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De Clairefontaine à l’Aube
Benjamin Nivet et Hatem Ben Arfa devraient se croiser pour la huitième fois ce samedi soir en L1. Deux oppositions de 10, de style, d'époque, de génération. Tout est pourtant parti du même endroit, à 10 ans d'intervalle : l'INF Clairefontaine.
Dix années séparent Hatem Ben Arfa de Benjamin Nivet. Dix années pour deux numéros 10 de formation, partis sur le même plot de départ, le centre technique national Fernand Sastre de Clairefontaine et l’INF, à dix ans d’intervalle. Ils seront vraisemblablement ce samedi face à face, à leur poste de prédilection, au stade de l’Aube. Quand Hatem Ben Arfa a représenté l’espoir, le frisson le plus médiatisé, attendu de la pouponnière fédérale française, Benjamin Nivet en est tout simplement le plus ancien « ressortissant » encore en activité. Toujours en première division professionnelle alors qu’on l’avait, à regrets, imaginé servir ses derniers plats en Ligue 2, le meneur de jeu troyen est tout simplement aujourd’hui le dernier des Mohicans en Ligue 1 de la promotion 1 de l’INF Clairefontaine.
Levis 501 et François Baroin
C’était en août 1989, loin des caméras, dans ce coin buccolique des Yvelines. Benjamin Nivet va tenter d’activer le virus inoculé quelques années durant entre Orléans et Chartres par son père : le foot. « Je le suivais tout le temps, raconte le Troyen devant son Perrier tranche. Il était gardien de but. Il aurait pu faire une carrière en volley au PUC aussi, mais son père ne l’a pas laissé partir. Pour que moi, je vive ma passion à fond, il m’a très vite demandé de faire un choix entre le tennis, que j’aimais bien, et le foot. J’ai choisi le foot pour le côté collectif, convivial. » Et, là, le paternel joue le jeu, quitte à défier le grand-père sur ses propres terres. Benjamin sourit : « Une fois, on avait tondu le pré des moutons de mon grand-père avec mon père, pour que je puisse jouer au foot. Il était pas content, le grand-père… » Ce milieu disons rural se rappelle d’ailleurs à lui dès son entrée dans le fleuron de la pré-formation française : « Je me suis trouvé vachement en retard au niveau de la mode. Moi, j’étais avec mes pantalons en velours ou des « pattes larges ». À Clairefontaine, j’ai découvert les Levis 501, la grosse mode à l’époque. »
Au milieu de la promotion comptant aussi le futur Parisien Pierre Ducrocq, le futur Auxerrois Johan Radet ou le futur Rouennais Grégory Tafforeau, Benjamin Nivet passe les années, fait son apprentissage, même s’il est parfois laborieux : « En plein hiver, ça pouvait nous arriver de prendre des douches et d’aller se mettre tout nus sur le balcon de notre chambre, pour essayer de choper un coup de froid et rater les cours. Ça n’a jamais marché. » Sur le terrain, les feintes de Benjamin séduisent plus. Auxerre enrôle le jeune milieu au sein de son centre de formation et façonne un joueur qui a eu le seul défaut d’être né après Corentin Martins pour réellement exploser dans son club formateur. Construisant ensuite son parcours entre la Ligue 2 et les clubs de deuxième partie de Ligue 1, Benjamin Nivet s’épanouit, est surpris même : « C’est ça qui est bien dans le foot. Ça te permet de rencontrer des types que j’aurais jamais pu rencontrer autrement, comme Raphaël Mezrahi ou Tex. J’ai même vu Denis Brogniart une fois ! J’ai surtout vachement apprécié les discussions avec François Baroin. Il s’y connaissait bien en foot, un mec super intéressant, agréable, sympa. Pas du tout l’image qu’on se fait d’un politique. » De sa carrière, il regrette juste de ne pas avoir été assez ambitieux, pour exprimer son toucher de balle, ses intuitions, dans un club de premier choix : « J’ai sans doute manqué de confiance en moi. Je me suis fixé trop de limites. »
Vendanges tardives
De confiance en soi, Hatem Ben Arfa n’en a en revanche jamais manquée. Il est doué, très doué. Il le sait, et d’autres aussi. « C’est peut-être bien le joueur connaissant le plus de techniques et de tactiques du jeu que j’ai eu à coacher dans ma carrière, avoue un de ses anciens entraîneurs à Lyon. Mais parfois, il n’arrivait pas à faire la bonne combinaison entre tactique et technique. Alors qu’il connaissait tout… » Si Nivet s’est fixé trop de limites, Ben Arfa a en peut-être bien manqué. Cela lui a permis de tutoyer le très haut niveau international, que n’a jamais connu Nivet, tout en nous laissant, au bas mot, sur notre faim. En janvier 2015, son recrutement hivernal raté à Nice tourne à la farce juridique. Ben Arfa, mal à l’aise, maladroit, s’embourbe dans une diatribe anti-système, alors que André Soulier, président de la commission juridique de la LFP, essaie de se faire un nom : « Il a 27 ans, c’est un jeune homme ? Comment ça, c’est un jeune homme. Attendez, moi je viens de la génération de la Guerre d’Algérie, où les jeunes de 18-19 ans, on les envoyait au feu. Alors, ça suffit ! » En froid avec sa famille, Hatem voit son frère Lofti lancer à Canal Plus et Enquête de foot un incroyable appel face caméra : « Donne de tes nouvelles, on t’aime. » Et le spectre d’une fin de carrière précoce qui menace. Ou le sentiment d’une carrière vendangée.
Les vignes, c’est ce qui attend bientôt justement Benjamin Nivet : « Ce qui est sûr, c’est qu’à la fin de ma carrière, j’irai faire les vendanges. Le vin, ça me passionne depuis Auxerre. » Alors loin de sa famille, il apprend les subtilités du produit chez la famille de son pote « inséparable » du lycée : « Sa famille m’a en quelque sorte pris par la main. Le dimanche soir, on avait l’habitude de se faire un bon repas. C’était dans le chablisien. Je découvrais ce qu’était le vin. Mais à petites doses, hein. J’adore le Bourgogne aujourd’hui, mon vin préféré. » Il a un temps envisagé d’acheter une parcelle dans le Valqueyras, « mais ça ne valait pas le coup finalement » . Il a même tenté, sur les conseils d’un adjoint d’Alain Perrin, de s’initier à la spéculation sur les grands crus. Sans grande conviction non plus : « Ça marchait bien, mais c’était pas trop mon truc en fait. Parce que je les aurais gardées pour les boire, ces grandes bouteilles. Et ce n’est pas trop le principe de la spéculation » , justifie-t-il en souriant.
Par Ronan Boscher