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De l’art de sauver l’honneur
Abattus 6-1 à l'aller, les joueurs de Schalke 04 retrouvent ce soir leurs bourreaux madrilènes pour une rencontre sans passion et sans enjeu, si ce n'est celui de sauver l'honneur. Oui, mais à quoi bon ?
Si le grand Leonidas pouvait toujours gueuler, son petit speech d’avant-match saurait galvaniser les troupes allemandes, fébriles et prêtes à se faire écraser par une armée espagnole supérieure en richesse et en talent. Malheureusement pour les joueurs de la Ruhr, le chef spartiate est incarné par le défaitiste Horst Heldt, directeur sportif de son métier : « On veut bien sûr faire une sortie honorable… Mais je ne veux pas que quelqu’un se blesse et manque le prochain match contre Brunswick. » Pas de quoi soulever l’enthousiasme des foules, pour un match qui s’annonce déjà au rabais, d’autant plus que le Real, déjà qualifié, a la tête au Clásico et devrait s’économiser. « C’est vrai, il y aura des changements, car nous nous sommes beaucoup dépensés à Málaga » , a confirmé Carlo Ancelotti, le coach madrilène, avant d’ajouter : « Certains joueurs sont fatigués. Du coup, Isco, Jesé et Morata seront titulaires. »
« Tant que ce n’est pas fini, il faut jouer »
Privés de Boateng, Matip, Goretzka et Färhmann, les Allemands vont eux aussi largement faire tourner. Qu’on se rassure, cependant, l’idée principale reste de sauver l’honneur. « Nous essayerons de bien jouer pour montrer que nous méritions d’être parmi les 16 meilleures équipes d’Europe » , a expliqué Klaas Jan Huntelaar, le buteur néerlandais, qui ne sera pas non plus aligné. S’ils ne s’en donnent pas vraiment les moyens, l’attitude est louable dans l’idée, selon Pier Gauthier, coach mental de sportifs divers et variés : « Je pense que c’est important de continuer à jouer, que toute l’équipe soit concernée du début à la fin. On ne sait jamais ce qu’il peut se passer, et de toute manière, marquer des buts et faire de belles actions, c’est toujours bon pour tout le monde. » À quoi bon se battre, pourtant, quand tout est perdu ? « C’est un peu comme un joueur de tennis qui est mené 5-0, je ne sais pas si perdre deux fois 6-0 ou faire 6-0, 6-1 va être mieux ou pas, mais l’important, c’est de jouer du début à la fin, de faire le mieux possible. C’est dommage quand des joueurs menés ne jouent pas la fin du match, tant que ce n’est pas fini, il faut jouer. »
Difficile de s’élever contre l’éthique sportive, même si elle ne suffit pas toujours à maintenir la motivation du joueur de haut niveau, qui n’hésite donc pas à faire appel à d’autres valeurs, comme la fierté et l’abnégation. « Pour moi, c’était absolument hors de question de laisser filer un match » , confirme Guy Hellers, l’ancien sélectionneur du Luxembourg, longtemps habitué à prendre des raclées. « Je tiens beaucoup à mon pays, en étant luxembourgeois. De pouvoir représenter son pays au niveau international, que ce soit pour un joueur ou un entraîneur, c’est déjà un honneur en soi. » Notre spécialiste de la défaite sans renoncer reprend de volée : « Même en étant battus 5-0, on faisait toujours tout pour essayer de marquer… Ça me tapait toujours sur le système quand je voyais quelqu’un qui ne se donnait pas à fond. Si on marquait un but, c’était une grande satisfaction, au Luxembourg, certains disaient : « On a quand même marqué, c’est déjà ça ! » »
« Il faut montrer de la fierté et du respect »
Ancien entraîneur de Valenciennes, Daniel Sanchez ne dit pas autre chose : « Même quand c’est grillé, beaucoup de facteurs de motivation doivent subsister. Il faut montrer de la fierté, sauvegarder son image et l’image du club. Tout est basé sur une question de conscience professionnelle : il s’agit de respecter l’adversaire, le public et la compétition. » L’important, selon le technicien, c’est donc avant tout de continuer à mouiller le maillot : « Même si on essuie une lourde défaite, au moins, ça prouve qu’on s’est accrochés jusqu’au bout, qu’on a essayé et qu’on n’a pas baissé les bras. » Quitte parfois à avoir de bonnes surprises, comme ce jour d’août 1998, où Marseille a remonté quatre buts à Montpellier pour finalement s’imposer 5-4. Rolland Courbis se souvient bien de son discours de mi-temps : « Je leur ai dit : « Bon allez, maintenant, on va gagner le deuxième match de quarante-cinq minutes, cela nous servira pour la prochaine rencontre et on mettra cette défaite sur le compte d’un accident. » Je tenais à voir une réaction, car il y a une différence entre perdre 4-2 et perdre 8-0. Et puis, j’ai terminé en leur disant : « Sait-on jamais… » Mais très franchement, je pensais avoir une chance sur un million de revenir. »
Plus qu’un élan collectif, le baroud d’honneur peut aussi trouver ses racines dans des motivations purement individuelles. Quand on se retrouve avec quatre prunes dans le buffet, sauver l’honneur de ses couleurs peut être considéré par le joueur comme une victoire personnelle. C’est du moins ce que tente d’expliquer Jean-Jacques Rousseau dans La Nouvelle Héloïse : « Je distingue dans ce qu’on appelle honneur celui qui se tire de l’opinion publique, et celui qui dérive de l’estime de soi-même. » Autrement dit, quand tout est perdu, il est encore temps de sauver sa peau. « Pour mon dernier match avec Nancy, on était menés contre Lille, se souvient Reynald Lemaître. Ça se termine sur le score de 4-1 et je marque le but. Un peu inutile, certes, mais j’étais content d’avoir marqué, qui plus est pour mon dernier match. C’est une satisfaction personnelle. » Plus prestigieux, on se souvient volontiers du ciseau de Zlatan Ibrahimović contre la France à l’Euro 2012, ou de la superbe réalisation de Florent Malouda à la Coupe du monde 2010.
« Le but, c’est la finalité du football »
La force du but et son importance pour les footballeurs se ressentent très clairement dans les propos de Daniel Sanchez, l’ancien coach de Valenciennes : « Entre perdre 4-0 ou 4-1, ça ne change pas vraiment. Mais le but, c’est la finalité du football. » Naturellement, c’est donc l’attaquant qui porte sur ses épaules une grande partie de la pression. « Pour un attaquant, il faut chercher en permanence à marquer, analyse Pier Gauthier. Il doit toujours faire son boulot. Et puis marquer un but, c’est toujours bon pour la confiance et pour la suite de la saison. » C’est bon aussi pour le moral. Englué dans son égocentrisme, le joueur pense bien entendu à ce qui va se passer en dehors du terrain s’il en sort sous les huées : « Avec 5-0, il y a le regard des autres, le regard des gens… On sait que les images sont vues et revues. Devant la famille, les proches, les supporters, on est la risée » , s’attriste Lemaître. Raison de plus pour motiver le joueur à s’extirper du marasme collectif grâce à son inutile mais stimulante réalisation. Mais bon, de là à ce qu’on se souvienne du mec qui a sauvé l’honneur et qu’on souligne sa performance, il faut vraiment qu’il ait marqué un but d’anthologie : un solo de 35 mètres, une Madjer ou… une volée sublime dans la lucarne de Casillas, par exemple. Voilà au moins une chose que Schalke 04 ne devra pas faire ce soir. Merci Huntelaar.
Par Christophe Gleizes et Émilien Hofman