, mais également avec son frère et sa sœur, qu’il aimait embêter quand il était l’enfant roi du foyer. Dans une salle de classe, c’était la même rengaine : Kebbal n’était pas le plus sérieux, mais il ne passait pas non plus inaperçu. « Comme à l’entraînement, c’était un peu le clown, raconte Magnetti. Il mettait le bordel dans le bon sens. Il faisait rire la classe comme il faisait rire le vestiaire. C’était le petit qui aimait titiller les grands. C’était souvent le plus petit, mais toujours celui qui avait la plus grande bouche. » De son côté, Kebbal ne cache pas que l’école n’était « pas faite pour lui » et qu’il n’est « pas un exemple », au plus grand regret de Biba : « Quand on est parents, on aime bien voir nos enfants ouvrir des livres, mais lui, à part France Football… »
« Il y a beaucoup d’hommes dangereux dans ce milieu »
Le football, justement, c’est probablement ce qui a permis à Biba et Toufik, les parents de l’heureux élu, de ne pas perdre la tête à force de courir après le petit Ilan, qui a aussi la particularité d’avoir « épuisé trois nounous ». La maman se souvient du casse-tête : « Il fallait limite appeler Pascal le grand frère. J’ai essayé de lui prendre des profs privés, mais alléluia, il a pris sa licence après ses cinq ans et le jour où on l’a mis au foot au Burel, on a compris que ça allait lui prendre beaucoup d’énergie, ça l’a canalisé. Dès qu’il a pu être licencié, il nous a sauvé la vie, et probablement la sienne. » Il lui a en tout cas donné un sens, sans trop le savoir. Avant de rejoindre la cour des grands, le Franco-Algérien a pratiqué le foot comme l’immense majorité des gamins de son âge peuvent le faire, c’est-à-dire pour le plaisir. « C’est un peu ce qui se perd, lance-t-il. On sortait jouer dans le quartier avec une canette, une paire de chaussettes. On n’avait pas de ballon, mais on se débrouillait, on jouait au foot. J’ai grandi comme ça, je ne pouvais plus m’en passer. »
Au point aujourd’hui d’en avoir fait un métier, avec toujours cet avantage de bénéficier d’un entourage sain, ce qui est presque devenu anormal dans le monde du football professionnel. Magnetti : « Sa mère est secrétaire au Burel, elle connaît bien les rouages du monde du foot, ça aide Ilan. » Une connaissance du milieu idéale pour ne pas perdre la tête à la moindre proposition alléchante. Tout au long de sa jeunesse, les parents Kebbal ont vu défiler une ribambelle de personnes intéressées, parfois trop, et désireuses de prendre leur enfant sous leur aile. « Il y a beaucoup d’hommes dangereux dans ce milieu, prévient la mère d’Ilan. Un gars de l’Inter nous avait approchés en tribunes, un autre de l’Atlético était directement allé voir Ilan alors qu’il était mineur. Ce n’est pas possible qu’on puisse inviter un gamin comme ça. »
Aujourd’hui, Kebbal n’a toujours pas quitté l’Hexagone, l’Inter et l’Atlético appartenant pour le moment à l’histoire ancienne. Il a en revanche poursuivi son aventure beaucoup plus au nord, où le mot « dégun » n’a aucun sens et où l’accent est moins chantant que dans sa contrée de naissance : direction Reims. Pourquoi ? « Parce qu’après ma saison à Côte bleue en N3, c’est le premier essai que j’ai passé. Et leur discours m’a séduit, notamment l’intégration progressive par le groupe Pro 2 (l’équipe réserve, NDLR) », se souvient Kebbal, qui a convaincu le club champenois en un essai : « Le lendemain matin, on m’a réveillé à 7 heures, j’ai cru que j’avais fait une connerie, mais c’était pour signer mon contrat. » L’idée du Stade de Reims – comme pour Boulaye Dia avant lui – était de polir le talent Kebbal en réserve et via des prêts. « On a toujours un suivi attentif sur ces garçons qui sont passés à travers les mailles du filet comme Ilan, confie Mathieu Lacour, le DG du club. Son talent sautait aux yeux de tout le monde, mais il a eu une maturité tardive. L’objectif du groupe Pro 2 est de tenter des paris comme ça. On est ravi de lui avoir tendu la main. » Après six mois en réserve, et un prêt écourté à Lyon-Duchère (printemps 2020 oblige…), Ilan Kebbal s’est finalement rapproché de la mer du Nord en posant ses valises à Dunkerque.
Trottinette, cafards et Vélodrome
Dans le Nord, Fabien Mercadal a insisté pour le recruter après avoir flashé sur le bonhomme lors d’un Lyon la Duchère-Bastia Borgo quelques mois plus tôt. « Si j’en suis là, c’est grâce à lui, assume Kebbal, qui regrette même de ne pas l’avoir vu trouver un nouveau banc. Il m’a donné énormément de confiance, je jouais comme si j’étais chez moi. » Se sentir comme à la maison, c’est peut-être une condition essentielle pour voir Kebbal se sentir bien sur un terrain, alors que celui-ci avait choisi de vivre à quelques centaines de mètres du centre d’entraînement dunkerquois pour limiter son temps de trajet en trottinette. Reste quand même ce souvenir d’un joueur pas comme les autres chez Fabien Mercadal : « Je me souviens de l’un de ses premiers matchs contre Clermont, il tire un corner en retrait, on prend un contre de 80 mètres et par miracle, on ne prend pas de but. Je vais le voir le lundi, il me répond d’emblée : « Coach, je sais pourquoi vous venez me voir. » En fait, il est capable d’analyser lui-même ses matchs, je l’ai compris ce jour-là. »
D’un cocon à un autre, il n’y a qu’un pas, ou plutôt près de trois heures de route en bagnole. Après un prêt gagnant pour tout le monde, Kebbal a laissé sa trottinette sur place pour mettre le cap sur Reims, où il a retrouvé de la stabilité, de la confiance, et surtout la possibilité de se montrer dans l’élite. Un nouveau tournant dans sa carrière et un début de célébrité à gérer, notamment en coulisses où les prétendants à la nouvelle pépite champenoise sont d’un seul coup devenus légion. « Il n’y a que le chien et le chat de la voisine qui ne m’ont pas appelé. Ils sont tous sortis comme les cafards quand on allume la lumière, métaphorise Biba. L’agent d’Ilan nous ressemble, on a aussi rencontré Fred Déhu(de la même agence, NDLR)qui est pareil. Je sais qu’il ne trahira jamais son ami. Puis, s’il se met à changer demain, je lui arrache la tête, je déchire le livret de famille, même si je sais que ça n’arrivera pas. » Kebbal est prévenu : il n’est pas question de prendre la grosse tête ou de profiter de son nouveau statut pour chambouler son environnement. En parallèle du ballon, la priorité actuelle est même ailleurs pour le milieu offensif, passionné de mode, mais très casanier : décrocher le permis de conduire à 23 ans pour ne plus être dépendant de la trottinette, du vélo, ou même des autres (sa femme, notamment) pour se rendre à l’entraînement. Plus au sud, dans le foyer familial, on a surtout coché une date, celle du 22 décembre, où Kebbal est attendu pour fouler pour la première fois la pelouse du Vélodrome. « Je me suis dit que ça tombait bien, sourit la maman. Je vais voir mon bébé, il pourra même sûrement venir directement à la maison après le match. » Pas d’inquiétude, Ilan Kebbal a normalement passé l’âge de casser des fenêtres.
Par Clément Gavard et Adrien Hémard, à Reims
Tous propos recueillis par CG et AH