- Dossier
- Les gardiens remplaçants
De but en banc…
Déconneur, ambitieux, altruiste, frustré, bosseur, boniface, téméraire, guilleret, tenace, planqué, barge, masochiste... Gardien remplaçant, un métier, plus qu'une vocation. Et un destin, pour certains. Vis ma vie de doublure...
26 octobre 2010. Fin du match OL-PSG en Coupe de la Ligue. Grégory Coupet est heureux, mais dans la douleur, lorsqu’il se confie à son adversaire du soir et ex-remplaçant, Rémy Vercoutre : « Je finis seulement par comprendre pourquoi c’est dur de faire une carrière comme la tienne : je n’ai fait qu’un match et je n’ai pas de repères, je suis complètement perdu… » Hommage. Justifié ? « T’es dirigeant, Vercoutre, tu le prends tout de suite, un mec fiable, apprécié dans le vestiaire et qui te permet de clore des dossiers sans que ça te casse les burnes… » , confirme Jérémie Janot. « J’ai appris à bonifier mon rôle, explique Vercoutre, et à faire autrement mon métier : savoir mettre le nez dans la boue pour le numéro un ou se faire défoncer par les attaquants, c’est gagner du crédit auprès du groupe. » Une vie de “numéro deux” née d’une question d’argent. Partir en 2002 pour aider financièrement son club, Montpellier, soit, mais comme doublure au haut niveau ou titulaire dans un club moindre ? « Les clubs répondent à ta place, un non-choix peut s’avérer être un bon choix. » Direction Lyon, derrière Coupet, et un beau contrat : « On m’a pris pour le pousser au cul et le deal, c’était que, lorsqu’il parte, je prenne la suite. » De ses dires « jeune fougueux » , il est finalement prêté à Strasbourg. Un bilan en carton, un pied cassé et la doublure de la doublure, Stéphane Cassard, qui saisit sa chance. Retour à Lyon à la demande expresse de Gérard Houllier : « J’ai connu des galères et il faut parfois savoir se contenter de ce qu’on a. J’aime mon club, d’autres diront que j’aime l’argent mais c’est réducteur : ma petite famille adore notre cadre de vie et ma femme travaille ici et a un bon poste. Régulièrement, des clubs qui se battent pour ne pas descendre me sollicitent, mais l’OL m’a toujours fermé la porte pour partir. Est-ce qu’un projet sportif bancal compenserait tout ce que j’ai à Lyon ? Je ne pense pas. » Après huit saisons au club, Rémy connaît désormais du monde « dans tous les services » , aime « traîner dans les bureaux » après l’entraînement et s’inquiète que « tous les salariés s’identifient au groupe de joueurs et tirent dans le même sens. » Il aura réussi à devenir, comme Anderson, Juninho, Coupet ou Delmotte avant lui, un cadre du club qui organise des pots, des repas ou des sorties karting et participe même à Fort Boyard : « Ils m’ont surtout appris les ficelles pour négocier les primes, faire en sorte que le coach soit avec nous et pas à coté, améliorer les échanges avec le Président, lui demander de nous envoyer au vert si c’est nécessaire… Pour moi, la ligne du Président n’est jamais occupée. Je ne suis pas non plus le centre névralgique du vestiaire : je mets juste de l’ordre quand il faut, parce que j’ai trente ans et aussi une certaine tranquillité. »
« Dès qu’il y a des conneries à faire dans un club… »
Gardien remplaçant serait-il un emploi fictif de directeur des ressources humaines adjoint, en crampons et gants ? « Ce rôle est avant tout dévolu aux anciens, peu importe le poste, mais c’est sans doute quelque chose qu’il faudrait approfondir » , confie l’ancien portier et actuel entraîneur des gardiens de l’OGC Nice, Bruno Valencony. Les gardiens rendent sportivement des comptes avant tout à leur responsable hiérarchique, leur entraîneur spécifique – « Lui c’est notre coach, et après il y a le coach » , dixit l’ancien Rennais Nicolas Douchez – et élargissent si besoin leurs missions en fonction de leur personnalité : « L’animation, ça permet au numéro deux de s’investir par rapport au groupe et d’exister, explique Eric Durand, tout le monde n’arrive pas à faire ça. » Participer et balancer des vannes, aussi. Pour être accepté. « Si tu as la personnalité pour ça, tu vannes, en général sur les sapes, les accents étrangers, des trucs à la con, quoi… Mais il y a de moins en moins de conneries faites qu’avant parce que c’est trop médiatisé désormais » , explique Philippe Flucklinger, passé par Metz et Montpellier, qui s’y connaît rayon déconne : après avoir géré la caisse de joueurs, il est aujourd’hui gérant du resto-cabaret Le New Soleia à Lattes. « Niveau ambiance, c’est sûr qu’on est un peu des spécialistes, nous, les gardiens, confirme l’auxerrois Olivier Sorin. Numéro un ou deux, dès qu’il y a des conneries à faire dans un club, tu peux être sûr qu’on n’est pas loin. » Une humeur que les titulaires n’ont pas toujours : « Lloris, c’est pas Jérôme Alonzo dans le vestiaire, hein, sa place, c’est surtout par le respect qu’il impose » , tranche Janot. Et Lionel Letizi d’enfoncer : « Ce n’est pas parce que tu es remplaçant que tu es le GO du club. »
Deux numéros un ou une hiérarchie claire ?
Au départ, le problème du gardien remplaçant est le même que celui du gardien de but: être compris malgré un poste à part, « Gardiens, on est jugé par des gens qui ne savent pas ce que c’est, explique Jean-Luc Ettori, parce que ce qui compte, c’est être décisif et c’est le mental, pas la technique. Si j’ai un manchot qui prend pas de buts, je le fais jouer. » Janot abonde : « Les statistiques, c’est pipeau au poste de gardien. D’abord, tu rassures ta défense, ensuite tu arrêtes les ballons et enfin tu es décisif. L’année dernière, on était dix-septième en championnat, et les médias me mettaient troisième en individuel, alors…. » Dès lors, quid du gardien remplaçant ? Le rôle a véritablement changé lorsqu’il y a une quinzaine d’années, la feuille de match est passée de quatorze à seize joueurs, marquant du même coup son entrée dans le groupe. Et dans le système de primes. Pour le reste… « Il y a plusieurs profils, expose Letizi: le jeune gardien qui débute ; le gardien qui est à peu près de même valeur mais victime de la hiérarchie ; et puis après il y avait moi : un gardien en fin de carrière, qui pouvait dépanner en cas de soucis. »
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Le premier profil est assez simple à envisager, c’est le jeune loup prometteur qui fait ses gammes dans le dos du titulaire, en attendant de lui griller la politesse, comme Pontdemé derrière Sorin à Auxerre ou Cros derrière Richert à Sochaux.
Le profil du vétéran en fin de carrière est déjà un peu plus complexe: accepter son nouveau rôle, et mettre son ego de côté. Pas évident : « Il faut de l’ego dans ce métier et doublure, c’est parfois oublier d’en avoir » , explique Vercoutre. Au PSG, Gregory Coupet venait ainsi de passer du statut de meilleur gardien de la ligue des champions à celui de remplaçant d’un détenteur de faux-papiers : « Tu sais que tu es devenu numéro deux quand tu l’acceptes. J’ai évolué dans ma mentalité, en fin de carrière, j’ai fait en sorte que ça soit simple pour tout le monde en allant voir le coach. Si on m’avait dit il y a deux ans que j’allais agir comme ça, je ne l’aurais pas cru. Je suis de l’ancienne école: s’il est meilleur, je bosse et je ferme ma gueule. Et puis, ça me plait aussi de m’attribuer une part de responsabilité dans sa réussite. » La transmission comme motif de satisfaction. « C’est tout à son honneur, remarque Elie Baup. Un Barthez, lui, n’aurait jamais accepté. C’était numéro un ou rien. »
Quant au gardien de même niveau que son titulaire, si l’entraîneur a le choix pour les joueurs de champ, pour les gardiens, les remplacements sur erreurs sont impossibles. Aussi, faut-il ici choisir, donc renoncer, et tous ne savent pas forcément comment s’y prendre. « Les clubs gèrent mal les choses, avoue Vincent Planté. Certains sont très cash, te disent qu’ils te prennent en numéro deux avec des opportunités dans la saison, mais d’autres, pour t’attirer te disent qu’ils vont faire jouer la concurrence alors que ça ne sera jamais le cas, voire te recrutent comme titulaire alors qu’ils savent que tu seras remplaçant voire que tu ne joueras pas. Tout est bon pour faire venir le meilleur gardien dans un club, même s’il ne joue pas. » Stupide. « Être honnête avec les uns ou avec les autres, c’est une question d’éducation, précise Coupet. Chacun veut jouer, l’ambition est légitime, c’est la manière qui rend la chose classe, ou pas classe. » Crasse et surtout inefficace. Car, comme le remarque à juste titre Janot, « Boulogne, Le Mans et Grenoble ont tourné avec trois gardiens il y a deux ans, t’as qu’à voir le résultat… » Résultat oblige, tous sont ainsi unanimes quant à l’intérêt pour le club de clarifier la situation, tel Lionel Letizi : « C’est plus simple de dire : “T’es numéro deux, il n’y a pas grand-chose entre vous. Si t’es meilleur que lui, tu joueras.” plutôt que de lui dire : “T’es numéro un bis.” »
Mais finalement, pourquoi une hiérarchie, au juste ? « Un gardien, il faut qu’il soit libéré dans sa tête et qu’il n’ait pas une épée de Damoclès au dessus de lui. Un gardien titulaire qui passe remplaçant, mentalement, il a plus de chances de devenir tordu à force d’attendre que l’autre se loupe… Ce n’est pas très sain » , constate Valencony. « S’il y a concurrence, il y a des risques que le groupe se scinde, que certains se positionnement en faveur de l’un ou de l’autre, explique Elie Baup. Bats et Ruts, à Sochaux, étaient en concurrence, ça les a desservis tous les deux. Ils se vampirisaient. Une fois séparés, ils étaient tous deux numéros un, et surtout meilleurs qu’en se tirant la bourre. » Gagnant-gagnant, comme dirait l’autre.
« Une question de niveau… »
Pour autant, il ne faut pas croire non plus que tous les numéros deux sont, tels Bats et Ruts, des futurs numéros un en puissance. « Un numéro deux est peut-être capable d’assurer l’interim quelques matches, explique Patrick L’Hostis, entraîneur du poste à Lorient, mais pas une saison complète. C’est d’ailleurs pour ça qu’il est numéro deux. C’est une question de niveau. » Mika Landreau, en bon titulaire qui défend sa paroisse, estime que « gérer un match tous les mois, ce n’est pas le même métier que d’en gérer huit par mois » . Et Jérémie Janot d’en rajouter une couche : « Être numéro deux et faire dix matchs dans l’année, honnêtement, c’est presque donné à n’importe qui. Passer numéro deux puis rester numéro un pendant dix saisons, c’est pas simple. Certains numéros deux explosent en vol quand ils deviennent numéro un. Ils ne peuvent tout simplement pas l’être. » Finalement, c’est lorsqu’il s’agit de définir un bon gardien remplaçant que les avis divergent : si Eric Durand fait dans la cascade – « Un bon numéro deux, c’est un type plus fougueux et moins posé que le numéro un. » -, Ettori dans la formule – « Ruffier était un bon numéro deux parce qu’il ne l’est pas resté longtemps. » – et Douchez d’une pierre deux coups – « Il y a un côté « barjo » sur le terrain et carrément un côté « sado » si tu continues quand tu acceptes de ne servir à rien. » -, c’est L’Hostis qui dresse la fiche de poste du gardien remplaçant : « Un bon numéro deux, c’est un mec capable de jouer, un mec constant dans le travail et la performance, un mec qui casse pas les burnes au numéro un et un mec qui fout pas le bordel dans le vestiaire. » Belle énumération, avant la synthèse de Riou : « Pour un n°2, la seule façon d’aider son n°1, c’est de lui montrer qu’il n’a pas le droit à l’erreur. » Ne pas se leurrer : le bon gardien remplaçant est celui qui permet avant tout de tirer le meilleur du titulaire.
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Pousser le numéro un à être encore meilleur sans jamais lorgner sur le poste, ne jamais sacrifier la hiérarchie établie sur l’autel de la concurrence, être performant pour l’autre avant même de l’être pour soi, et attendre son heure bien sagement. « Dans le monde du travail, c’est aussi un peu comme ça. Prends l’exemple d’un directeur, tu sais qu’à un moment, sa place va être à prendre, parce qu’il va partir ou alors parce qu’il sera moins performant, et là, ce sera à toi d’être là au bon moment » , illustre Vincent Planté. Car le mot « ambition » n’est pas nécessairement banni du dictionnaire de la doublure. Seuls l’hypocrisie et autres coups bas en seraient proscrits. Là aussi, la situation doit être claire, définie. « Le numéro un doit avoir du respect pour le numéro deux mais c’est aussi vrai dans l’autre sens. Avec Sébastien Frey, ça a toujours été clair, on se respectait. Lui était ambitieux, il avait le droit de vouloir être titulaire. Je ne l’ai jamais attaqué, et lui non plus » , clarifie Mickaël Landreau. Jean-Louis Leca, doublure de Penneteau à Bastia puis Valenciennes, va même plus loin : « Quand Nicolas s’est blessé, je l’ai très mal vécu : je jouais mais il ne pratiquait plus son métier favori. Je m’en foutais d’être titulaire, je n’en voulais pas de cette opportunité. Quand je dis à Nico que tel but est pour lui, il sait que c’est honnête et que je ne le planterai pas dans le dos. » Respect, loyauté, et peut-être plus encore… « Quand t’es numéro deux, t’es jamais content de voir le numéro un souffrir » , ose Janot, sincère. Amour et symbiose. Un couple parfait. Mais lorsque l’union s’est étiolée, quid des sentiments ? Johan Carrasso de répondre : « Quand ça ne va pas entre nous, on ne se parle pas, point final ! »
Un État dans l’État
Dès lors, pour éviter de faire chambre à part, mieux vaut bien choisir sa moitié. « La recherche ultime, c’est de trouver un binôme, numéro un et deux, en osmose, réussir à faire une équipe dans une équipe, soutient Mika Landreau. L’équilibre n’est pas une question d’âge mais de présence. Des mecs à dix-huit ou à trente ans peuvent être aussi nocifs pour l’équipe. » Pourtant, on imagine difficilement un jeunot de vingt ans venir discuter des performances du titulaire en place, même sous forme de conseils. « Tu peux toujours parler avec le titulaire, mais c’est moins bien reçu lorsque tu as vingt ans que lorsque tu en as trente-sept » , confirme Johan Carrasso, frère de et gardien de l’AS Monaco prêté par Rennes. En théorie, l’idéal pour un gardien titulaire serait donc de choisir sa doublure. Mais en pratique, cette solution s’avère difficilement réalisable. Le jeu dangereux, c’est que le numéro un impose son numéro deux : « Moi, si je suis dirigeant et que le mec veut son numéro deux, je lui dis : « Attends, grand, là, tu te calmes ! » » , synthétise Janot. Trop de fraternité tue la concurrence, et le poste de portier n’échappe pas à la règle. Les exceptions ? Bien souvent au sein de clubs dits plus « familiaux ». À Valenciennes, Penneteau serait donc venu avec sa doublure, Jean-Louis Leca, ce que le principal intéressé tient à nuancer : « En fait, Valenciennes cherchait un numéro trois et Monsieur Kombouaré a dit à Nico que le club s’intéressait à moi. Il m’a accueilli à bras ouverts et j’ai été prolongé avec Monsieur Montanier parce que Nico, aussi, a dit du bien de moi. Nicolas, c’est comme un frère, on est Corses tous les deux, on est du même centre de formation, on habite dans la même résidence, on se voit à l’extérieur, on mange ensemble, je l’ai trois fois par jour au téléphone… » Plus simple dans ces conditions de gérer l’autre, le soutenir, le regonfler… « On échangeait beaucoup avec Martini, pose Philippe Flucklinger avant de se plonger dans sa mémoire. J’étais titulaire, on prend 4-0 à Sochaux, la presse m’avait démonté, l’entraîneur des gardiens me calculait pas. Bruno m’a regonflé, m’a dit que c’était à cause du terrain gras, alors qu’il cherchait quand même à reprendre ma place. La complicité entre gardiens, c’est un état dans l’État. »
Bats, Coupet, Olmeta et Ettori dans un gymnase pour une nuit de fête
Pour autant, pas de confrérie comme si souvent rebattu ni de société secrète mais des rites, des codes. « Avant les matchs, dans le couloir, on se sert rarement la main entre joueurs mais toujours entre gardiens, faut vraiment avoir joué à ce poste pour en saisir toutes les subtilités » , explique Douchez. De mémoire de portier, le dernier moment de complicité partagée daterait d’une dizaine d’années, à Digne-les-Bains, dans les Alpes Maritimes. Au beau milieu de la saison, la ville souhaitait organiser avec une association caritative 24 heures de tirs aux buts dans le gymnase du coin. 6 buts, 5 francs le pénalty, avec l’espoir de voir venir la crème de la crème des gardiens professionnels… qui sont tous venus: Bats, Coupet, Olmeta, Ettori, Borelli… « C’était un 11 octobre, le jour de mon anniversaire, se rappelle Jérémie Janot.Je m’en souviens parce que Porato m’avait offert un gâteau. » Éric Durand, qui avait pris l’avion juste après un match avec Rennes, se souvient « des anciens comme Marcel Aubour qui étaient passés, d’une nuit de fête, avec un grand repas, de chansons dans une ambiance extraordinaire. » Certains étant venus seulement pour quelques heures. Un autre monde. « C’était non feint, profond, il y avait de la solidarité, autour de l’apéro et d’une bonne bouffe, et ça, ça n’arriverait jamais avec des joueurs de foot (sic) » , résume Flucklinger.
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« Faut pas devenir un larbin non plus… »
Dans ce royaume enchanté, le gardien numéro deux est une espèce encore à part. Olivier Sorin l’Auxerrois témoigne : « Pour un joueur de champs, il existe 10 possibilités pour jouer, le gardien, il n’en a qu’une seule. La position de gardien numéro deux, c’est la plus difficile dans un groupe de 25/30 joueurs. » Le gardien de but remplaçant passe la majeure partie de son temps de guerre les gants dans les poches, à regarder ses potes faire leur métier: « L’entraînement, c’est son match, dixit Flucklinger. La semaine, tu emmerdes le numéro un, le vendredi, tu décroches. » Tel un soldat réserviste de l’armée US tout juste bon à porter des sacs de sable pour renforcer les digues qui pètent à la Nouvelle-Orléans pendant que ses collègues G.I sont envoyés au front en Irak ou en Afghanistan… « Dans tous les clubs, la tradition veut que le numéro deux reste après l’entrainement. Bon, c’est normal, tu le digères, mais ça devient très vite lassant lorsqu’un joueur te dit : “Allez, mets toi dans le but, je te fais trente frappes !” Faut pas devenir un larbin non plus… » , explique Carrasso. La guerre, il la rêve, la voit de loin. Pourtant, du bidasse, le gardien numéro deux a, à peu de choses près, toutes les qualités : « Un gardien, ça reste toujours un peu fou dans sa tête, ça reste un peu débile, kamikaze… Tout le monde n’est pas forcément fait pour se prendre des ballons dans la gueule, aimer se prendre des frappes à bout-portant, aimer plonger dans les pieds d’un attaquant qui arrive à pleine vitesse… » , raconte Nicolas Douchez. « Tu es respecté aussi pour ça, parce que les autres joueurs savent que t’es là pour les sauver en dernier recours. » Loué pour ses valeurs mentales, c’est pourtant souvent dans la tête que les blessures du numéro deux se trouvent, un peu à l’image des vétérans du Vietnam jamais vraiment remis de leurs traumatismes : « Moi, je travaille avec les attaquants parce que je ne veux pas revivre la descente » , atteste Leca, alors doublure à Bastia. Au quotidien, la gestion est délicate, « alterner, être exigeant avec l’un, lâche avec l’autre puis vice versa » , selon L’Hostis. Mettre en danger, mais pas trop. Au risque de piper les dés : « La veille de match, il arrive que l’entraîneur des gardiens frappe fort avec le numéro un, et encore plus fort en levant la balle au numéro deux, pour conforter le numéro un » , révèle Flucklinger. Pire selon Planté, lorsqu’une tension existe entre les deux gardiens, « ça peut se traduire lors des échauffements par exemple, le numéro deux qui te met des mauvais ballons pour te mettre la pression, qui cherche à te blesser mentalement… »
La bonne planque ?
Malgré tout, gardien remplaçant reste tout de même le haut du panier des offres de Pôle Emploi. « À Nice, quand je te dis que je ne mettais pas de pression, je ne mettais pas de pression !, reconnaît volontiers Lionel Letizi. Je ne m’entraînais pas tous les jours pour montrer que j’étais le meilleur, juste pour être sérieux, me permettant d’autres activités qui venaient grignoter sur le temps de récupération, tout en sachant qu’il y avait neuf chances sur dix que je sois sur le banc le samedi… » Virer un numéro deux serait donc un exercice presque impossible, à moins qu’il se déchire à chaque sortie. Parce que, comme le dit Letizi, « C’est quand même plus facile de faire un gros match que d’en faire trente-huit… » Rares sont les clubs qui ne prolongent pas année après année leur gardien remplaçant lorsque tout roule ? Pourtant, subrepticement, la recherche de la doublure parfaite semblerait en voie de disparition. Et les Bleus n’échappe pas à la règle : « Avec un raisonnement par l’absurde, explique Flucklinger, aujourd’hui, si Lloris se blesse, derrière, c’est la guerre, il y a pas mal de gros égos et pas de numéro deux. Pourquoi ne pas intégrer en trois un vrai numéro deux, Vercoutre ou Landreau ? Martini avait retrouvé sa place en équipe de France au moment où il y avait Lama et Barthez parce qu’il ne faisait pas chier. » Grégory Coupet est le dernier à avoir pris sur lui. Jusqu’à un certain point : « Lors de la Coupe du monde 2006, quand je me barre de Tignes, je ne suis plus objectif, je ne comprends plus. Et surtout, je pensais que la sélection pouvait prendre un autre gardien. Je n’ai su que plus tard que ce n’était pas possible. »
La guerre des égos finira-t-elle par avoir la peau de tous les Dédé Biancarelli de la planète foot ? Dédé, douze saisons en Ligue 1, entre Bastia, Metz et Monaco, pour 23 matchs de championnat : « À 21 ans, je me suis dis le jour de la signature de mon contrat que je devais tenir jusqu’à 35 ans. Résultat : j’ai toujours joué l’Europe ou le maintien et j’ai un bilan positif. À Metz, 18 000 spectateurs ont même scandé mon nom. J’étais content de travailler et d’être là : après une défaite, je suis même resté dans le stade voir l’équipe adverse fêter leur Coupe gagnée le week-end d’avant. Moi, je suis un affectif, quand j’étais numéro trois, j’évitais que le numéro deux casse les burnes du numéro un. Doublure, finalement, c’est juste être un homme, faire son boulot, ne pas baisser son froc et ne pas se plaindre. Mon père était boucher, un boulot dur, et, rien que pour ça, je suis très respectueux du métier de doublure et très fier d’avoir été sur le banc… » Et Olivier Sorin de confirmer : « Je vais te dire, même numéro trois, avec le chômage actuel, c’est déjà très bien, l’important, c’est d’avoir un contrat. »
Propos de Biancarelli, Coupet, Durand, Ettori, Flucklinger, Janot, Landreau, Vercoutre recueillis par BF, de Baup et l’Hostis par SCW, de Planté, Riou et Sorin par AG et de Carrasso, Douchez, Leitizi et Valencony par PB.
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