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David Labarre : « Mes yeux, ce sont mes oreilles »
En campagne, David Labarre prévient : il est en zone montagneuse, l’appel peut couper. Un discours qui rappelle celui de son chef de parti, Jean Lassalle. Si tous deux ont grandi dans des petits villages des Pyrénées, leurs parcours sont en revanche bien différents. Né avec une déficience visuelle, le jeune homme de 29 ans fut capitaine de l’équipe de France de cécifoot et meilleur joueur européen de la discipline en 2013. Candidat en Haute-Garonne, il compte bien devenir le premier député malvoyant de la Cinquième République. Comment ? Grâce à sa « force », acquise entre autres lorsqu'il jouait au foot avec des gamins qui voyaient parfaitement.
Comment as-tu rejoint le parti de Jean Lassalle, Résistons ! ? J’ai suivi Jean pendant les présidentielles, sur tous les plateaux télé, pendant deux jours. Je défends aussi ses idées, je viens de la montagne. J’y ai grandi jusqu’à l’âge de 15 ans. Je porte ses valeurs. Je l’ai contacté parce que je voulais parler des handicapés. Je connais son beau-frère. J’ai grandi dans sa ferme. Petit, j’y rentrais les moutons, je trayais les vaches, je promenais les chiens. J’ai d’ailleurs croisé Jean quand j’étais petit, mais je ne m’en rappelle pas. Quand je l’ai rencontré à Paris, il m’a dit : « Il faut que tu t’engages pour les législatives ! » J’ai dit que c’était compliqué, mais il m’a convaincu. On n’a pas encore eu trop le temps de parler foot, mais après les élections, on ira boire un coup. En attendant, je lui ai offert mon maillot du Téfécé.
Tu jouais au foot à la ferme ? Non, les terrains étaient trop en pente ! Comme dans mon village. On avait quelques terrains plats, mais si mon ballon partait, il fallait aller le chercher en bas, dans les ronces. Donc on faisait attention à l’endroit où l’on jouait. À l’époque, ma famille était pauvre, et un ballon, c’était un ballon. Il fallait le garder.
Ta carrière dans le cécifoot est finie ou juste entre parenthèses pour la campagne ?Ma carrière au haut niveau, en équipe de France, est terminée. Pour des raisons personnelles. Depuis, j’ai monté ma boîte d’auto-entrepreneur conférencier. Je motive les gens en entreprise. Dans des écoles, à l’université, aussi. L’année prochaine, je vais aussi aller aux plus hauts sommets mondiaux avec une équipe de tournage pour montrer qu’un handicapé peut tout faire dans la vie. Mais je joue toujours au Téfécé. Pour me maintenir en forme, m’amuser, prendre du plaisir. Avant, je m’entraînais tous les jours pour être au plus haut niveau. Sans avoir le salaire des joueurs qu’on voit à la télé. Au Téfécé, c’est totalement amateur. Je touchais l’allocation handicapés, des aides de la région. En revanche, on a des primes. Aux jeux paralympiques, le gouvernement nous a remis 20 000 euros pour la médaille d’argent. Au Brésil et en Argentine, les mecs sont payés. Tu m’étonnes qu’ils soient champions !
Tu peux me parler de ta déficience visuelle ?C’est une rétinite pigmentaire. Si tu veux, c’est des taches au fond de l’œil. Mais quand j’étais petit, j’étais quand même tout le temps en train de dire à ma mère que je voulais être footballeur professionnel. Alors que je voyais moins d’un vingtième. Ma mère essayait de me préserver. Elle me faisait comprendre que c’était un petit peu compliqué, mais ne m’a jamais dit que je ne pourrais jamais le faire. Alors je n’ai jamais baissé les bras.
Tu as fait un test à Ramonville-Saint-Agne pour jouer avec une équipe de quartier normale. Ils pensaient que tu pouvais t’en sortir ?Non. Ils ont fait ça pour me montrer que je ne pouvais pas m’en sortir. Ils m’ont donné une leçon de vie. J’étais très excité en arrivant. Je ne parlais que de ça. Avec mes copains, ça se passait très bien, sur un petit terrain. Mais sur un terrain de foot à onze, les mecs me balançaient des ballons de 60 mètres et ils me passaient à côté ! (Il rit) J’étais là, je ne le voyais pas. Ça a été très compliqué à vivre pendant une semaine. Ça m’a permis d’ouvrir les yeux : je ne pouvais pas jouer dans un club traditionnel. Je me souviens de quand j’ai compris ça. J’étais à mon internat pour malvoyants, à Toulouse. Je ne voulais pas le dire à mes camarades. Je me souviens que j’étais dans les escaliers. En bas, il y avait une copine qui jouait au foot avec moi. Je lui ai dit. Elle m’a dit : « Putain, ils sont cons. » Mais elle me voyait jouer qu’avec des bigleux. Avec des mecs qui voient, ce n’était pas possible.
C’est comment de jouer au foot avec des gens qui voient parfaitement avec votre handicap ? Les gens avec qui je jouais ne m’ont jamais pris pour une personne handicapée. J’ai toujours été obligé de m’adapter à eux. Quand t’as compris ça, tu fais beaucoup de choses dans la vie.
Donc ta philosophie c’est que c’est plus à la personne handicapée de s’adapter à la société que l’inverse ?Il faut faire des efforts des deux côtés. J’ai eu cette force, mais je peux comprendre que des gens ne l’aient pas. C’est pour ça que je me présente comme député. Pour parler de ces gens-là et les aider. J’ai aussi grandi avec. Quelqu’un qui perd la vue, les bras, les jambes, c’est pas pareil. C’est la folie. J’ai ce truc en moi qui fait que je veux aider les gens. Je serais fier d’entendre : « Ce député aveugle a fait énormément de choses pour nous. » Il n’y en a eu qu’un, en 1941. On parle beaucoup de handicap en 2017, mais il n’y a personne. C’est très important d’avoir de la diversité à l’Assemblée. Pour bien défendre les choses, il faut des personnes concernées par tout. Mais j’ai aussi un programme économique bien ficelé et totalement réalisable. Pour tous.
Comment pouvais-tu réussir à dribbler des joueurs en ne voyant presque rien ?Je vois quand même un peu le ballon. Le blanc sur l’herbe verte. Ensuite, le joueur normal, on voit son regard. Je suis pote avec Marc Vidal, qui est le troisième gardien du Téfécé. Parfois, je lui tire des penaltys. Le problème pour lui, c’est qu’il ne voit pas mon regard. Il ne sait pas où je vais tirer. Pour les dribbles, c’est pareil. C’est ma force.
Tu as découvert le cécifoot combien de temps après ton échec à Ramonville ?Deux ou trois ans après. En septembre 2004, à Saint-Simon. Je suis arrivé sur le terrain, on m’a dit qu’on allait me mettre un bandeau sur les yeux et que ce serait très compliqué. On courait autour d’un triangle et tout le monde était épaté que je m’en sorte si bien. Ça a été une révélation.
On dit souvent que lorsqu’il manque un sens à quelqu’un, les autres sont décuplés. C’est ton cas ? Totalement. Le cécifoot a d’ailleurs développé mon sens auditif. Mes yeux, ce sont mes oreilles.
Tu vois assez pour voir des matchs à la télé ?Oui. Mais, petit, si tu regardais un match avec moi, je te bouffais la moitié de la télé. Je me colle à la télé. Donc tu es dégoûté et tu te barres de chez moi. Maintenant, il y a des grands écrans, donc mes amis sont contents. Sur les petites télés, il fallait s’adapter à moi.
Je sais que tu as rencontré Just Fontaine. Tu as rencontré d’autres grands du football grâce à ta carrière dans le cécifoot ?Ouais, l’équipe de France, en 2006. Tous très gentils. Notamment Greg Coupet. Il était dans les cages et je lui ai mis un penalty. Il a dit « oh putain, ça part vite. » À mi-hauteur, je crois. Mais Just Fontaine est quelqu’un d’extraordinaire. Je l’ai rencontré sur un plateau radio. Mais je lui ai dit que j’aimerais le revoir, le rencontrer. Il m’a dit : « Pas de problème, tu viens chez moi. » J’y suis allé, comme si c’était une personne normale. Je rentre, je m’assois dans son salon. Je me suis trouvé petit. Il y avait des trophées, des photos, des maillots. Je me suis dit : « Qu’est-ce que je fais là ? » Just était parti faire le café et j’étais là, avec Philippe, mon agent. On se regardait et on se disait qu’on vivait quelque chose d’extraordinaire. On a passé l’après-midi. On a parlé de foot, de livres, on a sorti des conneries. On est restés proches. Pour conclure sur la politique, qu’est-ce que tu penses pouvoir apporter à tes électeurs de circonscription ?Je ne suis pas carriériste. Je suis novice. J’ai 29 ans. Je suis motivé, j’ai mes idées. Beaucoup me disent qu’ils ont déjà tout essayé en politique. Qu’ils n’y croient pas. Je leur dis que ce n’est pas vrai. « Vous n’avez jamais essayé l’aveugle. » Je leur dis que je ne vois pas avec les yeux, mais que je vois avec le cœur.
Propos recueillis par Thomas Andrei