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DAZN-LFP : chronique d’un naufrage annoncé pour le football français

Par Ulysse Llamas
5 minutes

DAZN n’a versé que la moitié de ce qu’il doit à la LFP. Un conseil d’administration de la Ligue s’est réuni en urgence ce mercredi pour l’annoncer. L’issue, elle, semble déjà connue depuis trop longtemps. Il faut maintenant éviter le scénario du pire.

DAZN-LFP : chronique d’un naufrage annoncé pour le football français

Fuir, c’est bon pour les robinets. Boris Vian avait raison, mais aurait pu ajouter une mention sur le foot français. En 1959, quand il écrivait ces mots, le Stade de Reims gagnait le championnat et la première diffusion télé d’un match de D1 remontait à trois ans plus tôt. Aujourd’hui, Reims est, avec Le Havre, Angers et Montpellier, un des quatre clubs de Ligue 1 qui n’a pas dépensé un centime cet été. Une première depuis 2010. Deux ans après CVC, la situation du foot français est celle d’un tuyau troué avec de moins en mois d’eau dedans.

La DNCG a annoncé une possible perte de 1,2 milliard d’euros cette saison. Rustine du foot français, DAZN, rétributeur de droits qui n’ont jamais été aussi bas depuis 20 ans, doit payer son dû à la LFP. L’Équipe informe qu’il n’a réglé que 50% de la somme qu’il doit à la ligue, l’autre moitié restant sous séquestre, la LFP confirmant dans un communiqué « le refus infondé de DAZN d’honorer ses engagements financiers ». La situation est « malheureusement urgente », aurait même précisé Vincent Labrune dans un mail, justifiant la tenue d’un conseil d’administration exceptionnel ce mercredi. Le fiasco de la vente des droits télé du championnat de France pour la période 2024-2029 se poursuit, prolongeant la crise que connaît l’écosystème du football professionnel tricolore.

La LFP et DAZN se retrouvent sur le terrain juridique

La bataille juridique entre DAZN et la LFP est lancée. Le « Netflix du sport » a jusqu’à ce vendredi pour régler l’autre moitié d’un montant qui correspond à son échéance financière de février. Pour lui mettre la pression, la ligue lui intente une action en justice. Le diffuseur, lui, estime que la LFP ne le traite pas bien. Comme en Italie, il met en cause une lutte insuffisante contre le piratage. Il lui reproche aussi un manque de savoir-faire des clubs dans la visibilité de la Ligue 1. Ceux-ci ne joueraient pas le jeu d’une plus grande ouverture envers le public. Sachant qu’en décembre, il pourra résilier ses engagements et délaisser les Angers-Auxerre. L’éclaircie financière n’est pas pour demain. La LFP risque donc de devoir finalement lancer sa propre chaîne, avec les coûts inévitables que cela entraînerait. Cinq ans après le désastre Mediapro, les mauvais souvenirs refont surface.

Les présidents et la Ligue sont toujours partis sur des objectifs très ambitieux, mais qui n’étaient malheureusement pas du tout réalistes.

Le sénateur Michel Savin

DAZN, dont le patron a annoncé investir plus de 800 millions de dollars, tente toujours d’éviter les couacs tout en gagnant des abonnés. Vivement critiquée au début pour ses prix, la plateforme aux 500 000 abonnés (officiellement, car ce serait bien moins selon plusieurs sources) va de promotions en promotions comme un antiquaire incapable de vendre sa statue de Brigitte Bardot. Après un pass mi-saison à 69 euros, le pass fin de saison à 49 euros. L’objectif du million et demi d’abonnés en décembre 2025, date de la clause de sortie du contrat, est loin, tellement loin. Les jours heureux ne sont pas pour demain.

Dans ce marasme, les instances sortent du bois. Michel Savin, sénateur auteur du rapport sur l’état du football français, a fait savoir à RMC Sport « On a vu qu’il y a quand même énormément de légèreté dans la préparation. On ne comprend toujours pas sur quels critères la LFP s’est basée pour son estimation à un milliard. Aujourd’hui, on s’aperçoit qu’à 400 millions, DAZN était frileux pour venir. Ça pose énormément de questions. Les présidents et la Ligue sont toujours partis sur des objectifs très ambitieux, mais qui n’étaient malheureusement pas du tout réalistes. » Un coup d’épée dans l’eau ? Marie Barsacq, la nouvelle ministre des Sports, le rejoint d’un cinglant « la situation est grave ». Deux avis préoccupants que la réussite des clubs français en Coupe d’Europe ne masque pas.

L’ombre de Canal et l’inaction des présidents

Et après ? « On deviendra le championnat de Slovénie, » prophétisait Vincent Labrune. Qui diffuserait Angers-Marseille ? Faudra-t-il relancer un nouvel appel d’offres ? Quid de Canal + ? « Il n’y a pas de décision définitive chez Canal. Cela dépend des circonstances », avait fait valoir devant le Sénat Maxime Saada, le président de son directoire. En 2020, Amazon avait alors récupéré les droits de sept matchs de Ligue 1 contre 250 millions d’euros, alors que Canal + payait toujours 80 millions de plus pour trois matchs. Depuis, c’est une histoire d’egos et de business : la chaîne cryptée, partenaire historique du championnat de France, serait en position de force en cas de retour dans les négos. Sauf que Vincent Labrune est toujours là, et qu’on imagine mal Canal revenir tant que ce sera le cas.

Les clubs, eux, doivent réagir. Ils ont déjà vendu cet hiver pour 357 millions d’euros. Un record. John Textor, Joseph Oughourlian (en vendant des joueurs à Portland, Galatasaray ou Tottenham), en plus de Jean-Michel Roussier, en ont pris conscience. Ils sont 3, sur 18. « Les mêmes sont au courant, les mêmes ne sont pas au courant… se lamente le patron du HAC. Et c’est d’autant plus surprenant que cela met en jeu l’ensemble des clubs. Les seuls clubs probablement au courant sont les plus riches et qui en ont le moins besoin. On est toujours dans ce paradoxe. » Cet automne, le président d’un club français, dépité, disait ne pas vouloir perdre de temps dans cette bataille pour se contenter « de s’occuper des affaires » de son club. La politique du chacun pour sa gueule. « Aujourd’hui, ça repose sur une ou deux personnes qui font la pluie et le beau temps, ajoute Michel Savin. Cette manière de fonctionner n’est pas bonne, elle ne peut pas perdurer. » La fuite est inévitable, mais il va bien falloir agir pour éviter le pire.

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