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De Bruyne, le contrat de confiance

Par Alexandre Aflalo
6 minutes
De Bruyne, le contrat de confiance

Un temps incertain pour affronter le PSG ce mercredi, Kevin De Bruyne mènera bien l’attaque mancunienne au Parc des Princes et il le fera, en plus, dans la peau d’un homme qui vient de prolonger son contrat avec City. Un contrat qu’il a, chose exceptionnelle par les temps qui courent, négocié sans agent, en s’appuyant sur un rapport data détaillé de ses perfs sous le maillot skyblue. Un petit événement qui vient confirmer l’importance accrue de la statistique dans le sport roi, à tous les niveaux.

On pourrait penser que Kevin De Bruyne fait partie des rares joueurs qui n’ont pas forcément besoin de prouver leur valeur pour que leurs clubs ne leur érigent un pont d’or au moment de parapher un nouveau contrat. L’importance du Belge dans l’effectif de Pep Guardiola, l’inestimable apport d’un cerveau et de deux pieds pareils sur un terrain pourraient paraître évidents. Et pourtant. Alors que « KDB » a étendu son contrat jusqu’en 2025 le 7 avril dernier, il s’est ébruité un détail sur les négociations de sa prolongation : le joueur a mené les pourparlers lui-même et a notamment fait appel à deux entreprises extérieures pour lui bricoler un rapport statistique détaillé soulignant son importance à Manchester City, et la compatibilité entre le numéro 17 et la maison bleu ciel.

Blanchiment d’argent, big data et benchmark

Le pourquoi du comment, pour commencer. Jusqu’à l’été dernier, il était représenté par Patrick De Koster, son agent de toujours. Mais en août 2020, PDK est arrêté et emprisonné pour soupçons de blanchiment d’argent à la suite d’une plainte déposée par Kevin De Bruyne lui-même, qui avait remarqué des irrégularités dans ses finances. Un événement traumatisant, sans doute, qui a poussé le Diable rouge à faire confiance qu’à lui-même : dans le cas de la négociation de son nouveau contrat avec City, à l’arrêt après l’arrestation de son ancien agent, De Bruyne a donc mené les négos lui-même, avec le soutien de son père Herwig et l’assistance juridique et fiscale de deux avocats belges, Daan Buylaert et Sven Demeulemeester.

Reste que sans représentant, donc sans professionnel de la négociation pour appuyer ses intérêts autour de la table des négociations, il faut des reins solides et des arguments convaincants. Pour De Bruyne, cette aide est venue d’un acteur de plus en plus important dans le football 2.0 : la statistique. En septembre 2020, le Belge et ses conseils font donc appel à deux entreprises renommées dans le milieu, Analytics FC et StatsBomb, afin de mettre sur pied un rapport chiffré complet sur ses performances à City. Il fait aussi conduire un benchmark des salaires dans les grands clubs européens « qui lui a permis de comprendre ce que gagnaient des joueurs de niveau similaire à lui » et donc de s’aligner en conséquence, détaille son avocat Sven Demeulemeester. « Honnêtement, les conclusions du rapport ont surtout servi de confirmation à ce qu’il savait déjà, développe l’avocat. Il connaissait sa valeur sur le terrain, mais voulait qu’elle soit validée par des mesures de performance concrètes pour avoir la position la plus forte possible à la table des négociations. »

It’s a match !

Le média anglais The Athletic, qui a pu consulter le rapport en question, a révélé en partie la teneur des arguments posés autour de ladite table, comme le fait que « le modèle d’analyse de la contribution offensive d’Analytics FC, qui calcule l’impact positif ou négatif de chaque touche de balle d’un joueur dans un match donné, place De Bruyne à la première place en Europe sur l’année écoulée ». On y trouvait aussi une estimation chiffrée de l’impact qu’aurait un départ de De Bruyne sur City, et en particulier sur ses chances de soulever la Ligue des champions. Un peu égocentrique ? Pas totalement non plus, puisque le rapport cherchait aussi à montrer que City était l’équipe parfaite pour l’épanouissement et le succès sportif du joueur : « Il voulait que les données confirment que l’équipe actuelle de Manchester City était la plus adaptée, selon plusieurs paramètres, à ses qualités, et la plus à-même de l’aider à atteindre ses objectifs sportifs (en particulier gagner la Ligue des champions). » Un perfect match digne de Tinder entre un homme et son équipe prouvé par une étude statistique approfondie et qui n’a pas été sans effet : alors qu’une première proposition formulée par les Citizens en décembre aurait été rejetée, car jugée insuffisante financièrement, cet argumentaire en béton armé a assuré au quasi-trentenaire une augmentation de son salaire d’un tiers, de 300 à 400 000 livres par semaine.

Que les établissements d’analyse statistique travaillent sur commande des ligues ou des clubs n’est pas chose nouvelle. « On en entend beaucoup parler parce que c’est De Bruyne, mais des joueurs, des agents ou des clubs qui nous contactent au moment d’une signature ou d’une prolongation, pour faire des rapports comparatifs des performances du joueur par rapport à d’autres profils similaires, c’est très fréquent, temporise Matthieu Lille-Palette, vice-président d’Opta. On a beaucoup de deals avec des joueurs, environ 200-250 sur les cinq grands championnats et la MLS, pour leur fournir de la data de façon régulière ou plus ponctuelle, comme pour des négociations. » Ce qui différencie sans doute le cas De Bruyne, c’est qu’un joueur de son envergure, en l’absence d’un agent, place sa confiance dans la data. Une émancipation permise, entre autres, par des modèles statistiques émergents capables de fournir des grilles de lecture de plus en plus variées de la donnée brute. « On ne collecte pas plus de data qu’avant, souligne Matthieu Lille-Palette. La vraie différence, c’est ce qu’on en fait. Avant, tu voyais un nombre de tirs, un nombre de buts, et voilà. Les clubs ont été moteurs, en cherchant à comprendre quelle était la qualité des joueurs par rapport aux situations qu’ils se créaient. La naissance des expected goals (xG), des xSaves pour les gardiens, des xAssists, mais aussi de modèles qui estiment la qualité de la possession, c’est ça. On était assis sur un trésor de datas, avec un marché qui est aujourd’hui plus éduqué dans ce domaine et qui nous permet de progresser dans l’algorithmie, dans l’intelligence artificielle et sortir des choses plus intéressantes qu’avant. »

La data, nouvel agent du footballeur ?

Une véritable alternative aux représentants « classiques » pour les joueurs du standing de KDB ? « Le cas De Bruyne, c’est surtout un bon argument pour nous, ça montre la nécessité de ce qu’on fait, poursuit Lille-Palette. Mais ça n’est jamais une alternative à l’agent. La data ne pourra pas t’apporter le conseil juridique et commercial, c’est un outil. En revanche, on voit que De Bruyne, il fait peut-être partie des 1% qui n’a pas besoin d’agent, parce que tout le monde le veut. » Outre le Belge, Raheem Sterling, son coéquipier à City, s’est récemment séparé de son agent quand des joueurs comme Marcus Rashford ou Kylian Mbappé, entre autres, ont toujours confié leurs intérêts à leur cercle proche. Avantage non négligeable : alors que, selon une étude de la FIFA, les commissions versées aux agents ont quadruplé entre 2015 et 2020, ces joueurs-là s’affranchissent d’intermédiaires, donc de grosses dépenses et potentiellement de mésaventures, comme celle qu’a connue De Bruyne avec son précédent agent. Avec la perspective, au vu de leur réussite dans ce domaine, que d’autres joueurs de leur calibre puissent s’affranchir des intermédiaires, et porter un petit coup aux super-agents. « Les top joueurs sont de plus en plus conscients de leur valeur et souhaitent la matérialiser de la meilleure façon possible, estime Sven Demeulemeester. Mais bien sûr, chaque cas est unique : une prolongation pour un grand joueur dans une grande équipe, c’est différent d’un jeune espoir qui cherche un nouveau club, et les agents auront toujours un rôle à jouer. » Reste à voir lequel.

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Propos de Sven Demeulemeester et Matthieu Lille-Palette recueillis par AAF.

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