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De l’art d’avoir des couilles

Par Markus Kaufmann
De l’art d’avoir des couilles

Elles ne sont pas vraiment rondes, ne rebondissent pas comme des ballons, et ont depuis toujours la phobie des coups de pied. À première vue, les couilles ne sont donc pas faites pour jouer au foot. Et pourtant, on ne cesse de les associer au courage et à l'ambition de jeu des entraîneurs. À tort.

Des couilles, des couilles, et encore des couilles. Voilà ce que demandent depuis toujours les supporters de football, naturellement avides de rondeurs. Si le public francophone est trop poli pour exiger autre chose que le classique « mouillez le maillot ! » , les autres langues n’ont pas attendu Luis Fernandez pour faire des mots coglioni et huevos les plus grands habitués des gradins italiens, espagnols et sud-américains. Le principe est guerrier : ne jamais reculer face à un duel, tacler avec vigueur, mettre sa tête avec courage, jouer des épaules avec virilité. Du côté de la Bombonera et de Boca Juniors, il est même dit que tout sera pardonné à un joueur qui « laissera ses œufs sur le terrain » . Résultat : les joueurs courent comme des poules dont on aurait coupé la tête. Et le jeu s’évalue en nombre de kilomètres parcourus plutôt qu’en plaisir et prouesses footballistiques. Mais alors, ça veut dire quoi, avoir des couilles en football ?

Les boucles de David Luiz

Lorsque Laurent Blanc a choisi de titulariser David Luiz devant la défense lors du match aller contre Chelsea au Parc des Princes, alors qu’il ne l’avait jamais fait auparavant, une bonne partie du public parisien a salué le choix de l’entraîneur pour son courage, son audace et l’usage soi-disant approprié de ses couilles, portées disparues depuis le suicide tactique de Stamford Bridge l’an passé. Après un an et demi de travail sur l’un des jeux de possession les plus efficaces du continent, après avoir fait de la paire Verratti-Motta l’un des milieux les plus redoutés au monde, on aurait cru qu’il devenait tout à coup « courageux » d’improviser en plaçant un défenseur central en plein milieu du jeu. Comme si le physique, tôt ou tard, finissait toujours par l’emporter sur la technique dans ce monde qui préfère la Premier League à la Liga. Finalement, Laurent Blanc titularisait le Brésilien et obtenait un match nul peu satisfaisant, perdant l’occasion d’écraser des Blues trop prudents. Mais tant pis, les Parisiens s’étaient puérilement laissés séduire par la vigueur offerte par le jeu de David Luiz.

Mais qu’est-ce que ça veut dire, entraîner avec ses couilles ? Et si, justement, Laurent Blanc était un entraîneur qui écoutait bien trop son bassin ? Ancien joueur à l’élégance rare, défenseur raffiné et même buteur, Lolo s’est formé pour devenir un entraîneur tout aussi classe. Un coach qui demanderait à ses joueurs de ne jamais trahir le ballon, de ne jamais abandonner le jeu face à la pression, et de toujours opter pour la construction. Parce que les plus belles choses requièrent du temps, et que les raccourcis sont souvent trompeurs. Seulement, une fois le costume enfilé, Blanc n’a jamais su tenir le cap face à la première difficulté. Comme un mari aimant cédant trop rapidement face à des courbes tentantes, Lolo a oublié ses principes le temps de quelques soirées de trop : contre l’Espagne à l’Euro 2012, où il avait trahi le renouveau esthétique de l’équipe de France en spéculant sur la solidité du duo Debuchy-Réveillère (?), puis à Stamford Bridge en 2014, où il s’était trahi lui-même en optant pour les contres et les dégagements plutôt que pour l’initiative et la construction. Idem cette saison au moment de se battre pour la première place du groupe au Camp Nou : quand cela devenait trop chaud, Blanc pensait avec ses couilles et faisait jouer son équipe avec le bassin, à l’instinct, au flair, sur la défensive. Comme s’il n’y avait plus de coach, en fait. Une confusion qui a jusque-là coûté très cher à sa réputation. Rongé par le poids de sa paire, Blanc semblait même parfois condamné à la médiocrité.

Principes et tentation

Mais cette fois-ci, trois semaines après avoir cédé une dernière fois, Lolo s’est retenu au dernier moment. Finalement, ces principes, il les aimait trop pour les lâcher une nouvelle fois. Au diable le repli, le physique et l’envie étonnamment générale de revoir David Luiz au milieu. À Londres, Blanc a mis en place son onze préféré, celui du jeu au sol, de la possession et de la défense par anticipation et non par réaction. David Luiz derrière, bien haut sur le terrain, Javier Pastore devant, complètement libre, et Marco Verratti et Thiago Motta partout. Il est facile de faire entrer trois attaquants dans la dernière demi-heure, mettre le plus de poids possible dans la surface adverse, et espérer que le ballon rebondisse au bon endroit au bon moment. Il est facile de placer un défenseur destructeur au milieu pour espérer contrer les attaques adverses. Mais est-ce vraiment ça, être un entraîneur courageux ? Prendre un risque démesuré et renoncer à ses idées ? Non, faire preuve de courage, c’est se livrer totalement à ses idées. En Italie, Vincenzo Montella a les couilles de faire confiance à la technique tous les week-ends, et sa Fiorentina joue toujours de la même manière, malgré le budget limité et les blessés, et surtout malgré les défaites. En Espagne, Paco Jémez est certainement l’entraîneur le plus courageux de Madrid. Et il pousse le Rayo Vallecano comme s’il avait à sa disposition Xavi et Iniesta.

Écouter ses idées, c’est exactement ce qu’a fait Laurent Blanc à Londres mercredi soir. D’ailleurs, si jamais Lolo avait choisi d’improviser une autre composition plus « rassurante » ou « défensive » , l’expulsion de Zlatan Ibrahimović lui aurait certainement coûté très cher : au mieux, un changement de joueur difficile, au pire, un changement d’organisation impossible. En faisant confiance à ses hommes, Lolo a fait confiance à son jeu, à son travail et au projet parisien. Et même à dix, ses joueurs sont restés fidèles à la partition. À l’image de Marco Verratti, qui a continué à jouer et provoquer comme s’il était en supériorité numérique, le PSG est resté lui-même, en toute circonstance. Être courageux, c’est se construire une identité et s’y coller, et être jugé pour ce qu’on est, dans la victoire et dans la déroute. Si les supporters des Blues peuvent nourrir des regrets, ce n’est pas à cause de l’élimination, mais parce qu’ils n’ont pas pu voir de quoi était capable leur équipe dans leur configuration habituelle. Perdre est acceptable, se trahir est intolérable.

La vigueur des idées

Les entraîneurs sont des cuisiniers dont la première qualité doit être de savoir cuisiner avec des ingrédients qu’ils ne choisissent pas : les joueurs. Avec Luka Modrić à la place de Ramires, José Mourinho aurait-il refusé le jeu mercredi soir ? Avec Alou Diarra plutôt que Marco Verratti, Laurent Blanc aurait-il vraiment ordonné à ses hommes de construire le jeu systématiquement au sol, avec patience et vers l’avant ? Non, et non. Si le football est surtout pensé par les entraîneurs, il est seulement joué par les joueurs. D’où la mission d’entraîner : pour que les joueurs apprennent à jouer avec leur tête. Blanc n’a pas été audacieux en alignant David Luiz au milieu, il a été courageux en faisant le choix de convaincre ses joueurs que ses propres idées étaient les bonnes pour vaincre Chelsea.

Mais alors que les performances des entraîneurs devraient être analysées en fonction de la production de leurs idées, les coachs sont jugés sur leurs résultats. Marcelo Bielsa le rappelle tous les week-ends : en football, les acquis sont éphémères, et la vérité réside seulement dans le dernier match. Oui, le football a tendance à penser avec ses couilles : on gagne et on continue, on perd et on recommence tout. Comme Laurent Blanc l’a dit, il sera de nouveau jugé dimanche contre Bordeaux. Mais à la place de crier à leurs joueurs de jouer avec leur bassin, les supporters devraient prendre le temps de demander aux dirigeants de leur club de diriger avec leur tête, à long terme, pour mettre en place des projets de jeu fondés sur des (bonnes) idées. Virer un gamin d’un centre de formation parce qu’il est trop petit, c’est gratuit. Le conserver malgré les mauvais résultats jusqu’à qu’il atteigne une certaine maturité, ça, c’est avoir du courage. Et il en faut, des couilles, pour refuser de se plier devant la toute puissance du résultat. Parce que même si le PSG avait fini par s’incliner à Stamford Bridge, Laurent Blanc aurait été tout aussi fier du jeu de ses hommes.

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« D’ici deux ans, le gardien de l’équipe première aura un casque »
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Par Markus Kaufmann

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