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De la Corse à Saint-Étienne, l’indispensable Wahbi Khazri

Par Quentin Ballue et Clément Gavard
De la Corse à Saint-Étienne, l’indispensable Wahbi Khazri

L'AS Saint-Étienne part à la dérive, mais Wahbi Khazri s'efforce tant bien que mal de tenir la barre. Le numéro 10 est le Monsieur plus des Verts cette saison avec déjà sept réalisations. Seul le Lillois Jonathan David fait mieux en Ligue 1. L'international tunisien permet pour l'instant à la lanterne rouge de ne pas couler, de la même manière qu'il avait porté Bastia, Bordeaux et Rennes. Une dose de talent, une once de caractère et beaucoup de bonne humeur : avec Wahbi, voilà la recette du bonheur.

Sur le bord du terrain de Saint-Symphorien, le sourire de Claude Puel veut tout dire. Le technicien de 60 ans n’est pas du genre expressif, mais il est difficile de masquer ses émotions quand on vient d’assister à un chef d’œuvre. Les images ont rapidement fait le tour du monde (oui, oui, désolé les diffuseurs et la LFP) : à la 16e minute du match de cancres entre Metz et Saint-Étienne, Wahbi Khazri a eu l’audace d’égaliser d’une frappe monstrueuse de 68 mètres, trompant le pauvre Alexandre Oukidja et signant un record de distance en Ligue 1 depuis que le statisticien Opta analyse la compétition. « Il est capable de choses comme ça, pose Éric Bedouet, qui a connu le phénomène lors de ses deux années passées à Bordeaux entre 2014 et 2016. J’étais content de le voir marquer un but comme ça, c’est Wahbi, il peut faire la différence à tout moment, ce n’est pas donné à tout le monde. C’est ça, les joueurs d’exception, ils ont quelque chose de différent des autres. »

Il avait même fracturé le poignet d’un gardien en poussins, il avait fini avec un plâtre. Je me souviens de l’avoir vu marquer une ou deux fois des coups francs du milieu de terrain à cette époque.

Parce qu’il tire de loin

L’artiste n’en était pas à son coup d’essai. Il avait multiplié les tentatives sur les pelouses hexagonales ces dernières semaines, sans trop de succès, comme l’ont fait remarquer ses coéquipiers après la rencontre. Ceux qui connaissent Wahbi depuis le berceau n’ont pas non plus été étonnés de le voir tenter sa chance. « En poussins et benjamins, il marquait souvent du milieu de terrain grâce à sa technique et sa puissance de frappe », assure Foued, son grand frère. Des souvenirs confirmés par Anthony Bernardi, un ami de longue date de la famille Khazri : « Il avait même fracturé le poignet d’un gardien en poussins, il avait fini avec un plâtre. Il avait sorti une frappe assez étonnante… Je me souviens de l’avoir vu marquer une ou deux fois des coups francs du milieu de terrain à cette époque. C’est pour ça que je n’ai pas été surpris de le voir tirer de cette distance à Metz. »

Marquer un tel but serait-il banal dans l’univers de Wahbi Khazri ? Pas vraiment, le principal intéressé admettant logiquement avoir inscrit la plus belle réalisation de sa carrière le week-end dernier. « J’en parlais avec ma femme, on était encore choqués, déroulait-il 48 heures après son coup de canon au micro de RMC. J’aime bien tenter des gestes qui sortent de l’ordinaire. Celles qui vont à l’extérieur finissent à 40 mètres du but, ça m’arrive aussi. Mais j’aurais préféré qu’il apporte les trois points à l’équipe, je suis à la base un joueur qui pense plus au collectif. » Si Khazri serait un candidat sérieux au prix Puskás, la situation de son club de Saint-Étienne, lanterne rouge de Ligue 1 avec zéro victoire au compteur après douze journées, est inquiétante. Ce qui n’empêche pas l’attaquant de 30 ans de briller depuis le début de saison (7 buts, soit 60% des pions marqués par les Verts) et de porter sur ses épaules une équipe malade. Comme quasiment partout où il est passé, le Franco-Tunisien a su se rendre indispensable.

Loi de la rue, tours de terrain et dents cassées

Le petit Wahbi s’est construit en Corse, où son papa tunisien et sa maman marocaine se sont rencontrés, et plus précisément sur les terrains de foot du quartier de la résidence A Mandarina, à Ajaccio. C’est dans un foyer très branché foot, où le paternel ne jurait que par Diego Maradona, que l’international tunisien a rapidement manifesté son envie de tâter le ballon rond dans le sillage de ses deux frères aînés. « Notre père jouait en amateur, ça nous a mis le pied à l’étrier, raconte Foued, passé par le Gazélec Ajaccio, Calvi ou Toulouse Rodéo et aujourd’hui joueur à la JS Beaulieu. On jouait même au foot à la maison entre frères, on se faisait un petit terrain dans la salon, on en a cassé des choses… Mais il fallait tout ranger avant que maman ne rentre des courses. On s’est même fait mal parfois, on pouvait saigner de la bouche. »

Je l’ai souvent engueulé, ça lui est même arrivé de rentrer en pleurant. Notre mère n’était pas contente, elle ne voulait plus qu’on joue au foot ensemble.

Voilà peut-être ce qui caractérise les premières années de foot de Wahbi Khazri : un apprentissage à la dure à une époque où passer ses journées à jouer au foot en bas de chez soi était tout à fait normal. « La rue, ça forge un caractère, enchaîne Foued. Il ne faut pas se laisser faire pour s’imposer et ne pas se faire marcher dessus. » Il avoue même avoir passé quelques savons à son petit frère, de quatre ans son cadet : « Il se contentait de marquer des buts. Quand il perdait, il ne le prenait pas spécialement mal. Mais dans les quartiers, celui qui gagnait restait sur le terrain. Je l’ai souvent engueulé, ça lui est même arrivé de rentrer en pleurant. Notre mère n’était pas contente, elle ne voulait plus qu’on joue au foot ensemble. Mais au fur et à mesure, il a acquis cette mentalité de compétiteur, je pense que ça vient aussi de ces moments au quartier. »

Un héritage de la rue, mais également de ses dix années passées à la JS Ajaccienne, le petit club du coin où il a trouvé un cadre et surtout un éducateur, Francis Thierry, « le coach qu’il faut avoir en Corse jusqu’à 10-12 ans pour apprendre à jouer au ballon », selon les mots de Foued. C’est donc au stade du Binda que la fratrie Khazri, dont Wahbi, a fait ses gammes. « C’est un tout petit terrain en terre entre les immeubles, il n’y a rien de mieux pour apprendre, présente Foued. On est obligés d’être technique pour gérer les faux rebonds et les trous. » Les séances n’étaient pas non plus toutes faciles sous les ordres de Francis Thierry, comme le raconte Anthony Bernardi : « On pouvait faire 50 tours de stade quand on n’écoutait pas ce qu’il nous disait ou qu’on ne respectait pas les consignes, ça nous paraissait difficile. »

Un jour à l’entraînement, il s’est cassé trois dents après un choc avec un coéquipier. Je me rappelle qu’on cherchait ses dents sur le terrain.

Le savant mélange entre les règles de la rue et celles établies dans son club a sans doute contribué à faire de l’attaquant stéphanois ce qu’il est devenu aujourd’hui. « On a fait des soirées de foot, des spécifiques pour lui, on l’a fait travailler. Quand le Sporting ne devait pas le garder, je suis remonté là-bas pour discuter avec le formateur et c’est venu tout doucement. Sa réussite, il la doit à 100% au club de la JSA », grogne aujourd’hui Francis Thierry, vexé de ne plus avoir de nouvelles de son ancien protégé qui n’a « jamais été reconnaissant ». Plus un manque de temps que de reconnaissance, selon son grand frère, qui estime que Khazri a par ailleurs gardé la « mentalité corse ». Comprendre, le bonhomme a son petit caractère, peut se montrer sanguin, et n’évite pas les contacts. « Un jour à l’entraînement, il s’est cassé trois dents après un choc avec un coéquipier, rejoue Frédéric Hantz. Je me rappelle qu’on cherchait ses dents sur le terrain. » Joueur de l’US Colomiers à l’époque, son frère Foued reçoit alors un appel de Yannick Cahuzac : « Il me dit : « Ne t’inquiète pas, mais ton frère est à l’hôpital après un contact avec (Drissa) Diakité à l’entraînement, il a perdu quelques dents de devant. » On m’a dit qu’il saignait énormément après avoir pris le coup et qu’il cherchait Diakité pour se venger. Tout le monde le retenait, il avait la haine. Ce n’est pas quelqu’un qui va avoir peur d’un joueur. » Il fallait bien ça pour s’imposer à Bastia (151 matchs, 32 buts, 24 passes décisives) et se faire un nom dans l’élite.

L’épine dans le pied des géants

« Il y a des joueurs, on sait qu’ils vont être là dans les grands matchs. Lui en fait partie. » Éric Bedouet ne s’y trompe pas. Dès sa première saison dans l’élite, le Bastiais marque à Gerland et au Parc des Princes. Le 16 mars 2013, il met carrément l’OL à terre avec un but et deux passes décisives, pour Florian Thauvin et Anthony Modeste. Les deux Olympiques font d’ailleurs partie de ses victimes préférées avec cinq buts contre chacun d’eux. Dont un penalty dans le derby le mois dernier, qui a permis aux Verts d’arracher un point. Claude Puel l’avait pourtant mis au placard au coup d’envoi de la saison 2020-2021, avec Ryad Boudebouz, Loïs Diony ou Stéphane Ruffier. « On ne peut pas dire qu’il a bien vécu cette période, confirme Foued. Mais il a continué à s’entraîner, à bosser. Ce n’est pas Neymar, ce n’est pas Messi, mais il savait qu’il pouvait tirer son épingle du jeu dans cet effectif. » Si son coach tient encore sur le banc de l’ASSE aujourd’hui, c’est en grande partie grâce à lui. Car, comme toujours, Khazri a fini par s’imposer, au point de n’être absolument plus discuté. Filez-lui les clés du camion, il appuie sur le champignon.

Incontournable au Sporting, l’international tunisien le devient aussi aux Girondins. Dès sa première à Chaban-Delmas, il sème la zizanie dans la défense de l’AS Monaco et provoque deux penaltys, l’un transformé par Emiliano Sala, l’autre par lui-même. Malgré la parenthèse de la CAN, il achève sa première saison bordelaise avec neuf buts et cinq caviars en Ligue 1. Le numéro 24, choisi en référence à son idole Kobe Bryant, est lancé. Et ne s’arrête plus. La saison qui suit, il part sur des bases encore plus élevées et cartonne jusqu’en janvier (cinq buts et sept passes décisives en 20 matchs de championnat). La parenthèse Sunderland n’est pas vraiment du même acabit, même s’il se montre décisif contre Liverpool, Manchester United et Chelsea. Foued, toujours : « Il a énormément appris avec son passage à Sunderland. Il a apprécié sa première année, moins la seconde, ça s’est dégradé avec l’arrivée de David Moyes. Mais la Premier League, c’est autre chose, il a aimé jouer là-bas. » Après un an et demi bien gris, il retraverse la Manche et pose ses bagages à Rennes. Pour confirmer qu’il n’a pas changé, il marque après une minute de jeu contre l’OM d’une sublime madjer pour sa première en rouge et noir, entamant une saison de patron, où il plante neuf fois en championnat, porte le brassard à quelques reprises sous les ordres de Sabri Lamouchi, et devient l’un des grands artisans de la première qualification européenne du club breton depuis six ans.

« Peut-être que s’il suivait un régime, il ne serait pas autant performant »

« C’est un leader technique. Ce type-là peut faire la différence à tout moment en décochant un tir ou en faisant un geste technique de très, très haut niveau, souligne Bedouet. C’est un joueur très intelligent, subtil, avec une belle technique. Quand ça marche bien avec l’entraîneur, il donne tout, il y va à fond et il est fantastique. Si on ne l’aime pas, ça ne marche pas bien. Wahbi a besoin de ça. Il a besoin qu’on l’aime, qu’on compte sur lui. Quand il a tout ça, il est insaisissable. » Et ce malgré un bon coup de fourchette, qui lui vaut parfois quelques moqueries. « Il est arrivé des fois où il avait 2-3 kilos en trop, il ne faut pas se mentir. Mais il a compris et je sais qu’il fait très attention à ce niveau-là aujourd’hui. Il ne fera pas de régimes draconiens, il ne se prive pas. Il aime la vie, mais il sait qu’il ne peut pas se permettre de manger n’importe comment », explique Foued.

C’est chiant quand on aime la bonne nourriture mais il faut faire gaffe. Il le sait et à partir du moment où on se connaît, il n’y a pas de souci.

Pas de quoi poser de problème à l’ancien préparateur physique des Girondins : « Il y a des gens qui grossissent rapidement, qui prennent 500 grammes rien qu’en voyant un morceau de chocolat, et d’autres qui mangent n’importe quoi mais qui ne grossissent pas. Wahbi n’est pas comme ça. C’est chiant quand on aime la bonne nourriture mais il faut faire gaffe. Il le sait et à partir du moment où on se connaît, il n’y a pas de souci. » Et Frédéric Hantz de débarrasser l’assiette : « On ne peut pas tout modifier. Je pense qu’il y a des périodes où il est moins vigilant, encore aujourd’hui. Il a effectivement parfois un peu de surpoids apparent, mais ça ne l’empêche pas de faire des saisons pleines et d’être très performant. Peut-être que s’il suivait un régime, il ne le serait pas autant. Après, ce n’est pas Bibendum non plus ! »

En plus de ses performances, Khazri a prouvé, au fil des années et des vestiaires traversés, sa capacité à fédérer et à emmener vers le haut ses coéquipiers. « Il n’arrête pas, c’est un boute-en-train constant ! Tout le temps en train de rigoler et de faire des blagues, se rappelle Bedouet, sous le charme du personnage. C’est génial d’avoir un joueur comme ça. Ça déride un peu parce qu’on est dans un milieu stressant, ça ne fait pas de mal de voir des gens qui ont cette approche-là. Il y en a eu à Bordeaux des joueurs comme ça. Qu’est-ce qu’on a pu prendre du plaisir… Mais vraiment, c’était un bonheur de les côtoyer. Tous ces gens-là fédèrent autour d’eux. » Il s’agirait maintenant de mieux l’épauler pour remorquer un navire qui, malgré les efforts de son artificier, menace de couler. Son prochain défi ? « Marquer de plus loin, ça va être compliqué, blague son frère. Je pense que son défi aujourd’hui, c’est de sauver le club. Je l’ai encore eu hier au téléphone et il me parlait de cette envie de gagner pour entrer dans une bonne dynamique. Il est très club. » Il sera également en fin de contrat l’été prochain, avec l’espoir d’avoir réussi à maintenir les Verts, et peut-être l’objectif de commencer une nouvelle aventure, dans un club où il fera ce qu’il a (presque) toujours fait : s’imposer comme titulaire et marquer des buts d’anthologie.

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Par Quentin Ballue et Clément Gavard

Tous propos recueillis par QB et CG, sauf mention et ceux de Frédéric Hantz par LT

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