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Danse avec la Superloupe
Il est supporter marseillais et il a su se faire adopter par la grande tribu de la réalisation sportive parisienne. Aram Novoyan est aussi l’homme qui a su transformer le ralenti en art. Portrait de ce virtuose de 52 ans, pas toujours objectif.
Pour Aram Novoyan, tout est question de temps : « Je n’ai que 20 minutes maximum à vous accorder. C’est bon ? » Entre Roland Garros, le Grand Prix de Monaco, la finale de Coupe de France et la finale de la Ligue des champions, il est donc plutôt en accéléré. Il n’a que très peu de temps pour lui. Et encore moins pour les autres. Mais en déplacement ou entre deux rendez-vous, il trouve quand même le temps de se poser, de dilater les minutes, pour partager ses passions. La première : le sport en général : « C’est ce qui m’a amené à faire du ralenti sur les matchs, l’invention de la Superloupe n’est arrivée que bien plus tard lorsque j’ai appris à apprécier une belle image de sportif en action. » La seconde : l’Olympique de Marseille. Et pour bien le comprendre, il s’agit de rembobiner au début de sa carrière.
Magnétoscope et bandes magnétiques
Alors qu’il admire, adolescent, Michel Denisot et Pierre Cangioni sur TF1, il se voit plutôt journaliste sportif en presse écrite, car les métiers de la télévision lui semblent, à la fin des années 70, inaccessibles.
Il finit tout de même par suivre une formation de technicien vidéo et par travailler en tant « qu’opérateur ralenti freelance » pour deux entreprises marseillaises en lien avec Canal +, situé à Paris. Un péché pour le supporter : « Les équipes de réalisation venaient majoritairement de Paris et nous regardaient quelquefois de haut tant la rivalité entre l’OM et PSG était vive. Alors les« locaux », comme on nous appelait, on ne donnait pas tout… Les tacles un peu trop appuyés de joueurs de l’OM passaient rarement à l’antenne… Mais bon, les réalisateurs n’étaient pas dupes. »
Car à l’époque, on tourne encore sur bande magnétique, un peu comme avec la VHS. Pas vraiment pratique : « Pour proposer un ralenti au réalisateur, il fallait arrêter l’enregistrement. Et pendant ce temps-là, on pouvait manquer des buts, ou un carton rouge, ou une autre action. Ça nous est déjà arrivé d’ailleurs. Mais parfois, on le faisait exprès, donc. Avant 96, c’était très compliqué de passer des ralentis en direct. Entre 96 et 98, on commençait à avoir des serveurs vidéo sur disques durs spécialisés dans les ralentis, mais leur capacité était limitée. » Une pénurie de moyens qui le pousse, un peu avant la Coupe du monde française, à lancer sa boîte à Aix-en-Provence. Personne n’y croit. Sauf lui.
De la Loupe à la Superloupe
Il achète deux serveurs vidéo, s’associe avec deux collègues et lance Digital Video Sud (DVS), la première entreprise spécialisée dans le ralenti en Europe. Le bon pari. Car au même moment, la France se décide à passer au ralenti numérique pour son Mondial : « J’avais anticipé cette décision et ça m’a permis de leur louer mes systèmes, mes serveurs, mes compétences pour la compétition. J’étais exploitant aussi freelance dans une équipe de TF1. J’ai fait la finale par exemple. » Mais comme toute start-up, les premiers temps sont aussi synonymes de galère. Pour le premier match de l’Arabie saoudite à Lens, son équipe et lui font plus de 900 km avant de se rendre compte qu’ils n’ont toujours pas été payés : « C’étaient les rois du pétrole, on avait tout installé, mais le client saoudien ne voulait plus payer. On a tout remballé. Mais au final, ils nous ont transmis les garanties bancaires peu avant le coup d’envoi. »
Qu’importent les galères, la compétition française lui sert surtout de tremplin et la période post-mondial est une longue et régulière ascension pour lui. Tour de France, Jeux olympiques, Roland Garros… Tout le monde veut du ralenti. L’idée de la Superloupe, elle, lui vient en 2002. David Coulthard, pilote de Formule 1, est alors en pleine bourre à Monaco. Il fait la course en tête quand, au virage de la piscine, il fait une faute et frôle l’accident. Le réalisateur de la course, George Giaufret, regrette de ne pas avoir de ralentis plus détaillés que sa loupe, soit les 75 images par seconde maximum, au lieu des 25 pour une vidéo normale. Il en parle à Aram qui se décide alors à franchir un nouveau cap. Et après deux années de recherche, en 2004 donc, il finit par déposer un brevet. La Superloupe, la friandise préférée de Canal +, est née.
Le Qatar et ses excès
La première mise à l’antenne de la Superloupe, c’est lors du Grand Prix de Magny-Cours en 2004. Une course remportée par Michael Schumacher. C’est aussi avec la Superloupe que la « fausse chute » de Bode Miller sur le Super G de Turin est immortalisée en 2006. Une scène culte qui vaudra d’ailleurs un prix à la NBC Universal, chaîne américaine empruntant la technologie d’Aram Novoyan.
C’est aussi la Superloupe qui permet de capturer, à désormais 500 images par seconde, derrière la cage, la Panenka de Zidane en finale du Mondial 2006.
Aux abords des stades, dans ce qu’on appelle les « cars régies » , Aram gère les nombreuses caméras qui arrosent le téléspectateur de ralentis. Un art qui comporte aussi ses excès. Pour la finale de la Coupe d’Asie de football 2011, le Qatar, qui vient d’obtenir la Coupe du monde, veut éblouir le monde.
Le producteur du Golfe fait appel à DVS et décide alors d’installer 52 caméras, dont six Superloupes, dans le stade : « C’était assez marrant et paradoxal d’avoir autant de cameramen parce que le stade était quasiment vide, trois spectateurs à tout casser. Et il était surtout ultra climatisé alors que nous étions au mois de janvier. Nos cameramans, installés derrière les cages, se gelaient. Ils étaient en doudoune. Mais voilà, les Qataris voulaient montrer leur toute-puissance, montrer au monde qu’une Coupe du monde l’été, c’était possible et que ce serait grandiose. À titre de comparaison, une finale de Coupe du monde, c’est environ 30 caméras. » Bref, ça promet. En attendant, Aram Novoyan sera à San Siro ce samedi soir et à l’Euro cet été. Il n’est plus tout seul sur le marché et doit de nouveau s’activer pour garder son avance. Le temps, toujours le temps.
Ugo Bocchi