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De la Bundesliga au Bundestag : Oliver Ruhnert à vif

Par Julien Duez, à Berlin
9 minutes

Tour à tour chef scout et directeur général de l’Union Berlin, Oliver Ruhnert fait partie des artisans qui ont fait passer le club de Köpenick de la D2 à la Ligue des champions en quatre saisons. Ce dimanche, le jeune quinqua tentera de remporter un succès tout aussi imprévisible : un siège de député au Bundestag sous l’étiquette de l’Alliance Sahra Wagenknecht, un nouveau parti venu secouer le landerneau politique allemand.

De la Bundesliga au Bundestag : Oliver Ruhnert à vif

C’était le 19 novembre dernier. Un communiqué de quelques lignes publié par l’Union Berlin informait que le club et son chef scout « se sont mis d’accord pour suspendre leur collaboration à partir de janvier 2025 », après qu’Olivier Ruhnert avait informé sa direction « qu’il se présentera comme tête de liste de son parti à Berlin lors des prochaines élections fédérales ». Un mois plus tard, le chancelier Olaf Scholz perd le vote de confiance du Parlement et sa coalition dite du « feu tricolore » (sociale-démocrate libérale écologiste) vole en éclats. Encore dix jours plus tard, le président de la République Frank-Walter Steinmeier officialise ce que tout le monde attendait : la dissolution du Bundestag et la tenue d’élections anticipées le 23 février 2025, en lieu et place du scrutin initialement prévu au mois de septembre.

Pour Oliver Ruhnert, tout s’accélère. Celui qui aurait pu terminer la saison tranquillement à scouter des pépites aux quatre coins de l’Allemagne se retrouve propulsé « face au défi de mener une campagne réussie » dans la peau d’un candidat au Parlement fédéral sous l’étiquette d’un « petit parti créé il y a seulement un an » par Sahra Wagenknecht, une dissidente de la formation de gauche radicale Die Linke qui, contrairement à l’Union Berlin cette même année, n’a cessé d’engranger les succès. Après être entrée au Parlement européen en récoltant six sièges, l’Alliance Sahra Wagenknecht – Pour la raison et la justice (BSW) se transforme en faiseuse de rois lors des élections régionales des Länder du Brandebourg et de Thuringe, où elle rejoint les coalitions au pouvoir, ainsi qu’en Saxe où, même si elle siège dans l’opposition, elle termine en troisième position. Actuellement créditée de 5% des suffrages (le seuil minimum pour entrer au Bundestag), nul doute que la surprise serait énorme si la BSW venait à siéger lors de la prochaine mandature. D’autant qu’elle serait assurée de compter parmi ses élus un homme qui illustre à lui seul que le foot et la politique sont deux thématiques inséparables.

Double casquette et double jeu

En dépit des apparences, Oliver Ruhnert (53 ans) n’est pas un perdreau de l’année dans l’arène politique. Après avoir brièvement été sympathisant du SPD, le parti social-démocrate allemand qu’il a quitté en désaccord avec l’Agenda 2010 de l’ancien chancelier Gerhard Schröder (lequel prévoyait notamment des coupes dans le budget de la sécurité sociale et des retraites), il s’engage au sein de la Linke, ce qui détonne dans sa région d’origine – le très conservateur Sauerland, au sud de Dortmund. En 2007, il est élu au conseil communal de la ville d’Iserlohn, un poste qu’il n’a pas quitté depuis et auquel il continuait de consacrer deux jours par semaine malgré ses fonctions sportives. Comme il le dit lui-même : « Le football est ma passion et ma vocation depuis le premier jour. Avoir pu en faire mon métier est une grande chance. » C’est ainsi qu’après avoir passé ses diplômes d’entraîneur et donné régulièrement un coup de main comme arbitre de matchs de district, il finit par prendre la direction de l’académie de Schalke 04, où il a joué en jeune et dont il a brièvement coaché l’équipe réserve.

La BSW s’attaque aux partis en place avec des moyens limités et je me réjouirais si elle parvenait à suivre une trajectoire similaire à celle de l’Union Berlin.

Oliver Ruhnert

Six ans plus tard, en août 2017, il passe à l’Est et rejoint l’Union Berlin, alors en D2, en qualité de chef scout. La saison suivante, il est promu directeur général du club et c’est sous sa houlette que l’écurie de Köpenick accède à la Bundesliga en 2019, avant d’enchaîner trois campagnes européennes d’affilée, la dernière en date étant celle de Ligue des champions lors de l’exercice 2023-2024. De cet incroyable bilan qui a transformé un club de quartier en club international, on retiendra un paquet de transferts bien sentis, à l’exemple de Frederik Rönnow, András Schäfer et Rami Khedira (frère de), toujours titulaires en équipe première, ou celui de Robert Andrich, devenu international allemand après son passage chez les Eisernen.

Autant dire qu’avec son talent pour générer des résultats avec peu de moyens, l’homme bénéficie d’un capital sympathie qui n’est plus à démontrer. Sa camarade Sahra Wagenknecht le sait et parvient à le convaincre de la suivre dans l’aventure de son parti dissident encore en plein développement, évoquant un « Topmann », capable de « monter en Bundesliga, s’y imposer et affronter de grands adversaires réputés surpuissants ». L’intéressé voit quant à lui un parallèle entre ses deux employeurs : « L’Union se différencie des autres, car c’est le seul “vrai” club du territoire de l’ancienne RDA qui joue en Bundesliga, si l’on exclut le succès fabriqué de toutes pièces du RB Leipzig. De son côté, la BSW s’attaque aux partis en place avec des moyens limités, et je me réjouirais si elle parvenait à suivre une trajectoire similaire. »

Malgré son attachement viscéral au Sauerland, Ruhnert sera candidat à Berlin « pour assurer une présence du parti sur l’ensemble du territoire », mais dans l’arrondissement de Hellersdorf-Marzahn et pas celui, voisin, de Treptow-Köpenick, « afin de ne pas provoquer de confusion vis-à-vis de l’Union », se justifie-t-il. Son président Dirk Zingler se félicitait à demi-mot de ce choix dans un entretien accordé au quotidien Berliner Zeitung : « Aujourd’hui, il sait comment [fonctionnent les gens de] Berlin Est, voilà pourquoi je pense que c’est une bonne chose que ce soit à Berlin qu’il se présente au Bundestag. » De quoi susciter la polémique, surtout lorsque, fin novembre dernier, celui qui est officiellement redevenu chef scout du club pose devant l’Alte Försterei avec une autre candidate de la BSW, la députée Sevim Dağdelen, avant le match face au Bayer Leverkusen.

S’il estime que « la politique partisane ne devrait jouer aucun rôle dans le foot », « que l’Union Berlin se place au-dessus des partis » et affirme s’être « très peu exprimé sur des sujets politiques quand [il] en étai[t] le directeur général », certains supporters lui reprochent « d’instrumentaliser le club à des fins politiques ». Parmi ces francs-tireurs, l’historien Ilko-Sascha Kowalczuk, suiveur de l’Union depuis 50 ans et spécialiste de la RDA : « En tant qu’Unioner, [Ruhnert] se rend à l’Alte Försterei avec une personne de confiance de Wagenknecht, le diffuse, et le président du club trouve tout cela super. C’est une déclaration politique flagrante, et cela m’est insupportable, car cela revient à dire que l’Union fait de la publicité pour le parti de Wagenknecht », tempête dans les colonnes du Tagesspiegel celui qui parle « délibérément du parti de Sahra Wagenknecht, car ce n’est pas un parti démocratique, c’est un parti russe qui veut arracher la République fédérale d’Allemagne à ses liens avec l’Ouest pour la placer aux côtés du Kremlin ».

Prêt avec option d’achat

Cette supposée proximité avec Moscou constitue en effet le principal reproche adressé par ses détracteurs à la BSW, laquelle milite « pour la paix » en s’opposant à la poursuite de livraisons d’armes à l’Ukraine, dans le but d’éviter une escalade avec la Russie. En parallèle, la formation, qui prône une rupture profonde vis-à-vis des partis traditionnels établis, affiche pêle-mêle une position résolument anti-atlantiste, se prononce pour la solution à deux États dans le cadre de la guerre israélo-palestinienne, exige un renforcement de l’État-providence afin de freiner la désindustrialisation de l’Allemagne, une baisse du prix de l’énergie (ce qui impliquerait notamment de reprendre les importations de gaz russe) et entend lutter contre l’immigration massive, mais sans toucher au droit d’asile, ce qui le distinguerait de l’AfD, son pendant à l’extrême droite. Car, selon les termes de sa fondatrice, l’Alliance Sahra Wagenknecht est un parti conservateur, mais de gauche.

Dans les médias allemands, c’est plus souvent le terme « populiste » qui revient pour le qualifier. De quoi faire soupirer Oliver Ruhnert, pas spécialement fan des étiquettes préconçues, préférant se revendiquer « partisan d’une politique de la raison et du pragmatisme », contrairement à son ancien parti, Die Linke, avec lequel ce serait « toujours la même chanson ». « Si l’on considère que la justice sociale, le salaire minimum et des retraites dignes sont des thématiques de gauche, alors oui, nous sommes de gauche. Conservateurs, nous le sommes au niveau du droit et de la loi, car nous estimons que les règles doivent s’appliquer pour tous », analyse celui qui a déclaré percevoir Vladimir Poutine comme « un criminel » et refusé catégoriquement de collaborer avec la branche la plus radicale de l’AfD, mais sans pour autant se prononcer en faveur d’un cordon sanitaire autour du parti d’extrême droite (crédité de 22% des intentions de vote), lequel ne servirait au contraire qu’à le renforcer.

À travers ce gloubi-boulga idéologique, détaillé dans les 45 pages que comporte le programme de la BSW, on est donc bien loin du quotidien de manager d’un club de foot populaire. Pourtant, comme avec l’Union Berlin, c’est à l’Est qu’Oliver Ruhnert pourrait connaître un nouveau succès ce 23 février. Son parti est en effet principalement ancré dans les régions de l’ex-RDA et, selon le politicien, cela tiendrait au fait que « les gens de l’Est sont plus ouverts, y compris dans leurs choix électoraux. À l’Ouest, on observe davantage un mécanisme de répétition, à travers lequel on va cocher le même bulletin de vote avec sa petite croix, scrutin après scrutin ». Une preuve, d’après lui, que « la thématique Est/Ouest n’a pas totalement disparu même 35 ans après la chute du mur ». Pourra-t-il en profiter ? La partie n’est pas encore gagnée. Si Ruhnert n’est pas élu directement dans sa circonscription, il aura une deuxième chance d’entrer au Bundestag à condition que la BSW franchisse la barre des 5% à l’échelle nationale. Et s’il échoue malgré tout ? « Il est certain que je pourrais de nouveau me faire engager dans le monde du foot, conclut celui dont le contrat de scout ne sera officiellement cassé que s’il obtient son siège. Après tout, chacun sait à quel point j’aime mon rôle au sein de l’Union. »

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Par Julien Duez, à Berlin

Propos recueillis par JD, sauf mentions.

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